Mots-clefs ‘relation père-enfant’

So phare away d’Alain Damasio

08.02
2015

 

cop. Gallimard

Il y a des jours où ce que l’on fuit vous poursuit : le coeur lourd, les idées noires, j’ai voulu me les changer précisément, ces idées, en savourant d’avance ma projection dans un futur plus ou moins proche orchestrée par Alain Damasio, dont j’avais apprécié La Zone du dehors. Las ! La première nouvelle m’a littéralement heurté de plein fouet là où cela faisait mal, la seconde a continué son ouvrage et la dernière achevé. Jugez-en par vous-même :

Dans Annah à travers la Harpe, un père vient trouver Le Trépasseur dans l’espoir de faire revenir des morts sa fillette de deux ans renversée par une voiture…

Dans So Phare away, Farrago perce la Nappe avec son phare pour communiquer avec Sofia, juchée en haut de son autre phare, à l’autre bout de la Ville. Parfois, tous les six mois, au péril de sa vie, le phartiste parvient à la rejoindre, à l’occasion d’une marée. Un jour, elle veut à tout prix annoncer à Farrago qu’elle est enceinte…

Dans Aucun souvenir assez solide, un père essaie de se souvenir de sa femme et de sa fillette de trois ans pour pouvoir refabriquer un monde avec elles…

Les deux nouvelles qui ouvrent et ferment ce recueil crient l’impossibilité du deuil, la douleur de perdre un être cher, qui plus est ce qu’il y a sûrement de plus attendrissant au monde : une fillette de deux-trois ans (soit l’âge de ma propre fille). Grâce aux souvenirs d’un père en souffrance, ces deux mondes du futur auraient le pouvoir de faire revenir d’entre les morts sa fille, bien vivante pour le premier, visible dans une réalité numérique pour le second. La plus longue, So phare away, et la plus intéressante, n’en est pas moins intimiste : dans une Ville minérale où deux amants ont choisi la verticalité et la solitude lumineuse des phares, grâce auxquels ils communiquent, la distance qui les sépare, cette horizontalité, cette asphalte tantôt fluide tantôt dure, traversée par un trafic incessant et par des poussées inopinées d’édifices, va finalement déchirer cet amour.

Trois belles nouvelles inventives, mais d’une tristesse !

D’autres n’ont pas paru en souffrir : des lectures plus détaillées et plus élogieuses sur les blogs Fin de partie et Systar.

 

DAMASIO, Alain.

So phare away et autres nouvelles.

Gallimard (Folio 2€, 5897 ; 2015)

102 p.

EAN13 9782070462216 : 2 €.

Le guide du mauvais père de Guy Delisle

26.06
2013
cop. Shampooing

cop. Shampooing

 

Quand on est père de deux enfants, qu’est-ce qu’on est censé faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire ? Eh bien, sûrement pas ça ! Et c’est bien pour cela que les dessins de Guy Delisle, qui s’est fait un nom avec ses reportages BD, tout droit issus de la ligne claire, sont  pleins d’une ironie percutante.

Mes préférées ? Celle où la petite tend un dessin à son père dessinateur, et cette autre avec le corn flakes n’est pas mal non plus, dans le genre père indigne.

Pas vraiment un guide, mais plutôt des saynètes parentalement incorrectes, et donc furieusement drôles. Irrésistible !

 

 

 

 le-guide-du-mauvais-pere

 

 

Le jeu des ombres de Louise Erdrich

24.02
2013

cop. Albin Michel

« Après avoir pas mal cherché, je suppose, tu as trouvé mon agenda rouge. Tu t’es mis à le lire pour découvrir si je te trompais. Le second, que l’on pourrait appeler mon véritable agenda, c’est celui dans lequel je suis en train d’écrire. » (p. 9)

