Mots-clefs ‘roman noir’

Autres lieux et autres nouvelles ** de Didier Daeninckx (1993)

20.03
2011

Copyright Librio

On sait combien les lieux sont importants pour Didier Daeninckx. Il se crée une interaction entre ses personnages et les quartiers où ils vivent.

Quartier du globe. A partir d’une vieille photo datant des années 50, représentant un jardin ouvrier et une bicoque, le narrateur reconstitue le puzzle des identités des personnes qui y figurent, et exhume le parfum d’un paradis perdu… Sur une île de la Seine, un homme a été assassiné, l’enquête piétine tandis qu’on déloge une SDF de la tanière qu’elle s’est façonnée en récupérant de l’électroménager… Un fou s’installe un jour dans la maison abandonnée au bord de la falaise et lui redonne vie, jusqu’au jour où il se fait agresser par un adolescent… En Alsace, le corps d’Isabelle Fisch est retrouvé dans la forêt, frappé, soûlé, violé, puis attaqué par les animaux de la forêt où on l’a laissé : ses parents refusent d’accepter le non-lieu d’une enquête bâclée… En pleine guerre, le survivant d’une escouade se retrouve enfermé dans un blockhaus… Un taulard sort de prison et conduit ses acolytes à la cache de leur butin… Une vieille femme meurt, laissant un cent cinquante mètres carrés à un célibataire qui le vide entièrement et tombe sur une pile de 437 lettres de dénonciation, commençant en 1937… Rodolphe, Marie-Claire et leurs enfants habitent une tour dont ils se font déloger un beau matin par les CRS, alors qu’ils payaient un loyer…

Didier Daeninckx gratte le non-dit de ce qui ne mérite jamais que trois-quatre lignes parmi les faits divers, et lève le voile sur une réalité sociale et politique pas très glorieuse… Huit nouvelles situées aux quatre coins de la France composent ce recueil, parlant d’hier et d’aujourd’hui, huit nouvelles qui tirent autant de flèches contre la bétonnisation des banlieues, l’exclusion sociale, la discrimination raciale, les violences sexuelles, la délation, etc.

Didier Daeninckx a réussi son coup : il est difficile de ne pas sortir révolté par une telle lecture.

Autres lieux :  nouvelles / Didier Daeninckx. - Paris  : J’ai Lu , 1995.- 93 p.  : couv. ill. en coul.  ; 21 cm .- (Librio  ; 91). - ISBN 2-277-30091-8 (br.) : 10 F

Daeninckx par Daeninckx ** de Thierry Maricourt (2009)

18.03
2011
« 

Copyright Franck Crusiaux/Gamma

Né le 27 avril 1949, ayant grandi à Saint-Denis puis à Stains, fils de parents divorcés, avec une famille d’anarchistes d’un côté, libres et solidaires, vivant dans des jardins ouvriers arborés, et des gens vraiment bolcheviques de l’autre, travailleurs, dans le béton de HLM, Didier Daeninckx en a gardé cette attention constante en direction de la vie de petites gens, et cet esprit de révolte qui l’a poussé à écrire.

« J’écris uniquement quand ça va mal, sur les choses qui me font réagir, me révoltent. Je n’arrive pas à écrire sur la beauté des choses. Peut-être plus tard, quand je deviendrai sage… J’écris non pas sur le fait divers brut, mais sur le fait divers qui a une résonance plus large, le fait divers qui parle très fort d’un malaise. » (p. 83)

« Le moteur de mes fictions est la colère, l’injustice toujours endémique, toujours recommencée. » (p. 84)

Renvoyé à 16 ans, le jour de sa rentrée en seconde, du lycée technique Le Corbusier d’Aubervilliers, et par contre-coup mis à la porte de chez lui par sa mère, Daeninckx va travailler douze ans comme ouvrier imprimeur. Et puis un beau jour, lassé par ce boulot répétitif, il démissionne, et c’est en 1977, pendant ses trois mois de chômage, qu’il écrit son premier roman, Mort au premier tour, que les éditeurs ont refusé.

« Si je suis devenu écrivain, c’est que j’étais lecteur, enfant. Lecteur de romans. C’est avant tout Martin Eden, de Jack London. Pour une part, c’est grâce à ce bouquin, à cet écrivain, que j’écris. » (p. 56)

Il vit alors de quelques petits boulots avant d’être engagé comme journaliste local à 93 Hebdo, métier qui l’aide à comprendre les mécanismes de l’écriture. Il fait alors le choix d’un vocabulaire peu compliqué, d’une structure de phrase épurée au service de l’émotion, en incorporant « des bribes, des échos du réel« , et surtout d’un point de vue : quel point de vue adopter dans chaque roman, celui d’un jeune Kanak ou d’un visiteur de l’exposition coloniale dans Cannibale, celui d’un policier dans Itinéraire d’un salaud ordinaire ? Ses personnages se situent souvent rejetés dans la marge sociale, souvent associée à une marge géographique (banlieue, Nord,…).

