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Le joueur d’échecs de David Sala (d’après Zweig)

27.10
2017
cop. Casterman

cop. Casterman

 

New-York 1941 : embarquement à bord d’un paquebot pour Buenos Aires. Mirko Czentovic, champion du monde d’échecs, monte à bord. Dès son plus jeune âge, il a excellé exclusivement dans ce jeu. Le narrateur, piqué par la curiosité, fait en sorte que le richissime Mc Connor paie le champion pour jouer une partie contre eux. Mirko, bouffi d’orgueil, commence à les battre à plate couture jusqu’à ce qu’un homme intervienne, semblant connaitre toutes les configurations par coeur. Quand, à la fin de la partie, Mc Connor propose à l’inconnu de jouer seul contre le champion, ce dernier prend peur, disant que cela fait 25 ans qu’il n’a plus touché aux échecs, comme s’il se fût agi d’une drogue…

Un collègue scénariste envisageait lui aussi d’adapter Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig. On lui aura fauché l’herbe sous le pied ! Mais avec quel brio ! Je ne m’attarderai pas cette fois sur le scénario puisque l’adaptation de cette nouvelle de l’admirable Stefan Zweig me parait tout à fait bien vue, mais sur la mise en cases et en images de cette histoire. En effet, ses cases deviennent des tableaux, ses décors des illusions d’optique géométriques, ses vêtements des parures de Klimt et ses personnages des caractères de Schiele. Je suis sortie éblouie par cette mise en images toute en couleurs directes à l’aquarelle. Une vraie prouesse.

 

SALA, David

Le joueur d’échecs

Casterman, 2017

111 p. : ill. en coul.

EAN13 9782203093478 : 20 €

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig

23.03
2015

cop. Folio

 

On ne parle que de ça dans cette pension de famille située sur la Côte d’Azur : Madame Henriette, l’épouse d’un client et mère de deux enfants, est partie sur un coup de tête avec un jeune Français qu’elle connaissait depuis à peine vingt-quatre heures. Seul contre tous, le narrateur essaie de comprendre sans la juger cette femme qui, sur un coup de foudre, a fait fi du qu’en dira-t-on. L’écoutant la défendre, une vieille dame anglaise s’ouvre alors à lui d’un secret qu’elle garde depuis plus de vingt ans : un soir où elle se rendit au casino de Monte-Carlo, cette veuve rencontra un jeune homme de vingt ans enfiévré par le jeu au point de vouloir se donner la mort cette nuit-là. En voulant le sauver, elle fait tomber sa bonne éducation…

Enchâssée à l’intérieur du scandale de Madame Henriette s’enfuyant de sa vie d’épouse et de mère bien rangée sur un coup de tête, cette confidence sur la passion amoureuse qui peut naître en moins de vingt-quatre heure et changer à jamais la vie d’une femme permet à Stefan Zweig de dénoncer le carcan dans lequel est maintenu toute femme dans la bonne société. Il décrit également à la façon du Joueur de Dostoïveski la passion du jeu qui anime les mains et toute l’âme de ce jeune homme, que même la foi religieuse ou l’amour dévoué d’une veuve ne peuvent sauver. Mais ces Vingt-quatre heures, ce sont surtout vingt-quatre heures vécues plus intensément que toute une vie réunie, au travers desquelles la narratrice passe par les émotions les plus extrêmes : la peur, le doute, la bienveillance, la charité, la honte, l’amour passionnel, l’impatience, le désespoir, la désillusion. Vingt ans après, la vieille dame souffre encore de cette blessure, de ce coup de canif porté à son amour-propre de femme. Une aventure amoureuse vue sous le prisme psychologique, d’un suspens haletant. Un petit chef-d’oeuvre sur les ravages de la passion.

ZWEIG, Stefan.

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme = Vierundzwanzig Stunden aus dem Leben einer Frau.

Trad. De l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay et annoté par Jean-Pierre Lefebvre.

Gallimard (Folio bilingue, 192 ; 2015).

