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Stanislas Gros – 4

26.04
2014

stanislasgrosJ’ai eu le plaisir en décembre dernier de faire l’interview de Stanislas Gros, auteur des bandes dessinées Le Dernier jour d’un condamné, Le Portrait de Dorian Gray et La Nuit, autour d’un café dans son QG, la brasserie face à la cathédrale d’Orléans. Voici le compte-rendu de notre entretien en plusieurs parties. Ici la dernière :

 

As-tu des thématiques fortes qui te tiennent à cœur ?

Les rapports de classe, la bourgeoisie très riche d’un côté et les pauvres de l’autre. A part Le Dernier jour d’un condamné où Hugo prend parti très discrètement pour les bourgeois, sinon dans Le Portrait de Dorian Gray, j’ai ajouté ce thème. J’ai beaucoup utilisé dans Le Dandy illustré l’idée de se distinguer du vulgaire, d’avoir l’air plus raffiné que les autres, alors que ce sont des notions complètement fluctuantes. C’est lié à un comportement de classe.
Un autre thème me tient particulièrement à cœur, sans avoir encore eu l’occasion d’être développé jusqu’à présent : c’est le féminisme. A la fin du Portrait de Dorian Gray, j’ai donné par exemple le beau rôle à Lady Monmouth, capable de faire taire un philosophe approximatif. C’est une amie américaine qui m’a dit que j’avais fait quelque chose de féministe. A partir de là, j’ai eu une vraie prise de conscience. Cela remet beaucoup en cause. C’est une façon différente de penser la société, les rapports homme-femme, la virilité. Et j’essaie de ne plus laisser passer quelque chose de sexiste. J’ai voulu faire ça avec La Nuit. J’ai aussi essayé de contacter des scénaristes femmes, par exemple (…). C’est probablement le sujet qui va le plus revenir et qui me force le plus à réfléchir quand j’écris une histoire.

Est-ce difficile de vivre de son art lorsqu’on est dessinateur ? Dans quels autres domaines exerces-tu ton art ?

Oui, c’est difficile. Après, je me contente de peu. Les choses m’arrivent toujours un peu par hasard, cela s’enchaîne. Vu mon incapacité à me vendre, j’ai vraiment beaucoup de chance. Des auteurs m’ont encouragé et m’ont directement mis en relation avec les éditeurs. Il y a aussi ces dessins que je faisais pendant les concerts, on m’a proposé de les exposer, et j’en ai vendus. De même ensuite avec mes aquarelles. Ou des gens me demandent des illustrations.

banniereStanDans quel sens penses-tu que les codes de la bande dessinée peuvent éclater avec le support numérique ?

Pour l’instant, cela ne bouge pas vraiment, à part le blog de Boulet, même si son blog ressemble à des pages de BD. Cela n’a pas encore d’influence sur la BD. Sinon il y a Turbomedia, où des supports numériques permettent en cliquant de passer d’une case à la suivante. Mais cela n’est pas révolutionnaire non plus. De la même façon, Schuiten avec La Douce propose un gadget interactif sur Internet, mais cela ne change rien à la bande dessinée elle-même. Ces BD pourraient exister sans Internet, cela ajoute un truc, mais pas grand-chose au final. A la fin, on a un album avec des pages qu’on tourne, et une mise en page ordinaire en gaufrier.

Stanislas Gros travaille actuellement sur deux projets, chacun mettant en scène un artiste célèbre français sans pour autant qu’il s’agisse tout à fait de biopics. Les contrats n’étant à cette heure pas encore signés avec les éditeurs intéressés, nous n’en dirons pas davantage… A suivre donc.

BIBLIOGRAPHIE

1) Le dernier jour d’un condamné  de Victor Hugo  / coul. de Marie Galopin. - [Paris]  : Delcourt , 2007 .- 47 p.  : ill. en coul., couv. ill. en coul.  ; 30 cm .- (Ex-libris). –  ISBN 978-2-7560-0533-1 (rel.) : 9,80 €.
2) Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde / coul. de Laurence Lacroix. – Delcourt, 2008. – 63 p.. – (Ex Libris). – ISBN  978-2-7560-1120-2.
3) La nuit. - Paris  : Gallimard , 2011. – 92 p.  : ill. en coul.  ; 25 cm . - (Bayou). - ISBN 978-2-07-062954-1 : 16 €.