« J’ai choisi d’écrire dans les marges de la littérature et de vivre dans celles de la ville, en banlieue. Aubervilliers fait corps avec ma vie, avec ce que j’écris. » (p. 32)

« Dans mes livres, j’essaie de mêler l’intime des personnages à l’endroit où ils évoluent. Corps et décors se répondent. Les personnes sont modifiées par les lieux où elles vivent. » (p. 43)

Il dit ne pas retravailler son texte, issu d’un premier jet, car tout ce qu’il écrit, il l’a d’abord essayé dans sa tête, et préfère le genre de la nouvelle, qu’il a abordé depuis 1985.

« Aujourd’hui, je me lève tôt et je travaille ainsi : pendant deux tours d’horloge, je me pose des tas de problèmes sur mon histoire ; je fais un break de même durée, puis je repars ; et ainsi de suite. Et c’est souvent en allant m’aérer que je trouve les solutions.

Le matin, tôt, reste un moment privilégié. J’écris toujours dans la même pièce, encombrée de livres, de dictionnaires, de revues, de coupures de presse, de photos, de tout un bordel non rangé, non classé. Je me perds dix fois par jour dans ce fatras, à la recherche d’un document que je ne trouve pas, mais le chemin de cet échec me permet de croiser toute une série d’informations qui viennent se glisser dans le texte en cours. Comme quoi, il y a du retour dans l’aléatoire. » (p. 81-82)

Il affirme également écrire de vrais faux romans policiers car ce qui l’intéresse, c’est davantage les techniques du genre qu’il utilise pour que l’enquête sur la vie du personnage qui vient de mourir « en soit également une sur l’Histoire et sur la mémoire collective. » (p. 111) : « Je conçois le roman comme un révélateur, traquant les failles de la mémoire collective. » (p. 118).

« Mes romans fouaillent l’Histoire. Tous sont conçus de cette manière : la rencontre d’un individu sans importance avec l’irruption du fleuve tempétueux de l’Histoire. » (p. 214)

Suivent des explications de la plupart de ses romans et recueils de nouvelles, dans l’ordre chronologique, avec une attention accrue pour Meurtres pour mémoire, pilier de son oeuvre, et des réflexions en tant qu’écrivain « impliqué », « concerné » plutôt qu »engagé », dans la mesure où il ne souhaite pas faire passer un message politique, mais donner la parole à un tas de gens qui ne l’ont pas eue, et dont il raconte l’histoire.

Ce livre rassemble ici toutes les réponses aux questions que l’on pourrait se poser sur Didier Daeninckx et son oeuvre. Au final il confirme l’impression que nous donnait la lecture de son oeuvre… « impliquée » : celle d’un type qui a su rester simple, celle d’un homme bien.

Daeninckx par Daeninckx [publié par] Thierry Maricourt /Paris  : le Cherche midi , 2009 .- 310 p. ; 22 cm .- (Collection Autoportraits imprévus). - Bibliogr. des oeuvres de D. Daeninckx p. 297-304. - ISBN 978-2-7491-1096-7 (br.) : 17 €.

Blacksad : l’Enfer, le silence * de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido (2010)

12.10
2010

Tome 4 de la série Blacksad

Scénario de Juan Diaz Canales

Dessin et couleur : Juanjo Guarnido

A la Nouvelle-Orléans, notre chat-détective est engagé par un vieux producteur, un bouc nommé Faust, soigné par une espèce de guenon vaudou, pour retrouver un pianiste drogué, qu’il considère comme son fils…

Cinq ans après le troisième tome, voici enfin le nouveau Blacksad : une superbe couverture bleue, un scénario sombre mené par un chat-détective, une atmosphère digne des polars américains style La Moisson rouge de Dashiel Hammett, des couleurs aux tonalités ocres sur lesquelles tranche le bleu du pianiste et la variété éclatante du carnaval, des personnages magnifiques. Mais… Il y a un « mais » : l’histoire, non dénuée d’intérêt, ne m’a pourtant pas captivée.

Un site consacré à la série Blacksad, avec l’interview des auteurs,  ici.

Dargaud, 2010. – 56 p. : ill. en coul. ; 32 cm. – ISBN 978-2-2205-06313-4

Le tailleur gris d’Andrea Camilleri

28.10
2008

cop. Métailié

Titre original : Il tailleur grigio (2008)

« Quand elle décidait comment se vêtir, elle n’avait pas de repentir. Sauf que, étrangement, les gestes qu’elle faisait pour se vêtir s’avéraient beaucoup plus provoquants que ceux d’un striptease. Si, par exemple, elle enfilait un pantalon, les mouvements sinueux de son bassin et de ses flancs mimaient impitoyablement un autre mouvement. » (p. 32)

Un ancien directeur de banque, complètement déstabilisé par son premier jour de retraite, reporte toutes ses pensées vers sa jeune et ravissante épouse trentenaire, Adele, que veuf, il a épousé en secondes noces.  Il regrette de ne plus pouvoir assister à son rituel de la salle de bain, accordé à d’autres, comme ce Daniele, ce « neveu », grand, beau et blond, accueilli sous son propre toit, tandis qu’il se retrouve exilé à l’autre bout de la villa. Il devine d’ailleurs les manoeuvres de sa femme pour le savoir occupé ailleurs. C’est peine perdue puisqu’il apprend le lendemain qu’il a une tumeur…

