Membre du parti communiste français, directeur d’Alger Républicain de 1950 à septembre 1955, date à laquelle fut interdit ce quotidien donnant la paroles à toutes les tendances, Henri Alleg se heurte aux autorités au cours de ses nombreuses démarches effectuées pour lever cette censure pourtant reconnue par le Tribunal administratif comme tout à fait illégale.
En novembre 1956, il passe lui-même dans la clandestinité pour échapper à l’emprisonnement, comme bon nombre de ses anciens collaborateurs.
Le 12 juin 1957, il est finalement arrêté par les parachutistes de la 10e D.P. au domicile de son ami Maurice Audin, lui-même arrêté la veille et qui mourra sous la torture.
Il fait ici le récit des tortures dont il fut victime durant tout le mois de sa détention à El-Biar, dans la banlieue d’Alger, avant un premier transfert au « centre d’hébergement » de Lodi.
« Dans cette immense prison surpeuplée, dont chaque cellule abrite une souffrance, parler de soi est comme une indécence. » (incipit, p. 13)
S’il témoigne ici des sévices endurés, c’est pour être utile à la prise de conscience des autres Français, pour traduire ses tortionnaires devant la justice et pour empêcher que ces pratiques ne se poursuivent.
« Lo… m’attacha sur la planche : une nouvelle séance de torture électrique débutait. « Ce coup-ci, c’est la grosse Gégène », dit-il. Dans les mains de mon tortionnaire, je vis un appareil plus gros, et dans la souffrance même je sentis une différence de qualité. Au lieu des morsures aiguës et rapides qui semblaient me déchirer le corps, c’était maintenant une douleur plus large qui s’enfonçait profondément dans tous mes muscles et les tordait plus longuement. »
C’est en secret, lors de sa détention à Barberousse, la prison civile d’Alger, qu’Henri Alleg écrivit ce récit dénonçant l’utilisation de la torture par les militaires en Algérie, et qu’il le remit à ses avocats. Il relate dans ses moindres détails sa plongée dans l’horreur la plus insoutenable, ses tortionnaires se comparant eux-mêmes à la Gestapo, incapables de faire preuve de la moindre pitié, voyeurs et doublement retors pour cette « grosse légume » soutenant la cause de leur ennemi.
Publié en 1958 aux éditions de Minuit, ce témoignage est censuré en mars 1958. Le Canard enchaîné publie alors les photocopies, en petits caractères, des articles censurés en France, d’André Philip sur le raid de Sakiet, et de Jean-Paul Sartre, à propos de ce livre, lequel fut réédité en Suisse par Nils Andersson, deux semaines après. En choisissant la censure, le gouvernement français se faisait alors complice de l’institutionnalisation de la torture. Trop tard. Des milliers d’exemplaires avaient été vendus. Désormais on savait.
La quatrième de couverture, qui cite le psychiatre et philosophe allemand Karl Jaspers, nous donne elle aussi une leçon de devoir de résistance, universelle.
ALLEG, Henri. – La Question. – Paris, les Éditions de Minuit, 1958. In-16 (19 cm), 112 p. [D.L. 2358-58] -VIIf-. - Collection Documents.
Edition originale achetée au Marché aux livres, place du Martroi à Orléans. Vous pouvez lire le texte en ligne ou l’imprimer sur Algeria Watch.