La narratrice, Irene America, entame ainsi un vrai journal secret en lieu sûr, en parallèle du rouge qu’elle ne destine plus qu’à la curiosité de son mari… qui a une fois de plus violé son intimité. Car Gil, son époux, est devenu célèbre en peignant sa femme, belle amérindienne, dont il est follement épris, dans des poses souvent érotiques, parfois humiliantes. Des tableaux que l’aîné de leurs trois enfants découvre en cachette sur internet, dont chacun se souvient en croisant le couple dans les soirées mondaines. Irene va alors vouloir s’amuser en utilisant ce carnet pour manipuler son époux…

Louise Erdrich est actuellement l’une des voix qui comptent outre-Atlantique. Elle signe ici un remarquable thriller psychologique sur l’enfer conjugal, le drame d’un couple prêt à voler en éclats, et brosse en filigrane le portrait d’une Américaine amérindienne comme elle, écrivant une thèse sur George Catlin, le peintre des Indiens, qui a sillonné l’Ouest américain au début du XIXe siècle. Construite en huis-clos, cette histoire de manipulation devient franchement insoutenable lorsque la narratrice en arrive aux dernières extrémités pour rompre avec son époux, qu’elle a cessé d’aimer depuis la naissance du cadet. Un père que l’on sait passablement violent avec ses enfants, dont il n’a pas su se faire aimer. Une histoire attractive – répulsive en diable, que j’ai lu d’une traite, un suspens qui fonctionne bien donc, les meilleurs passages restant ce passé qu’invente dans les détails la narratrice, mais sans cette qualité d’écriture qui m’aurait davantage convaincue.

Un thriller idéal par ce temps froid, au coin du feu.

 

 

 

 

Mon petit mari de Pascal Bruckner

17.06
2012

cop. Grasset

Une fable moderne imaginée à partir de L’Homme qui rétrécit

Dans un couple, l’homme se doit d’être plus grand que sa femme, sous peine de voir sa virilité en prendre un sacré coup, aux yeux de tous, y compris de ses enfants. Alors que dire du beau Léon, 1,66 m., marié à la rutilante Solange, 1,80 m., qui continue à perdre 39 cm à la naissance de chaque enfant, le quatrième le laissant réduit à la taille d’un orteil, et ô combien vulnérable…

Hélas, Pascal Bruckner manque de chance puisque j’adore le formidable roman de Richard Matheson, écrit il y a plus de cinquante ans, L’Homme qui rétrécit***, et que j’ai revu l’adaptation à laquelle il avait lui-même procédé au cinéma. Et le verdict est là : dans la lignée des oeuvres parcourues par ce même thème de l’homme confronté à un changement de proportion (Swift, Matheson et beaucoup d’autres avant lui), cet énième roman ne fait vraiment pas le poids !

C’est peut-être voulu, me direz-vous : la comédie se veut légère, la fable moderne, symbolisant le mal-être actuel de ces hommes qui ne savent plus où se trouve leur place, qui ont leur part des tâches et qui pouponnent, perdant dans leur mariage et leur paternité leur virilité. C’était déjà frapper à la mauvaise porte, ce genre de considération me semblant plus sexiste qu’autre chose.

« Léon faisait le tour du propriétaire, se disait : Tout ça est à moi ! Ouah, je suis riche. La Corpulente le fascinait. Il grimpait vers son visage, traversait la longue plaine qui sépare le haut des seins de la base du cou, se hissait, grâce à quelques plis judicieusement placés, jusqu’au promontoire du menton et s’asseyait en tailleur juste en dessous de la bouche. Il promenait alors le faisceau de sa torche sur le paysage tel un touriste assis au pied d’une pyramide. Quelle merveille que cette femme ! » (p. 122-123)

Au demeurant, Pascal Bruckner s’est très probablement inspiré de certains épisodes du roman de Matheson pour construire son intrigue, déclinant sur un ton humoristique ce que le premier avait fait vivre de manière tragique à son protagoniste : le désir sexuel, l’interrogation sur ce qui fonde le rôle éducatif du père, la menace de l’animal domestique, le recours à une maison de poupée à sa taille,… tous ces éléments ont été repris et développés, faisant de ce « petit roman » quelque chose de tendre, de cruel et de divertissant, émaillé de blasons du corps féminin. Enfin, sa jolie couverture qui en fait un bel objet m’empêcherait presque de m’en séparer pour qu’il aille courir sa chance chez d’autres lecteurs. Bref, une lecture qui pourrait être sympa si vous n’avez pas en tête ses précurseurs.

