Mots-clefs ‘relation mère-fille’

Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro

03.03
2018
cop. Gallimard

cop. Gallimard

 

Niki, la fille cadette d’Etsuko, délaisse Londres quelques jours pour venir passer quelques jours chez sa mère à la campagne. Elle s’éloigne de la chambre depuis longtemps déserte de Keiko, sa demi-soeur, qui, après avoir quitté la maison depuis plusieurs années, vient de se pendre dans son appartement. Ne la portant apparemment pas dans son coeur, elle n’a pas souhaité assister à son enterrement, tout comme Keiko n’est pas allée à celui de son beau-père. La vue d’une petite fille jouant à l’extérieur, alors qu’elles sont allées prendre un thé, rappelle à Etsuko une autre fillette, qu’elle a connu au Japon alors qu’elle était enceinte de Keiko, après la guerre. Une fillette souvent seule, révoltée et traumatisée par la vision d’une mère noyant son bébé après la guerre…

J’avoue avoir préféré me dispenser de lire ce roman jusqu’au bout. Déjà un peu refroidie par l’annonce du suicide de la fille aînée de la narratrice dès l’incipit, j’ai abdiqué lorsque les traumatismes de la fillette livrée à elle-même sur le terrain vague sont ressortis. Quand on est soi-même mère, il y a certaines histoires qu’on ne préfère plus lire ou regarder. Nonobstant on reconnait tout à fait le style et les non-dits qui caractérisent l’écriture d’Ishiguro, dont je viens de lire Auprès de moi toujours, qui m’a beaucoup plu. Mais alors que pour le précédent, horrible d’une toute autre manière, le suspens m’avait donné envie de le lire d’une traite, ici, je n’ai eu aucunement envie de connaitre le fin mot de ce drame.

Le choix d’Ivana de Tito

22.02
2012

cop. Casterman

Lorsqu’Ivana apprend en 2008, comme tout le monde à la télé, l’arrestation de Radovan Karadzic, elle semble être avec sa grand-mère la seule à accuser le coup, alors que tous se réjouissent de ce parfum de page enfin tournée sur la guerre et ses atrocités. Au contraire, elle part en quête d’informations mystérieuses, dussent-elles être obtenues en faisant le ménage dans des locaux d’une association la nuit, après son travail. Quand enfin elle les trouve, elle prend des congés et rassemble ses économies et celles de sa grand-mère pour partir à Milan…

On connaissait de Tito sa série Tendre banlieue, le voici revenu à la bande dessinée adulte, abordant toujours un drame au coeur de son histoire, mais cette fois prenant corps dans l’Histoire. Même si les dessins de Tito sont peu attirants, l’intrigue, qui semble s’inspirer, en bien moins tragique, du Choix de Sophie de William Styron, se révèle à la fois captivante et poignante.

TITO. – Le choix d’Ivana. – Casterman, 2012. – 64 p. : ill. en coul. ; 32 cm. – EAN13 9782203041189 : 15 €.

Laver les ombres de Jeanne Benameur

23.10
2011

 

cop. Actes Sud

« Laver les ombres, en photographie,  signifie « mettre en lumière un visage pour en faire le portrait. »"

Léa, âgée de trente-huit ans, travaille à corps perdu, car elle a fait de sa passion son métier : elle est danseuse et chorégraphe. Il y a pourtant deux ombres dans sa vie : jamais encore elle n’a pu construire de relation amoureuse, et pourtant elle l’aime Bruno, son artiste qui ne rêve que de la peindre, mais elle ne parvient pas à s’abandonner à l’amour ; et puis, il y a la place vide au premier rang laissée par sa mère qui pas une fois n’est venue assister à l’un de ses spectacles. Aurait-elle besoin de l’amour de sa mère pour prendre confiance en son propre amour ? D’ailleurs, Léa a installé le corps de sa mère dans sa dernière création, sa vieillesse, et aussi sa mort. Alors quand au téléphone sa mère lui souffle qu’elle a des choses importantes à lui dire, Léa part aussitôt la rejoindre en pleine tempête…

« A la fenêtre, elle regarde les passants qui se hâtent. On marche toujours plus vite quand il pleut. C’est drôle, pense-t-elle, le front appuyé à la vitre, on s’immerge dans la mer facilement et on fait tout pour éviter juste quelques gouttes du ciel. Pourtant c’est bien toujours notre peau, la même, qui reçoit l’eau. En ville, est-ce qu’on fuit la pluie parce que tout le corps n’y est pas ? La sensation de l’eau glissant dans le cou suffit à glacer tout le reste. Il n’y a qu’à regarder les nuques rentrées dans les épaules de ceux qui se hâtent sur les trottoirs. » (p. 17)

Le drame sourd lentement mais sûrement dans l’alternance des récits de Léa, parfois de Bruno, et surtout de Romilda, sa mère, en 1941 et 1942, s’échappant avec son premier amour, le Français aux mots doux, de derrière le comptoir du bar familial napolitain pour se retrouver à travailler pour lui, deux ans de suite, dans une maison close. Jeanne Benameur nous fait sentir toute la difficulté pour cette mère de faire à sa fille cette horrible confidence, toujours retardée par la peur d’être repoussée ensuite, elle, l’ancienne prostituée, alors qu’au contraire cet aveu est d’autant plus atroce pour sa fille qu’elle ne pourra dorénavant plus garder une seule belle image de son père mort : ce père haï à présent est doublement mort pour elle. Et encore sa mère ne lui -t-elle pas tout dit… La lumière est ainsi faite sur la véritable nature de son père, quoique… Faut-il vraiment laver toutes les ombres ? Le personnage de la mère semble penser que non.

Un très beau texte écrit comme seule une femme peut écrire, semble-t-il, proche de la thématique et du style de Claude Pujade-Renaud. Comme seule une femme peut décrire un corps en mouvement, un être à l’écoute du monde, à l’écoute de son corps, à l’écoute du silence, du non-dit et de l’indicible. Poignant.

Laver les ombres. - Arles  : Actes Sud, 2008.- 158 p. : couv. ill. en coul.  ; 19 cm. –  ISBN 978-2-7427-7701-3 : 15 €.

 

 

Le non de Klara d’Aaron Soazig

12.09
2005

Klara, l’héroïne, revient d’Auschwitz en 1945. Méconnaissable. Non seulement physiquement (elle est chauve, maigre, détruite), mais aussi psychiquement puisque à l’intérieur Klara n’est plus qu’un champ de ruines. A son amie et belle-sœur Angélika qui l’accueille, elle raconte froidement ce qu’elle a vécu, et refusera de revoir sa fille car, dira-t-elle un jour, elle sent la mort, et ne souhaite pas faire sentir cette odeur à une toute petite fille dont la fraîcheur se flétrirait près d’elle. Elle sait qu’elle ne pourra plus jamais être heureuse ni insouciante et ne se sent pas le droit d’imposer ce qu’elle est devenue, c’est-à-dire une femme qui ne ressent plus rien, à sa fille de trois ans. Après un mois passé à Paris, le temps de régler quelques affaires, elle confie son enfant, sans l’avoir revue, à ses meilleurs amis et part pour toujours.
Que dire de plus après un tel résumé ?

 

AARON, Soazig. – Le non de Klara. -  Maurice Nadeau, 2002. – 186 p.
Pour ce roman, Aaron a reçu en 2002 la « Bourse Goncourt du premier roman« , le « Prix Emmanuel Roblès » de la ville de Blois, le Prix du Roman de la Ville de Carhaix, et, en 2004, le Grand Prix des Libraires.