SUR INTERNET
son blog : http://stanislasgros.blogspot.fr/
son site : http://www.stanislasgros.com/
et sa page Facebook 

Stanislas Gros – 3

19.04
2014

stan

J’ai eu le plaisir en décembre dernier de faire l’interview de Stanislas Gros, auteur des bandes dessinées Le Dernier jour d’un condamné, Le Portrait de Dorian Gray et La Nuit, autour d’un café dans son QG, la brasserie face à la cathédrale d’Orléans. Voici le compte-rendu de notre entretien en plusieurs parties. Ici la troisième :

 

Quelles sont tes habitudes de travail ? Dans quel lieu ?

Ici, dans cette brasserie face à la cathédrale d’Orléans. J’ai tendance à dessiner au café, en fait. Cela s’est imposé à moi petit à petit. La moitié de mon travail, c’est de créer une ambiance détendue pour pas que je sois trop stressé quand je dessine. La solution jusqu’ici c’est de dessiner au café.

stanislasgrosAvec quel matériel ?

Le Dernier jour d’un condamné, je l’ai dessiné au Pentel, un pinceau rechargeable, et au crayon papier. Le Portrait de Dorian Gray, je l’ai dessiné au stylo à bille comme sur mon blog, et un peu pour faire référence aux dessins au trait de Beardsley. Cela s’est révélé une technique assez fastidieuse au final, donc je ne recommencerai pas. Pour mon troisième album, La Nuit, je l’ai dessiné au Pentel, sans crayon cette fois. L’idée à chaque fois c’était de m’adapter au sujet. Pour Le Dernier jour d’un condamné, le gris c’était pour montrer la saleté des cachots. Si j’avais utilisé le pinceau tout seul j’aurais obtenu quelque chose de bien plus propre. La Nuit est vraiment venue de la technique que j’avais envie d’utiliser : j’ai décidé d’imaginer une histoire qui se déroulerait la nuit pour utiliser le mieux la technique qui me plaisait le plus. C’est l’outil qui est à l’origine de la BD.

Qu’est-ce que tu apprécies le plus dessiner : les personnages, les décors ?

Les personnages, les attitudes et les expressions. C’est ce qui correspond au jeu d’acteur en fait. Je dois être une sorte de comédien contrarié.

banniereStan

Comment qualifierais-tu ton style pour quelqu’un qui ne te connais pas ?

C’est souvent très épuré. Je travaille beaucoup l’expression des visages, la mise en scène et la mise en page. Je réfléchis à ce que j’ai à dire et je l’exprime de la manière la plus efficace possible. Le moins de traits possible pour exprimer un maximum de choses.

A l’aide de bulles et d’illustrations assez proches de l’horizon d’attente du lecteur, tu insères dans le récit du Portrait de Dorian Gray, avec beaucoup de goût et d’à propos, d’innombrables références intertextuelles : à Friedrich Nietzsche (Lord Henry), aux traits de Greta Garbo, au poème Les Bijoux de Charles Baudelaire, aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, à Huysmans (tortue incrustée de pierres précieuses), aux préraphaélites (Ophélie), à Audrey Beardsley, et aux photographies de Lewis Hine. Est-ce là tes sources d’inspiration de prédilection ? Quelles sont les autres ?

C’est le sujet qui amène les références. Le dandysme, c’est un sujet qui devait me tourner autour, sans que je m’y intéresse. Si j’ai choisi Le Portrait de Dorian Gray, c’est parce que je m’étais dit que visuellement cela devrait être intéressant. Ce qui est marrant, c’est que cela a pris beaucoup de place dans ma vie, d’abord avec cette identité sur le net. Du coup, mes amis et mes lecteurs se sont mis à me parler de dandysme.