Vous trouverez des critiques plus élogieuses chez Lily et ses livres et dans Le journal d’une lectrice.

Grasset, 2007. – 211 p.. – ISBN 978-2-246-73141-2 : 13,90 €.

Nous ne serons jamais des héros ** de Salsedo & Jouvray (2010)

29.06
2011
« La dernière fois qu’on s’est causé, il a carrément dit qu’il ne comprenait pas comment il avait pu mettre au monde un raté et une petite bourgeoise psychorigide ! » (p. 10) :

Pas facile, dans ces conditions, d’accepter d’accompagner dans un tour du monde son père rendu veuf et infirme depuis un accident de voiture… si ce n’est avec la promesse d’être payé en compensation. Mais ce tour du monde, en l’occurrence, s’avère être non seulement un voyage dans le temps, vers un passé où il avait découvert ces pays et rencontré ces gens aux côtés de sa femme….  mais aussi une dernière chance pour renouer des liens avec lui, et mieux le comprendre.

Tant par le dessin que par le scénario, les auteurs ont réussi à tirer de ce thème rabattu des relations conflictuelles entre un père et un fils reposant sur l’absence de dialogue et de connaissance de l’autre, une belle histoire pleine de sensibilité.

 

Nous ne serons jamais des héros / [dessin de] Salsedo ; [scénario de] Jouvray ; [couleurs de] Salsedo. – le Lombard, 2010 . – 84 p. : ill. en coul., couv. ill. en coul ; 32 cm. – ISBN 978-2-8036-2705-9 : 15,50 EUR.

Le fils du pauvre ** de Mouloud Feraoun (1950)

20.02
2011

Copyright Points/Hulton archives/Getty Images

Instituteur, le narrateur (qui n’est autre que Mouloud Feraoun lui-même) décide de se peindre comme le firent avant lui Montaigne, Rousseau, Daudet et Dickens. Rien que ça.

Le Fils du pauvre décrit son enfance dans une ville kabyle de deux mille habitants, Tizi, pendant l’entre-deux-guerres.

Chaque chapitre est consacré à un sujet précis : après la description de son village, des classes sociales qui y sont visibles, et de l’intérieur des habitations, le narrateur présente les occupations quotidiennes des différents membres de sa famille, de son oncle et de ses tantes, les questions de mariages, de jalousies et d’héritages, comment ils cohabitent entre eux, avant de faire le récit quasi-autobiographique de fils choyé par rapport à ses soeurs, de sa vie d’écolier et de collégien, avant son départ pour l’École normale.

« Je ne sus le nom de chacune de mes tantes qu’après les avoir bien connues elles-mêmes. Le nom ne signifiait rien. C’était comme pour mes parents. Je me rappelle avoir appris avec une surprise amusée, de la bouche de ma petite cousine, que son père s’appelait Lounis, le mien Ramdane, ma mère Fatma, la sienne Helima. Je compris tout de suite, cependant, que c’étaient les autres qui les désignaient ainsi et que dans la famille nous avions des mots plus doux qui n’appartenaient qu’à nous. Pour moi, mes tantes s’appelaient Khalti et Nana. » (p. 46-47)

Au travers du roman c’est tout un témoignage d’une vie rude que l’on découvre. Comme le titre l’indique, la famille du narrateur vit de peu, de figues, d’olives, de blé, rarement de viande si ce n’est pour l’aïd ou pour complaire au chef du village lorsqu’il y a conflit entre deux familles. Sa famille vit de quelques bêtes, figues et olives. Seul le père travaille sur un chantier, puis au champ, rentré chez lui. Ses tantes travaillent l’argile pour la poterie et la laine.

Il est aussi question d’éducation d’un fils, et comment les garçons sont élevés comme de petits dieux dans leur famille, avec toute la discrimination sexuelle que cela induit :

« J’étais destiné à représenter la force et le courage de la famille.