199 p.

EAN13 9782070461967 : 7 €.

 

Découverte inopinée d’un vrai métier de Stefan Zweig

15.03
2015

cop. Folio

De retour un matin de printemps à Paris, en 1931, un écrivain étranger, qui pourrait être  Zweig lui-même, s’attable à la terrasse d’un café pour y assister au spectacle des allées et venues des passants, quand il distingue parmi eux un individu semblant n’avoir d’autre but que de se mêler à cette foule…

Dans une lettre qu’elle adresse à son amie d’enfance, une dame raconte comment elle a pu s’acquitter d’une dette de jeunesse alors qu’elle dînait seule dans une auberge, où elle comptait passer deux semaines pour se reposer : elle y apprend que le vieil homme un peu mondain que méprisent les paysans du coin n’est autre que  l’ancien acteur de théâtre dont elles étaient follement éprises…

Deux nouvelles pour découvrir la magnifique plume de Zweig, qui brosse ici avec tendresse le portrait de personnages originaux d’ordinaire parias de la société, que sa connaissance de la nature humaine rend extrêmement attachants.
A chaque fois le narrateur passe de spectateur à acteur, détenant entre ses mains le sort de ces personnages dont la vie peut basculer à cause de lui ou grâce à lui.

La chute de la première est aussi amusante que celle de la seconde est touchante par sa générosité. De quoi faire sourire et donner un peu de baume au coeur.

Un vrai coup de coeur.

ZWEIG, Stefan.

Découverte inopinée d’un vrai métier suivi de La vieille dette.

Trad. De l’allemand (Autriche) par Isabelle Kalinowski et Nicole Taubes, annoté par Jean-Pierre Lefebvre.

Gallimard (Folio 2€, 5905 ; 2015).

113 p.

EAN13 9782070462674 : 2 €.

 

Les derniers jours de Stefan Zweig de Sorel & Seksik

31.07
2013
cop. Casterman

cop. Casterman

15 août 1941. Stefan Zweig, un des plus grands écrivains de la première moitié du XXe siècle, débarque pour vivre ses derniers jours au Brésil, ayant fui Dachau depuis février 1934, puis quitté Londres et maintenant New-York. Il souffre d’avoir trop bien prophétisé le grand massacre, d’être un trop fin analyste de l’âme humaine, d’être devenu un indésirable partout où il va. Il s’installe avec Lotte, sa deuxième jeune épouse asthmatique, non pas à Rio mais à Petropolis, un hâvre de paix dans la jungle, bâtie par des colons allemands. Mais Stefan Zweig, sexagénaire, ne peut goûter à ce paradis : ses pensées sans cesse partent outre-atlantique où le pire est en marche. Le 22 février 1942, il ne supporte plus les nouvelles qui lui arrivent d’Europe :

« Aucune histoire ne peut rivaliser avec le drame que vivent les nôtres. Hitler est l’auteur de millions d’insurpassables tragédies. » (p. 51)

Quand il apprend la solution finale, il choisit d’imiter Kleist, dont il a fait l’éloge dans son essai, et de se donner la mort avec Lotte, après avoir écrit son autobiographie, où il évoque davantage une Europe révolue que sa propre individualité.

L’adaptation des derniers mois de vie du grand écrivain est amplement réussie. Le dessin, les couleurs, les angles de vue rendent admirablement bien compte des pensées sombres et tourments de Stefan Zweig, qui ne parvient plus à profiter de la vie aux couleurs éclatantes du Brésil ni à croire en la beauté de l’âme humaine. A quoi bon survivre pour vivre en exilé ? Le personnage de Lotte n’est pas en reste : fragile car asthmatique, jalouse de la première femme de Zweig, elle aime du haut de ses trente printemps avidement la vie, mais moins que Stefan Zweig, dont la lucidité la fait vite redescendre vers une réalité plus dure. Plus qu’une biographie d’écrivain, la fin belle et tragique d’une histoire d’amour célèbre.