Après Le Portrait de Dorian Gray, je m’étais dit que je ferai un truc sans documentation, ce qui a donné La Nuit. Bien entendu, je n’ai pas vraiment réussi car il y a des références, notamment au Chevalier, la mort et le Diable de Dürer et à la tapisserie de Bayeux.

Je préférerais l’éviter, mais il est difficile de travailler sans tenir compte de tout ce qui a déjà été fait sur le sujet. Souvent ça participe à la psychologie des personnages, ça renforce une idée, ça permet de donner un chemin.

Pour La Nuit, publié chez un autre éditeur, Gallimard, tu as également imaginé intégralement le scénario. Tu réussis à nous faire entrer dans un univers médiéval assez sombre et fantastique doté d’un humour un peu décalé, sans tomber dans les poncifs du genre. Comment as-tu eu l’idée de cet album ?

L’idée, c’était de partir de ce que dessine le mieux, la nuit. Ensuite j’ai pensé aux personnages qui pourraient être réveillés la nuit au lieu de dormir. J’avais fait cet hommage à Donjoni, où il y avait une histoire de chevalier aussi. Et puis, cette idée de village me vient d’Astérix, qui m’a beaucoup marqué enfant, en créant dans ce monde imaginaire la possibilité de dénoncer des sujets actuels – la société de consommation, la religion,… Je voulais faire Astérix dans un monde médiéval, je voulais déconner et au final, on me dit que je fais de la poésie, ce qui me fait plaisir. Cela m’arrive souvent de vouloir faire l’imbécile et que les gens me disent que c’est poétique ou philosophique.

Cette série de bande dessinées, créée par Lewis Trondheim et Joann Sfar (Delcourt, 1998), est une parodie de l’univers heroic fantasy du jeu de rôle Donjons et Dragons.  

La suite samedi prochain.

Stanislas Gros – 2

12.04
2014

stan

J’ai eu le plaisir en décembre dernier de faire l’interview de Stanislas Gros, auteur des bandes dessinées Le Dernier jour d’un condamné, Le Portrait de Dorian Gray et La Nuit, autour d’un café dans son QG, la brasserie face à la cathédrale d’Orléans. Voici le compte-rendu de notre entretien en plusieurs parties. Ici la seconde :

 

A la fois l’auteur et le dessinateur de tes trois albums, tu as commencé par deux adaptations de classiques littéraires. Si mes informations sont exactes, Jean David Morvan, auteur et directeur de la collection Ex-libris, a remarqué son travail sur ton site et t’a alors confié l’adaptation de ce grand classique de la littérature française tombé dans le domaine public, et ce pour un tout premier album ! Comment cela s’est passé exactement ? Pourquoi cette commande en particulier ?

Copyright Delcourt

Copyright Delcourt

Les dessins que je mets sur mon blog sont souvent très sombres. J’utilise beaucoup de noir. La raison est que j’ai beaucoup dessiné dans des fanzines, et je voulais que mon trait soit visible en noir et blanc. La meilleure solution était d’utiliser de grands aplats noirs. Jean David Morvan avait en tête d’adapter Le Dernier Jour d’un condamné et que je fasse les dessins, mais quand il a vu que je m’en chargeais aussi, il m’a laissé faire. 

 

 

Ta première adaptation était donc une commande, et tu as proposé la seconde. Quelles sont les difficultés auxquelles tu as pu te confronter en adaptant une œuvre célèbre sous la forme d’un scénario de bande dessinée ?

La première est un texte très court, très visuel, qui a été très facile à adapter en bande dessinée.

La seconde, adaptée d’Oscar Wilde, s’est révélée beaucoup plus compliquée.