Lourd destin pour le bout d’homme chétif que j’étais ! Mais il ne venait à l’idée de personne que je puisse acquérir d’autres qualités ou ne pas répondre à ce voeu.

Je pouvais frapper impunément mes soeurs et quelquefois mes cousines : il fallait bien m’apprendre à donner des coups ! Je pouvais être grossier avec toutes les grandes personnes de la famille et ne provoquer que des rires de satisfaction. J’avais aussi la faculté d’être voleur, menteur, effronté. C’était le seul moyen de faire de moi un garçon hardi. Nul n’ignore que la sévérité des parents produit fatalement un pauvre diable craintif, gentil et mou comme une fillette.(…) » (p. 28)

D’éducation à l’école aussi, et comment l’enfant décide, après avoir redoublé sa deuxième classe, de devenir bon élève, et comment l’adolescent s’applique studieusement à réussir ses études pour devenir instituteur, et ne pas retourner travailler au champ.

Enfin ce roman résonne aussi de toute la tendresse d’un petit garçon pour ses tantes qui connaîtront une fin tragique, pour sa famille et surtout pour son père, qui se saigne aux quatre veines pour lui et sa famille, partant endetté pour la France, lui permettant de partir faire des études alors qu’il se retrouve seul à assumer la charge de travail pour nourrir sa famille :

« Ce repas, sous l’oeil dédaigneux des hommes, fut un supplice pour moi. Kaci et Arab se moquaient de ceux qui ne savaient pas élever leurs enfants. L’allusion était directe, je rougissais et je pâlissais. Je me disais, pour diminuer ma faute, que mon père n’avait pas faim. Mais je dus me détromper car, en rentrant à la maison, je lui trouvai, entre les mains, mon petit plat en terre cuite, orné de triangles noirs et rouges. Ce jour-là, il retourna au travail le ventre à moitié vide, mais il grava, une fois pour toutes, dans le coeur de son fils, la mesure de sa tendresse. » (p. 71)

Un livre devenu culte de cet écrivain qui fut assassiné par l’OAS à Alger le 15 mars 1962.
Le fils du pauvre / Mouloud Feraoun. – Paris : Éd. du Seuil, 1995. – 145 p. : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Points ; 180). - ISBN 2-02-026199-5 (br.) : 29 F.
Emprunté au CDI
Écrivain algérien de langue française (Tizi Hibel, Grande Kabylie, 1913 - El Biar, Alger, 1962).

Charles ** de Plessix & Dieter (1995)

09.02
2011

Copyright Delcourt

Entouré de sa femme, de ses enfants et de Gilbert, son basset hound, Julien retrouve une certaine sérénité. C’est alors qu’il reçoit un appel de sa mère lui annonçant que son grand-père n’en a plus pour très longtemps et qu’il aimerait revoir son fils. Or ce dernier, le père de Julien, a abandonné les siens il y a très longtemps pour tenter sa chance aux Etats-Unis. Il ne l’a jamais connu. Julien se lance donc à sa recherche et finit par le retrouver sur sa route. Il le surprend en train de trahir un homme Noir qui a cherché refuge dans sa grange, en le livrant à une meute d’hommes enragés, dont il semble faire partie…

Cette série méritait bien une seconde chance (lire Grisnoir), et ce dernier tome, particulièrement réussi, en est la preuve. L’homme que redécouvre Julien est resté meurtri par son séjour dans les camps de déportation. Et c’est en mémoire de ce passé qu’il n’a pas pu pas rester les bras croisés en découvrant le racisme qui gangrène l’Arkansas. Une histoire forte qui clôt avec intelligence la série de Julien Boisvert.

Charles / scénario, Dieter et Plessix ; dessins, Michel Plessix…. – [Paris] : Delcourt, 1995 (Impr. en Belgique). – 48 p.-[16] p. de pl. : ill. en coul., couv. ill. en coul. ; 32 cm. – (Julien Boisvert. ; 4). - ISBN 2-84055-036-9 (rel.) : 78 F.