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Poil de carotte ** suivi de La Bigote ** de Jules Renard (1894 ; 1909)

10.02
2007

Poil de carotte**
suivi de La Comédie en un acte qui porte le même nom,
d’une conférence
et de La Bigote**, comédie en deux actes

Préface d’André Fermigier

Je ne me souvenais absolument plus de Poil de Carotte, si ce n’est de son sobriquet, il me faut bien l’avouer à cette relecture. J’ai cru entamer un roman. Or Poil de Carotte revêt deux formes : l’une narrative, certes, mais sous forme d’épisodes douloureux, de correspondance entre M. Lepic et lui, de souvenirs obsessionnels ; l’autre étant une pièce de théâtre. Jules Renard façonne des phrases courtes, aux mots pesés et aux images bien senties, telles que « Accoudés, ils suivent du regard les galeries soufflées que creusent les taupes et qui zigzaguent à fleur de sol, comme à fleur de peau les veines des vieillards. » (p.55). A chacune de ses anecdotes la chute, rude, s’accompagne toujours d’une pointe d’humour, tel ce premier dîner que sert la jeune servante à la famille, dégainant le pain lorsque le père vient à en manquer, mais ce dernier sort de table : « Clouée, stupide, Agathe tenant sur son ventre la couronne qui pèse cinq livres, semble la réclame en cire d’une fabrique d’appareils de sauvetage. » (p. 78). Il en est d’autres, comme celle de cet aveugle dont se débarrasse Mme Lepic, qui dénoncent l’égoïsme des petits-bourgeois : « Puis elle le pince légèrement, afin de se venger un peu ; elle le pousse dans la rue, sous l’édredon du ciel gris qui se vide de toute sa neige, contre le vent qui grogne ainsi qu’un chien oublié dehors. » (p. 83).

Le narrateur s’arrange pour tourner en dérision tous les mauvais traitements que sa mère lui prodigue (sa propre m… qu’elle lui donne à manger par exemple), cherchant à ménager les esprits peu habitués à ce que l’on dise du mal d’une mère. A l’occasion, il fait preuve lui aussi d’une méchanceté sournoise envers les bêtes, plus faibles que lui, envers cette vieille servante qu’il contribue à jeter à la rue, tout comme son maître d’étude, jalousant l’attention dont son camarade de dortoir fait l’objet.

Plus concise, la pièce de théâtre qu’en fit Jules Renard met en scène davantage le triangle formé par le père, la mère et Poil de Carotte, triangle formé par l’absence de communication et d’amour.

A ce sujet, la conférence donnée par Jules Renard permet entre autres de saisir les enjeux et les choix inhérents à cette adaptation théâtrale.

La Bigote, enfin, est une comédie irrésistible, se jouant autour d’un mariage à conclure entre la fille Lepic et son prétendant, mis en garde par M. Lepic contre la place occupée par le curé dans un ménage.

Somme toute un bon moment.

Equatorium de Maxime N’Débéka

26.09
2005

Maxime N'Debeka

PIECE DE THEATRE

Guide-éclairé-père-de-la-nation veut écraser une rebellion et se couvrant de gloire devenir le chef d’état du pays. Pour ce faire, il fait appel au grand magicien douze-manières-trente-six -mains qui lui fait sacrifier et manger ses jumeaux, et épouser sa fille.

« Bien est pris qui croyait prendre » : un président qui n’hésite pas à tuer sa femme et ses enfants pour asseoir son règne va être la victime d?une sorte de «boule de cristal » qui lui désigne ses ennemis.

N’DEBEKA, Maxime. - Equatorium. – Présence Africaine, 1987. – 85 p.. – ISBN 2-7087-0488-5.

En complément, dans les Carnets de Rencontre, sa biographie et notre entrevue le mardi 19 mai 2004.

Les lendemains qui chantent de Maxime N’Debeka

24.09
2005

PIECE EN QUATRE ACTES

La première femme du village, épouse du Maître tout-puissant, apprend le retour de son neveu de la ville. Ce dernier, en pleine ascension politique, est chargé d’une mission par le gouvernement : celle de convaincre tous les habitants de la contrée, et donc le Maître et les Anciens, de couper les arbres au bois rare de leur forêt pour l’essor économique du pays. Le Maître disparaît, laissant les habitants perplexes. Son fils, qui devait un jour prendre sa succession, semble épouser les idées de son cousin. Seule la première femme reste fidèle à son mari au silence d’autant plus effrayant que d’abominables fléaux frappent le pays depuis.

Une pièce très engagée, aussi bien au niveau politique qu’écologique, marquant bien la division entre la ruralité attachée aux croyances, aux traditions et à la nature avec laquelle les villageois vivent en osmose, et la ville gagnée par le capitalisme colonisateur occidental. Un texte malgré tout très poétique et empreint d’un réalisme fantastique.

