Lee Anderson arrive à Buckton, petite ville du sud des États-Unis, avec un dollar en poche, une lettre de recommandation et un petit revolver, pour devenir gérant de librairie. Mais son dessein est tout autre : il n’a qu’une seule idée en tête, venger son petit frère, lynché pour être tombé amoureux d’une petite blanche. Il commence alors à fréquenter une bande de jeunes et à s’envoyer en l’air avec les jeunes filles…
Un vrai coup de poing en pleine face, ce livre, ce récit d’une brutalité extrême. Mais cette violence sexuelle et physique exercée par le narrateur métis est moindre que celle, horrible et implacable, des blancs, ayant les forces de l’ordre et la justice pour eux. Quelques indices semés ici et là désignent un dénouement qui en aucun cas ne peut être un « happy end », tant la haine et l’écœurement sont partagés de part et d’autre. A déconseiller aux « âmes sensibles ».
Roué de coups par un groupe homophobe, Emile Griffith est accueilli à son réveil par un étrange boxeur, à qui il raconte son parcours professionnel : commis puis modiste dans une entreprise de chapeaux, puis repéré par son patron boxeur, devenant alors champion sur le ring. Mais un jour, les injures homophobes de son adversaire le poussent à frapper trop fort et il le tue…
Un biopic très réussi sur ce champion du monde de boxe, se battant moins sur le ring que dans une société à la fois raciste et homophobe. Dans une postface, l’ethnologue Tatjana Eggeling précise la biographie d’Emile Griffith avant d’aborder celles d’autres boxeuses lesbiennes et boxeurs gays. À lire.
Knock out ! de Reinhard Kleist
Casterman, 2020 (écritures)
Trad. de l’allemand par Paul De rouet
146 p. : ill. n. b. ; 17*24cm.
EAN 9782203211520 : 18,95€
Mai 1944. Aaron, Lincoln et Tom se sont portés volontaires pour combattre les nazis dans l’armée américaine. Mais ils se heurtent au racisme de leurs officiers blancs qui les cantonnent à des missions ingrates, et trépignent d’impatience. Johanna Bolton, la sœur de Lincoln, hérite alors de sa tante chez qui elle découvre un précieux journal datant de 1777, relatant une histoire incroyable à propos de la confection du drapeau américain par Mrs Betsy. Elle remue alors ciel et terre pour accorder à son frère et à ses amis une mission hautement symbolique : retrouver et rapporter le tout premier drapeau américain, actuellement entre les mains des nazis…
Steve Cuzor et Yves Sente signent là un magnifique album, tant par le dessin classique et très soigné que par le scénario revisitant l’histoire de l’Amérique, son racisme et les origines des États-Unis d’une manière très originale, qui pourrait se prêter à une superbe adaptation au cinéma. Un vrai coup de cœur.
Un jour où Amadou M’Barick Fall, comme d’autres jeunes enfants, né à Saint Louis du Sénégal en 1897, plonge dans les eaux du fleuve pour aller y récupérer la monnaie que leur jettent les touristes, il rend à une riche comédienne et danseuse hollandaise en escale. Elle l’emmène alors avec elle pour sa tournée en France, mais l’abandonne à son départ à Rotterdam quelques mois plus tard. Resté seul à Marseille, et sans papiers, Siki vivote de petits boulots. Un soir où un client ivre le cogne, il riposte et d’un coup de poing le sonne. Un entraîneur de boxe le repère alors : il devient Battling Siki, un champion, mais il est certains combats plus difficiles que d’autres lorsqu’on est noir au début du 20e siècle…
A défaut de connaitre Battling Siki, je connais depuis voici quatre ans Aurélien Ducoudray, son biographe ici, dont ce fut le tout premier scénario de BD publié, ainsi que Eddy Vaccaro, dont le beau coup de crayon gras colle parfaitement au sujet. Premier champion du monde de boxe français, mais d’origine sénégalaise, Battling Siki est mort assassiné et vite oublié, voire effacé des encyclopédies sportives, l’époque étant davantage à la célébration des colons que du peuple nègre colonisé, aux prises avec le racisme ordinaire. Cette bande dessinée dépasse le cadre d’une simple biographie remettant en scène un héros injustement oublié, en faisant la peinture d’une époque heureusement révolue.