Le portrait de Dorian Gray - dédicaceC’est énormément de dialogues, et en plus formulés par des gens assis. On ne peut pas faire une bande dessinée toute entière avec des gens qui sont assis et qui parlent. Ce serait ennuyeux, et Oscar Wilde ne l’est pas. Paradoxalement, pour ne pas le trahir, j’ai reconstitué l’action à partir de dialogues, ajouté des scènes et repris certains de ses bons mots. Une autre difficulté d’Oscar Wilde, c’est que la morale de ses histoires reste tout de même très représentative de son époque victorienne puritaine. Il y a certes beaucoup de sous-entendus sexuels mais il n’y a qu’un seul meurtre. Or, pour que le portrait de Dorian Gray s’enlaidisse, il fallait qu’on le voit véritablement commettre de mauvaises actions. J’ai donc ajouté des choses en reprenant des citations de Nietzsche (Par delà le bien et le mal) au milieu de celles d’Oscar Wilde, par exemple lorsque Harry dit à Dorian qu’il aimerait rencontrer quelqu’un qui avait déjà tué. Du coup ça élargit la vision du Mal, la morale de l’histoire. J’ai aussi rendu plus explicite le côté dépensier de Dorian, en montrant qu’il se moquait de la charité. Et, alors que Wilde est misogyne, j’ai également donné un rôle plus important à Lady Monmouth, qui se moque de la philosophie de Harry et humilie Dorian, lequel décide de tuer le portrait. C’est une grosse modification par rapport au roman. L’éditeur voulait une adaptation fidèle, les dix premières pages le sont à la lettre, mais mon excuse pour être infidèle ensuite, c’était cette idée du flipbook ou folioscope en bas à droite de chaque double-page. Pour intégrer le portrait à chaque fois, j’avais besoin qu’il se passe des choses dans l’intervalle et que cela serve de chute. Personne ne me l’a reproché, d’autant que j’ai pioché dans des références nobles, comme Nietzsche, mais aussi Les Liaisons dangereuses, A Rebours de Huysmans. J’ai censuré l’empoisonnement de l’âme de Dorian par un livre jaune, car je ne trouve pas l’idée très opportune de la part d’un écrivain. En revanche, le roman dont s’est inspiré Oscar Wilde, c’est A Rebours de Huysmans, qui est une référence de la littérature de dandy. C’est là-dedans que l’on trouve une tortue dorée incrustée de pierreries, et deux-trois autres idées que j’ai récupérées.

D’ailleurs, pendant cette période, j’avais lancé sur mon blog cette histoire de dandy illustré, où je me moque du personnage qui fait des symphonies avec son orgue à bouche, ses barils à liqueurs, lequel deviendra, dans un esprit plus poétique et plus du tout de mépris aristocratique, un piano à cocktails chez Boris Vian. Cette idée de dandy illustré aurait pu faire un album, mais je ne l’ai pas fait.

Quelle est la marge de liberté que tu te laisses pour ce genre de scénario ? Quelles libertés as-tu prises ? Au niveau des dialogues, des personnages, des détails iconographiques ?

Le portrait de Dorian Gray d'Oscar WildeJ’aurais préféré être encore plus libre. Il y a un film qui a adapté Le Portrait de Dorian Gray au même moment, et ce qui est curieux, c’est que le scénariste Toby Finlay a procédé à quelques rapprochements similaires, notamment avec Les Liaisons dangereuses, le suicide d’une jeune femme qui devient une Ophélie, et l’ajout à la fin d’une féministe qui est carrément une suffragette, en pantalon. Il a pu prendre au final plus de libertés que moi. Par exemple, j’aimerais bien adapter La Chartreuse de Parme, mais alors très librement (…).

Pour Le Dernier jour d’un condamné, j’avais envie de gommer toutes les références à la France du 19e siècle, sachant que Hugo voulait faire un texte universel, qui parle à tous, quels que soient l’époque ou le pays. J’aurais fait des costumes peu identifiables dans un décor neutre historiquement. Finalement, j’ai fait un mélange de références au Moyen-Âge, au 19e, et à aujourd’hui. Pour la prison, par exemple, je n’ai pas essayé d’être réaliste mais d’être le plus proche possible du texte de Victor Hugo. En revanche, pour que l’on reconnaisse bien la place de Grève, l’endroit où on décapitait les prisonniers, je suis allé dessiner l’Hôtel de ville à Paris. Je me souviens que c’était en août, pendant Paris plage, et qu’à la place de la guillotine, il y avait un filet de beach volley, et à la place de la tête qui tombe, un ballon. 

banniereStan

Pour les deux albums, tu as confié les couleurs à quelqu’un d’autre. Pour quelle(s) raison(s) n’as-tu pas suivi ton ouvrage jusqu’au bout, puisque tu en es à la fois scénariste et dessinateur ?