N’DEBEKA, Maxime.- Les lendemains qui chantent. – Présence Africaine, 1983. – 107 p.. – ISBN 2-7087-0417-6.

Maxime N’Debeka (2004)

08.10
2004

Entrevue avec Maxime N’Débéka le mardi 19 mai 2004 sur le théâtre africain

En 1963 naît un grand mouvement culturel qui s’impose dans la cité en 1964 : Maxime N’Débéka, dramaturge, metteur en scène, conteur et poète congolais, organise alors un festival à Brazzaville. En 1969, on lui confie un local, un secrétaire et une salle annexe avec des comédiens. Le théâtre n’existe pas. Il ne dispose que de 1400 Francs ! Il produit alors du théâtre, de la danse, du chant, tout en français. Il propose un théâtre d’action, qu’il écrit pour les autres, sensiblement différent du théâtre fossilisé, à la forme imposée, jouant inlassablement des classiques comme La Comédie Française. Il ne s’agit pas de prendre Molière tel quel mais d’y introduire les jurons du pays, par exemple. Il réagit en créant un centre de recherche dramatique : « On ne peut pas être un artiste si on n’est pas soi-même. » Comme Peter Brook, il pense que dans la vie, les gens dans l’ensemble réagissent et rient de tout leur être. Maxime N’Debeka a ainsi participé activement depuis 1969 à la vie culturelle de son pays mais s’est aussi beaucoup engagé pour l’émancipation civique de ses concitoyens – il a été condamné à mort, déporté et placé en résidence surveillée. Il est habitué à intervenir en public scolaire et habite depuis 1999 à Blois.

Il a été formé au Sénégal dans une école de formation des cadres de l’administration coloniale. Dans cette formation, il y avait le théâtre, théâtre voulu comme le véhicule de transmission de la culture française, …

« parce que, là-bas, c’était la barbarie. D’abord, là-bas, il n’y avait pas de civilisation, il n’y avait pas de culture. Parce qu’au niveau de la colonisation française, il fallait ASSIMILER, c’est-à-dire qu’il fallait transformer ce peuple colonisé, leur faire adopter la culture française, pour qu’ils deviennent des citoyens français, pour qu’ils n’aient plus rien d’eux-mêmes. D’ailleurs, à cette époque –là, dans leur formation, l’histoire africaine n’existait pas. La géographie n’existait pas. On apprenait l’histoire de France. On apprenait la géographie française, donc la France, nous, on la connaissait du bout des doigts. On avait chez nous un grand fleuve, le Congo, énorme, mais on le connaissait à peine. Le grand fleuve, dans nos têtes, c’était la Seine, la Loire. Figurez-vous alors que le jour où je débarque à Paris, à 16 ans, je vais tout de suite voir la Seine et que je suis très déçu ! Ça, un fleuve, mais c’est un cours d’eau !

On forme donc ces cadres au théâtre pour qu’ils puissent ensuite par le biais du théâtre combattre les idées archaïques, barbares. Donc le théâtre a un objectif, un but et une forme arrêtés ; c’est vraiment un recours éducatif. Il devait assurer une marche rapide et efficace de l’Afrique vers le modernisme et la sortir de l’archaïsme. Cette école a donc formé des lettrés, des enseignants, des médecins, qui allaient faire du théâtre. Là, le théâtre était pris comme au 19e siècle. Au 19e siècle, les gens de théâtre dominaient la société française, bien plus que les romanciers, plus confidentiels. Etre classe, c’était se rendre au théâtre, se montrer au théâtre.

Et je suis convaincu que pour faire bouger les choses, les liens communautaires, pour agir sur un groupe, cela passe par un rassemblement, une manifestation collective, la religion, les fêtes, et le théâtre rassemble les gens comme dans une église, et lance des messages.

