
cop. Susanne Davidson
Le début de cette année 2016 me conduit à revoir avec ma fille de longs métrages d’animation, notamment des Walt Disney : Rox et Rouky, Les Aristochats, La Belle et le clochard, Le Livre de la jungle,…
Parallèlement je relis les contes de Charles Perrault, des frères Grimm et de Hans Christian Andersen, ceux du premier m’ayant permis de me rendre à quel point leur vision, celle d’une époque, entérine discriminations sexistes et sociales.
Commençons par comparer la version originale (1836) de La Petite Sirène à celle remaniée du 33e film de Walt Disney par Jon Musker et Ron Clements (1989) :
Le conte
Cadette des six princesses, Ariel se languit du monde des humains dont parle ses soeurs. Le jour de ses quinze ans arrive le rite de passage à l’âge adulte : sa grand-mère lui permet enfin de remonter à la surface : à bord d’un navire une fête est organisée en l’honneur d’un beau prince, qu’elle sauve de la noyade lorsqu’une tempête éclate. A son réveil, le prince est secouru par une jeune fille. Depuis lors, Ariel n’aspire qu’au beau prince et à son âme immortelle. Car si les sirènes meurent en se transformant en écume au bout de trois cents années d’existence, les humains, eux, ont la vie plus courte mais l’âme immortelle. Elle décide alors d’aller trouver la sorcière, qui accepte de satisfaire ses « stupides désirs » qui ne lui apporteront que malheur, en échange… de sa langue, qu’elle lui coupe, pour lui confisquer ce qu’elle a de plus beau, sa voix. En buvant son élixir, la petite sirène, désormais muette, perd à jamais sa queue qui se transforme en deux jambes, la faisant souffrir comme si des aiguilles se plantaient dans ses pieds. Si le prince ne s’attache pas à elle, jamais elle n’aura d’âme immortelle, et s’il en épouse une autre, elle mourra, le coeur brisé. Hélas, si le prince s’attache bien à elle, il n’en tombe pas amoureux, mais d’une princesse en qui il reconnait celle qui le trouva sur le rivage. Alors que ses soeurs donnent leurs cheveux à la sorcière pour que la petite sirène puisse avoir le choix entre tuer son prince ou mourir, Ariel préfère mourir et se transforme en fille de l’air…
Le film
Le personnage de la grand-mère disparait au bénéfice de trois animaux qui accompagnent Ariel dans ses aventures, un poisson, un Bernard l’Hermitte et un cormoran. Cela supprime une figure féminine qui use de façon bienveillante du pouvoir, et cela ajoute des personnages humoristiques qui sont au service des autres, parmi lesquels le Bernard L’Hermitte, qui semble être un esclave noir, habitué à s’amuser, chanter et danser, véhiculant un message somme toute raciste.
La petite sirène ne tombe plus amoureuse d’une statue représentant son idéal masculin, mais de la statue du prince réel qu’elle a rencontré.
Les conditions de la transformation de la petite sirène en humaine exigent d’elle un sacrifice bien moindre : Ariel donne sa voix, sans qu’on l’ampute de sa langue, sa queue se transforme en jambes sans qu’elle dût en souffrir, elle a trois jours pour se faire aimer du prince sans quoi elle redeviendra sirène.
C’est la méchante sorcière qui se fait passer pour la princesse qui a secouru le prince, et avec qui il s’apprête à se marier, comme ensorcelé, ce qui adoucit l’effet des apparences trompeuses et du coup du sort. En effet, le prince est tombé amoureux de la voix de celle qui l’a sauvé.
Toute cette histoire, enfin, se termine par un happy end, la sorcière étant tuée par le prince, sauvant à son tour la petite sirène, et tous deux convolant en de belles noces sur le navire.
Mon avis
Au début du conte comme du film, les rôles traditionnels sont inversés : le prince séduit la jeune fille qui l’observe en chantant et en jouant de la musique, et cette dernière vole à son secours alors qu’il se noie. Dans la conte d’Andersen, la jeune sirène pouvait finalement gagner une âme immortelle, mais pas le coeur du prince, pour lequel elle a tout sacrifié, famille, queue de sirène, joies, jusqu’à sa vie. Pour devenir femme et séduire, la jeune femme doit endurer mille souffrances, et ce sans avoir l’heur de plaire à l’élu de son coeur. Chacun en effet est resté fixé sur une image de l’amour idéal, la sirène sur la statue dans son jardin qui ressemble au prince, le prince sur le visage de celle qu’il pense l’avoir secouru… Les apparences sont trompeuses, les fantasmes conduisent à des erreurs. De la souffrance d’être femme, de la puberté, le film ne parle pas. Le « Sois belle et tais-toi« ne permet pas à la petite sirène originale d’accéder au bonheur, contrairement à celle du film. Et la mise en garde finale du conte d’Andersen n’existe plus chez Walt Disney, ce qui détourne complètement le message initial : tout est bien qui finit bien, les sacrifices de la petite sirène pour plaire au prince sont enfin récompensés, le prince, retrouvant sa virilité, vole à son secours à son tour, et son père confie sa fille chérie aux bons soins de ce dernier… Message anti-féministe et très patriarcal, complètement opposé à celui de Hans Christian Andersen.
A éviter donc. A cette version il me faudrait voir l’adaptation japonaise, qui semble plus proche du message original.