Nulle enquête dans ce nouveau titre de Métailié noir, car l’énigme n’est autre qu’une femme, celle du narrateur, ou plutôt non, car ce dernier la devine trop bien, et la voit venir, avec ses stratégies machiavéliques, jusqu’au jour où on lui apprend le cancer de son époux. Se serait-il trompé à son sujet ? L’aimerait-elle ? Ici, l’auteur sicilien de La disparition de Judas (2002) et de La Pension Eva** (2007) préfère placer le suspens au coeur de la sphère privée, même si la mafia n’est pas loin. L’énigme est d’autant plus cruelle à résoudre, le narrateur étant on ne peut plus lucide sur son mariage sans amour avec une femme plus jeune que lui, avec qui il ne peut espérer partager ses années d’oisiveté de retraité. On pourrait le plaindre, mais non, et puis quoi encore : quand on n’a vécu que pour son travail sans savoir à quoi occuper son temps libre, et que l’on épouse quelqu’un uniquement pour sa jeunesse et sa beauté, pourquoi s’étonner de s’ennuyer à la retraite et de voir sa femme lui préférer des hommes plus jeunes ? Peu d’empathie donc pour le narrateur. Nonobstant, l’originalité du noeud de l’intrigue placé dans l’intimité du couple mérite d’être saluée. A ne pas offrir à un retraité.

CAMILLERI, Andrea. – Le tailleur gris / trad. de l’italien par Serge Quadruppani. – Métailié, 2009. – 135 p.. – (Bibliothèque italienne). – ISBN 978-2-86424-701-2 : 16 €.

Romanzo criminale de Giancarlo De Cataldo

04.03
2006

 

cop. Métailié

Un vieil homme est laissé pour mort dans la rue par les voyous qui l’ont tabassé. Dans la même nuit, il retrouve la trace de ses agresseurs jusque dans leur repaire et, après avoir chuchoté à leur chef son nom, le faisant alors trembler de peur, il le tue.

C’est ainsi que s’ouvre ce roman fleuve de plus de 500 pages narrant l’épopée de 1977 à 1992 d’une authentique organisation criminelle à la tête de laquelle le Libanais et le Froid imposent leur loi sur Rome. Juge à la cour d’assises de Rome, Giancarlo de Cataldo nous conte la sombre histoire de la « bande de Magliana », en campe les protagonistes hauts en couleurs qui ont quadrillé tout Rome en ces années noires de terrorisme et de corruption, brosse le portrait de Patrizia, pute de luxe, femme fatale aux pieds de laquelle se jettent le Dandy et Scialoja, un flic qui dès le début jure la perte du gang mafieux.

Un roman noir, dont l’épaisseur pourrait en décourager plus d’un, aux personnages particulièrement bien fouillés : à réserver aux amateurs du genre.

Une adaptation cinématographique du roman existe.

 

DE CATALDO, Giancarlo. – Romanzo criminale / trad. de l’italien par Serge Quadruppani et Catherine Siné. – Métailié, 2006. - 584 p.. – (Grand écran). – ISBN 2-86424-562 : 23 €.

La Cité des Jarres * d’Arnaldur Indridason (2005)

12.11
2005

Un vieil homme est retrouvé assassiné chez lui. Son meurtrier a laissé derrière lui un étrange message griffonné qui commence par rendre perplexe l’inspecteur Erlendur avant de l’inciter à suivre la piste d’une ancienne photo retrouvée coincée dans le bureau du défunt, celle de la tombe d’une enfant de quatre ans. Au fil de son enquête, Erlendur exhume et rassemble le puzzle de tragédies vieilles de quarante ans : la victime n’est plus celle que l’on croit, mais toutes celles qui ont pu croiser le chemin de ce vieillard amateur d’immondes films pornographiques…

Roman noir à l’atmosphère désenchantée obsédante, La Cité des Jarres transporte son lecteur sous le ciel gris d’un décor islandais, aux relents d’odeurs d’égoûts et de crimes impunis. Admirablement orchestré, ce roman d’investigation islandais fait osciller le lecteur entre les soucis personnels d’Erlendur en conflit avec sa fille droguée, la fugue énigmatique d’une jeune mariée, la souffrance de victimes de viols que la société sinon elles-mêmes culpabilise, ou encore celle de perdre un enfant. Un polar efficace, évoquant avec finesse des sujets sensibles que bien peu se risquent à traiter sans tomber dans le pathos.

INDRIDASON, Arnaldur. – La Cité des Jarres / trad. de l’islandais par Eric Boury. – Paris : Éd. Métailié, 2005. – 286 p. ; 22 cm. – (Bibliothèque nordique). – ISBN 2-86424-524-8 : 18 €.

Un commentaire sur l’ancien blog.