Mots-clefs ‘solidarité’

Les solidarités mystérieuses de Pascal Quignard

11.12
2011

 

cop. Gallimard

A l’occasion de funérailles, Claire retourne dans sa ville natale, en Normandie, y croise son ancien professeur de piano et son premier amour, devenu maire, et finit par tout quitter Versailles, son métier de traductrice, pour s’installer dans sa ferme abandonnée, de la même manière qu’elle a quitté il y a bien des années de cela son mari et ses deux filles, à peine nées. Du haut de la falaise, elle s’unit aux éléments, à cette terre, à cette mer, et aussi à Simon, celui qu’elle a toujours eu dans la peau… jusqu’au jour où l’une de ses amies appelle son frère, Paul, pour lui porter secours…

« J’étais émerveillé devant la solidité du lien qui les unissait. Rien de ce que l’un ou l’autre pouvait faire n’était capable d’altérer l’affection qu’ils se portaient. Rien de ce qu’ils avaient pu connaître au cours de leurs métiers, mariages, démissions, divorces, ni le frère ni la soeur ne voulaient l’examiner. Et surtout, en aucun cas ils n’auraient voulu le juger. Ce n’était pas de l’amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n’était pas non plus une espèce de pardon automatique. C’était une solidarité mystérieuse. » (p. 185)

En fait de solidarités mystérieuses, Jean, le compagnon prêtre de Paul, évoque ici les liens forts qui unissent un frère et une soeur, à ne pas confondre avec l’amour passionnel qui unit et désunit Claire et Simon, ou l’amour qu’essaient de retrouver l’une pour l’autre une fille, Juliette, pour sa mère. Ni avec un autre, celui de l’attachement viscéral à un territoire, à une terre qui a vu grandir Claire.

Comme dans Villa Amalia, Pascal Quignard évoque une relation homosexuelle, sans s’appesantir dessus, mais surtout, il reprend le thème de la fuite. Car ici aussi, l’idée de fuite est omniprésente et traitée de manière positive : l’héroïne ne fuit pas une situation, mais elle tourne la page là encore, elle va de l’avant, elle cherche dans la fuite un moyen de se retrouver. Et, pour cela, une fois encore, elle s’accomplit dans la solitude, la fusion avec les éléments naturels. Sauf qu’ici elle tend à s’oublier dans un amour passionnel. C’est donc un beau roman, oui, par les thèmes qu’il aborde, à la langue sobre et simple, mais peut-être aurait-il fallu élaguer davantage pour qu’il monte en puissance, certains longueurs se faisant ressentir, surtout vers la fin.

Vous pouvez l’écouter en parler ici :


Interview de Pascal Quignard by carnets de sel

ou ici :

Bien aimé

Les solidarités mystérieuses / Pascal Quignard
[Paris]  : Gallimard , 2011.- 251 p. ; 21 cm
ISBN 978-2-07-078479-0 : 18,50 €

Gouverneurs de la rosée ** de Jacques Roumain (1946)

12.09
2005

cop. éd. Le Temps des cerises

Manuel rentre de Cuba où il fut envoyé pour travailler dans les plantations. Sur le chemin du retour, il rencontre Annaïse, une belle noire, qui change de visage à l’annonce de son nom. C’est que, lui apprennent ses parents, non seulement la famine et la désolation planent désormais sur leur village, mais, pire, qu’une vieille haine a scindé Fonds-Rouge en deux. Mais Manuel ne compte pas baisser les bras et s’en remettre aux divinités implorées. A Cuba, il a appris la grève, la volonté, la solidarité. Il part à la quête d’une source, qui redonnerait vie aux jardins brûlés par la sécheresse, dont le chantier d’irrigation reposerait sur le pardon des villageois.

Gouverneurs de la rosée est un titre qui à lui seul annonce tout à la fois l’engagement politique et la richesse poétique de ce roman posthume. En fait, Jacques Roumain a forgé cette expression à partir de la traduction littérale du créole haïtien « èt lawouze », littéralement «maître de l’arrosage», désignant le gestionnaire de l’’irrigation de toute une communauté. Publié pour la première fois en France en 1946, probablement avec l’aide d’Aragon, ce roman majeur de la littérature haïtienne a pris une dimension internationale, prônant des valeurs universelles telles que l’altérité, la solidarité, chères au communisme. Nonobstant, Jacques Roumain a su dégager sa spécificité linguistique et poétique, faisant balancer son lecteur au rythme chaloupé de la langue créole haïtienne, lui faisant respirer le parfum d’un amour interdit, brossant au sein d’un paysage écrasé par la chaleur des portraits de paysans haïtiens hauts en couleurs. Un très beau texte à valeur de symbole.

ROUMAIN, Jacques. – Gouverneurs de la rosée. – Le Temps des Cerises, 2004. – 202 p. ; 20 cm.. – ISBN : 2-84109-234-8 : 14,48 €.