Généralement c’est l’éditeur qui décide. J’ai eu un droit de regard, mais j’aime bien aussi lâcher prise. J’ai laissé la coloriste s’exprimer, à part sur les couleurs symboliques générales : dans Le Portrait de Dorian Gray, le milieu puritain était en tonalité bleue, le milieu décadent en vert. Dans le milieu de la BD, qui est encore assez masculin, c’est souvent l’homme qui dessine et la femme qui colorie.

La suite samedi prochain.

Stanislas Gros

05.04
2014

stanJ’ai eu le plaisir en décembre dernier de faire l’interview de Stanislas Gros, auteur des bandes dessinées Le Dernier jour d’un condamné, Le Portrait de Dorian Gray et La Nuit, autour d’un café dans son QG, la brasserie face à la cathédrale d’Orléans. Voici le compte-rendu de notre entretien en plusieurs parties :

Quand as-tu ressenti le désir de devenir dessinateur ? Et spécifiquement auteur de bande dessinée ?

Comme tous les enfants j’ai dessiné à la maternelle. Sauf que moi j’ai continué et que les autres enfants sont passés à des choses plus sérieuses. En fait, je n’étais pas très très bon en classe (c’est lui qui le dit), sauf en dessin. C’est ma scolarité qui a décidé pour moi.

Quel fut ton parcours avant de publier ton premier album ?

Copyright Delcourt

Copyright Delcourt

Cela n’a pas été une super idée de penser que j’allais m’en sortir grâce au dessin car ça a été un peu long. J’ai d’abord passé un bac A3 puis fait les Beaux-Arts, sûrement par manque d’imagination, et je n’y suis pas resté très longtemps. A l’époque, les Beaux-Arts ne voyaient pas d’un très bon œil la BD, mais il y avait une section illustration. Je me souviens surtout d’un cours de sémiologie, cela m’a frappé, cette idée d’interpréter le sens des images, et je crois l’appliquer de mieux en mieux. Ensuite je suis parti des Beaux-Arts au bout de deux ans, sans avoir fini le cycle, et j’ai vécu de petits boulots. Je dessinais et essayais de me faire éditer. Cela a été très très long. C’était le début des blogs des dessinateurs, auxquels s’intéressaient les éditeurs. J’en avais moi-même créé un. Jean David Morvan, scénariste à succès, a vu mes dessins et est devenu directeur de collection chez Delcourt. Il m’a proposé de faire Le Dernier Jour d’un condamné. Et faire une adaptation de littérature, c’était vraiment la dernière chose que je pensais faire un jour.

Qu’est-ce que ton blog t’a apporté par la suite ?

C’était aussi la mode de faire son autobiographie en BD. Sur les blogs on racontait un peu son nombril. Je n’aimais pas trop ça en fait, je me suis forcé un peu, j’ai fait quelques pages, de petites histoires où je me mets en scène. Le blog m’a permis de faire des choses que je n’aurais pas faites autrement. L’idée, c’est aussi d’y essayer des trucs parfois un peu bizarres. Il y même un OUBAPO qui se consacre à cela. Le blog, c’est aussi travailler régulièrement, dans l’urgence. Du coup il y a sûrement beaucoup de déchets, mais je me suis amusé.

banniereStan

Quand on consulte ton blog, Le Ravi (http://stanislasgros.blogspot.fr/), et que l’on fait ta connaissance, on remarque que tu t’es construit une identité visuelle très forte. Comment souhaites-tu que l’on t’identifie en tant qu’auteur ?