Ensuite surviennent les Indépendances, d’abord avec la période de lutte pour les Indépendances et tout de suite après, les Indépendances. Et pendant cette période le théâtre va changer un peu sa thématique. Les écritures sont encore assez rigides (ce qui a été enseigné, ce qui vient de France, c’est ça ce qui est bien), mais maintenant, ce qui bouge, ce sont les contenus. Et là, c’est un retour vers les sources. On veut récupérer un petit peu les identités, les cultures qui ont été niées, bannies, rejetées, décriées, et c’est un mouvement qui démarre avec la négritude autour des années 48, avec Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, et puis Gontran de la Mas, le Guyanais. Un mouvement important apparaît donc pour parler de la culture noire. Nous sommes noirs, et chez nous, il y a aussi de belles choses, et ils vont commencer à écrire, à magnifier cette identité, cette culture africaine. Au théâtre aussi, il y a ce retour aux sources, et l’on commence alors à parler des figures emblématiques du passé. Comme Béatrice du Congo qui au 17e siècle va être brûlée vive par les Portugais, les curés, parce qu’elle avait osé soulever les gens, créer une église synthétique, et dire que Saint-Antoine, le Saint-Patron des Portugais, était noir. Elle a donc été brûlée vive comme Jeanne d’Arc. Et il y a des figures emblématiques comme Chacazoulou, grand guerrier qui va conquérir le Zimbabwe et va aller jusqu’en Afrique du sud.  Il y a Béanzin, une guerrière amazone, au Bénin. On fait donc passer ce message à travers le théâtre pour dire « nous avons été grands. On avait une histoire».  C’était extraordinaire de se découvrir, de se regarder, d’ailleurs c’est la fonction du théâtre. La différence entre les rassemblements religieux et le théâtre, c’est qu’à l’église, on ne se regarde pas, on regarde vers l’au-delà, on regarde celui qui prêche, le passeur, mais le théâtre, c’est un moment, un moyen de vous faire regarder le monde, les autres, et en regardant les autres, nous pouvons explorer le monde, la société, l’homme, les autres et nous-mêmes.  Le théâtre, dans toutes les sociétés, est important, d’autant plus que cette découverte, cette exploration se fait ensemble. Il y a ce que l’on reçoit ensemble, et il y a ce que chacun reçoit individuellement. Il y a quelque chose de profond et de magique dans le théâtre.

Après avoir revisité l’histoire, après avoir donné l’occasion aux gens de se regarder, de s’interroger, d’explorer leur société, leur propre moi, il va y avoir une autre phase vers la fin des années 60, le début des années 70. Et là, dans certains pays et particulièrement le Congo Brazzaville, le théâtre devient un instrument de la critique, de la dénonciation. Ce regard avant sur l’Afrique était idéalisé. On est malheureux aujourd’hui parce qu’on a été colonisé par des étrangers, mais depuis les Indépendances, c’est nous qui dirigeons, donc cela va aller mieux, et 10 ans après, il apparaît que le pouvoir en place donne une impression de désastre plus insupportable encore quand c’est un frère qui a soudain un poste et qui agit comme un colonialiste. A cette époque d’ailleurs j’ai écrit un texte qu’on a aimé ou pour lequel on m’en a voulu énormément. Après ces Indépendances, on n’a fait que noircir les fauteuils. Et bien évidemment, ceux qui étaient sur ces fauteuils m’en voulaient à mort. Ce théâtre va donc être un théâtre de la désillusion, du désenchantement, qui va se mettre à critiquer, à dénoncer, et va atteindre le roman. Et selon les théoriciens, le texte qui inaugure cette période, c’est le texte du Président que j’ai écrit en 68. Et à l’époque, quand j’écrivais, j’étais loin de penser que j’allais marquer un moment. Je constatais que la situation politique de mon pauvre pays était de plus en plus difficile. Et j’avais fait trois versions de ce texte, dont une comique, et finalement c’est la version dramatique que j’ai choisi de publier.  Et tout de suite après, il y a eu beaucoup de textes. Et quand ce texte est paru, il y a eu des articles dans Le Monde ou Le Monde diplomatique où on mettait en parallèle ce texte avec celui de l’écrivain sud-américain Asturias, El presidente, à un moment donné où il y avait aussi des dictatures.

Je citerai pour la toute première génération qui relance le théâtre africain : Bernard Dadié, Massam Ka Dian Diabaté, Jean Pliat.
Pour le théâtre du désenchantement, il y a des noms qui s’imposent : d’abord Bernard Dadier, qui est de Côte d’Ivoire, Bernard Zaïzaou avec L’Oeil, moi-même, Maxime N’Debeka, et beaucoup d’autres qui vont venir après.

Notre mouvement, dans les années 80, va venir s’imposer. Le théâtre est en train de naître. Le théâtre, ce n’est pas seulement le texte, mais aussi la dramaturgie, la mise en scène. Qu’est-ce que le théâtre africain ? Comment le jouer ? Par exemple, Bernard Zaïzaou n’a pas forcément de texte, mais incorpore le corps, entraîné par la musique, le chant. Le théâtre, c’est du spectacle, ce n’est pas seulement les mots, ce qui réduirait le théâtre au verbe, et on resterait à la conception du théâtre au 18e siècle français.
Ainsi, avant je pouvais écrire du théâtre sans penser à la scène. Mais aujourd’hui je ne peux pas démarrer les premiers mots si je n’ai pas les béquilles, si je n’ai pas dans ma tête déjà toute une composition, tout l’aspect physique.»