L’identité visuelle n’a pas été fabriquée, elle est venue naturellement. Je me souviens qu’une fois j’avais fait un dessin pour une pochette de disque, pour des amis, qui avaient vu sur mon blog ma silhouette en train de prendre un café, avec ma chemise rayée. Ils en avaient fait un logo qu’ils avaient aligné avec les autres petits logos. Je ne l’avais vraiment pas fait exprès, mais maintenant, je me dis que je pourrais mettre ça à la fin de mes albums, comme une signature.

La suite samedi prochain.

La nuit de Stanislas Gros

19.10
2011

A voir la couv’, il s’agirait à première vue d’une histoire de chevalier, un rien mélancolique. Bingo ! Sauf qu’au coeur de cette nuit médiévale, ce chevalier de retour d’une bataille n’est pas le héros de l’histoire, bien loin de là, mais il partage la vedette avec un arbalétrier maladroit, son épouse et son amant fortuné, la mystérieuse sorcière surnommée Saturnia, et… des morts sortis de leur tombe. Mais cette nuit enseignera à tous ces personnages quel a été et quel est leur destin, ainsi que la nature des liens qui les réunissent…

Stanislas Gros s’est essayé pour ce troisième album, après les adaptations des grands classiques du Dernier jour d’un condamné et du Portrait de Dorian Gray, à l’écriture de l’ensemble, scénario et illustrations. On retrouve son coup de crayon assez naïf dans le traitement des personnages, auxquels il accorde une attention égale. Mais il innove réellement en réutilisant plusieurs fois la même case dans deux chapitres consécutifs pour montrer des points de vue différents de l’histoire. Par ailleurs, il sait alterner les passages graves à d’autres plus légers, comme il se garde bien de conclure par un happy end ou une fin moralisatrice et préfère nous offrir une histoire restée ouverte, en demi-teinte :
du coup,  pour ce premier album sorti complètement de son imaginaire, il réussit à nous faire entrer dans un univers assez sombre et fantastique doté d’un humour un peu décalé, sans tomber dans les poncifs du genre.

 

GROS, Stanislas. - La nuit. - Paris  : Gallimard : Bayou , 2011 .- 92 p.  : ill. en coul.  ; 25 cm .- (Bayou). - ISBN 978-2-07-062954-1 : 16 €.
Allez donc jeter un oeil sur le blog de Stanislas Gros, Le Ravi.
Du même auteur, chroniqués dans Carnets de SeL :

Le dernier jour d’un condamné de Victor Hugo ** de Stanislas Gros (2007)

23.03
2011

Copyright Delcourt

Dans Le Dernier Jour d’un condamné (1829), Victor Hugo évoque, comme le titre de son roman l’indique, les dernières semaines d’un condamné à mort, dont il ne décline ni l’identité ni le crime pour lequel il a été jugé, de manière à lui donner une portée universelle. En décrivant ses cauchemars, ses angoisses et ses souffrances, Hugo écrivait alors un véritable plaidoyer contre la peine de mort, qui ne sera pourtant aboli en France qu’en 1981.

Double challenge pour Stanislas Gros à qui Jean-David Morvan (auteur et directeur de la collection Ex-libris, qui avait remarqué son travail sur son site) a confié l’adaptation de ce grand classique de la littérature française tombé dans le domaine public, et ce pour un tout premier album !

Pari réussi, même si personnellement, l’imprécision des dessins, des contours des personnages me gêne un peu : comment en effet ne pas éprouver d’empathie pour ce condamné à mort, prenant les traits de Victor Hugo, dont on peut lire les monologues intérieurs, les répliques cyniques et voir sa compagne de tous les instants, celle qui le hante et l’attend, la mort ?! Une adaptation fidèle à l’esprit du roman, qui fait froid dans le dos.

Stanislas Gros a sorti un second album *** depuis, pas sur commande cette fois, où il a adapté l’univers fantastique, où il semble plus à l’aise du Portrait de Dorian Gray.

Le dernier jour d’un condamné  de Victor Hugo  / scénario et dessin, Stanislas Gros  ; couleur, Marie Galopin. - [Paris]  : Delcourt , 2007 .- 47 p.  : ill. en coul., couv. ill. en coul.  ; 30 cm .- (Ex-libris). –  ISBN 978-2-7560-0533-1 (rel.) : 9,80 €.

Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde *** de Stanislas Gros (2008)

23.12
2009

« Oui, ce tableau est beau… Et il le restera éternellement, tandis que moi, je vais devenir vieux et laid… Si seulement on pouvait être le contraire… Pour cela je donnerais mon âme ! » (p. 8).

Basil Hallesarb peint un magnifique tableau de son ami Dorian Gray, inspiré par sa grande beauté. Lord Henry, son autre ami fortuné, dont le cynisme attire ou scandalise dans les cercles mondains, lequel « ne dit jamais rien de moral et ne fait jamais rien d’immoral« , va alors fortement et durablement influencer Dorian Gray : « Pourtant, le seul moyen de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y céder. (…) Vivez ! Osez pleinement la vie merveilleuse qui est en vous ! » (p. 7).

Porté par sa curiosité et son égoïsme, Dorian Gray va donc devenir cruel, alors que seul son portrait, soigneusement dissimulé aux regards, va porter le poids de tous ses péchés, la beauté et la jeunesse de son visage, elles, ne s’en trouvent pas altérées : »Vous avez excité en moi, Harry, une curiosité qui croit à mesure qu’elle trouve à se satisfaire… Plus j’en sais, plus je désire en savoir : mes appétits sont furieux, et en s’assouvissant deviennent plus voraces encore ! » (p. 32)…

Stanislas Gros, dans la préface, énumère un certain nombre de citations sur l’artiste et sur le XIXe siècle, comme celle de ne pas confondre l’art et son sujet. Car en effet, l’auteur  adapte ici librement un roman fantastique célèbre, celui d’Oscar Wilde, où le personnage principal atteint le paroxysme de l’immoralité, sans pour autant que son auteur ait voulu en faire l’apologie, bien au contraire. En rendantl’intrigue plus concise, en offrant un raccourci saisissant du destin de Dorian Gray, le scénariste rend plus frappante encore la déchéance morale du protagoniste. D’ailleurs, il n’y a qu’à feuilleter rapidement la bande dessinée, et l’on verra son portrait, sur la vignette au bas de chaque planche à droite, s’enlaidir et vieillir en quelques secondes.

Enfin, à l’aide  de bulles et d’illustrations assez proches de l’horizon d’attente du lecteur, Stanislas Gros insère dans le scénario, avec beaucoup de goût et d’à propos, d’innombrables références intertextuelles : à Friedrich Nietzsche (Lord Henry), aux traits de Greta Garbo, au poème Les Bijoux de Charles Baudelaire, aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos,  à Huysmans (tortue incrustée de pierres précieuses), aux préraphaélites (Ophélie),  à Audrey Beardsley, et aux photographies de Lewis Hine. Sincèrement, à lire cette bande dessinée, on en vient à prendre des distances avec les préceptes hédonistes et individualistes de Nietsche repris par Michel Onfray, dont on perçoit ici à quelles extrémités ils peuvent aboutir.

Un vrai coup de coeur.
Une bande dessinée pour adultes et adolescents aimant la littérature ou l’époque de la fin du 19e siècle, qui constitue une excellente idée cadeau !

« Et puis j’aime le secret. La chose la plus banale devient délicieuse dès l’instant où on la dissimule… » (p. 4)

« Eh bien, les gens d’aujourd’hui sont charitables, ils nourrissent les affamés, vêtent les mendiants, mais ils ont oublié le plus important des devoirs : l’épanouissement de soi. Ils ont peur d’eux-mêmes, de Dieu, de la société… » (p. 7)

« la société civilisée n’est jamais portée à rien croire de négatif sur le compte des gens riches et séduisants. Elle sent d’instinct que les manières comptent plus que la moralité. » (p. 38)

Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde / sc. et dessin de Stanislas Gros, coul. de Laurence Lacroix. – Delcourt, 2008. – 63 p.. – (Ex Libris). – ISBN  978-2-7560-1120-2.