Hasan vient d’être embauché comme ferrailleur dans la boîte d’intérim « Pauvre comme Job », dirigée par Dominique et Jacqueline. Sur le chantier, il retrouve Souleymane, qui vient d’obtenir ses papiers, après 15 ans, et qui aimerait du coup être embauché sous son vrai nom et obtenir un meilleur poste, malgré le racisme ambiant…
Gloups ! Dans cette BD, on a bel et bien l’impression de plonger dans l’esclavage moderne : les boîtes d’interim raflent les indemnités de leurs sous-traitants qu’ils traitent comme du bétail, les entreprises du bâtiment perdent le moins de temps possible sur l’échéancier en ne respectant pas les consignes de sécurité et en maltraitant leurs intérimaires. Les blancs sont en haut de l’échelle, et les noirs et les arabes au plus bas, quel que soit leur niveau réel de compétences. Bref c’est un travail précaire, dangereux et sous-payé sous le règne du régime de terreur. Encore une BD bien édifiante sur les conditions de travail dans ce secteur… Cela fait peur !
Samuel ce soir n’est pas rentré dans leur appartement de Bordeaux. Sibylle passe la nuit à l’attendre. Et puis, un coup de fil. Samuel s’est laissé entraîner par ses mauvaises fréquentations à une fête, qui s’est mal finie. Les écouteurs sur les oreilles, Samuel reste dans sa bulle, ignore sa mère qui, des semaines durant, prépare un voyage de plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, pour l’empêcher de sombrer dans la haine et la délinquance. Mais c’est aussi son histoire à elle qui la rattrape, elle qui a eu un jour son destin brisé…
« Ce matin, Samuel ne parle pas de comment il a été agacé par les deux hommes la veille au soir, comment il a été surtout irrité par son comportement à elle, comment il n’a pas aimé voir sa mère en train de jouer le jeu de la séduction. » (p. 110)
Après avoir été enthousiasmée par Des hommes en 2009, Ce que j’appelle oubliet Loin d’eux, Autour du monde m’avait déçue, à tel point que je n’avais pas poursuivi ma lecture, mon temps étant désormais précieux. Si, ici, je me suis laissée davantage porter par le récit, je ne retrouve pourtant toujours pas la plume qui m’avait séduite. Continuer, oui, à écrire aussi pour Laurent Mauvignier, et son inspiration cherche un second souffle dans les faits divers et les drames qui ont parfois secoué les espaces publics français. Et pourtant, il y a dans cette relation entre une mère qui continue de vivre malgré ses cauchemars qui reviennent la hanter, et cet adolescent qui refuse le contact, l’échange, la parole, quelque chose de vrai, d’authentique, tout comme ce désir sensuel refoulé de part et d’autre, comme une résurgence de deux chairs qui se sont connues du moins les premiers mois de la vie.
Galadio, c’est le prénom secret d’Ulrich, celui que sa mère qui l’élève seule ne prononce jamais. L’adolescent vit mal sa soudaine mise à l’écart de certaines activités comme la natation, et assiste, impuissant, à la confiscation des animaux de ses voisins Juifs, telle Takouze la tortue, puis à leur mise à mort. Un jour, c’est lui que les SA viennent chercher pour faire des « analyses » à l’hôpital, où il retrouve d’autres métis que l’on destine à être stérilisés. C’est alors qu’un couple le choisit comme figurant pour un film de propagande nazie pour son grain de peau, lui, le fruit des amours interdits entre un tirailleur Sénégalais recruté sous le drapeau français et une Allemande, qui fut tondue…
Entre les deux guerres mondiales, le narrateur assiste, dans les rangs des opprimés, à la montée du nazisme et à ses corollaires : l’antisémitisme et le racisme. Pour alimenter cette haine de l’autre, il joue lui-même en tant que figurant puis acteur tous les clichés de rumeurs et de préjugés racistes, de Noirs violeurs de femmes allemandes, de benêts « Y’a bon Banania » recensés dans les scénarii de films de propagande nazie. Il ne peut dès lors jouer que le rôle qu’on lui assigne, devenir que ce que l’on veut qu’il soit. De la même façon, il ne se révolte pas lorsqu’on lui interdit l’accès à la piscine, et d’ailleurs personne ne prend son parti ni ne désobéit. Le silence entoure son exclusion, la passivité permet l’injustice. Les seuls résistants, ce sont les voisins Juifs qui lisent entre les lignes de la presse écrite ennemie, pour se tenir informés, et abritent chez eux Galadio en fuite, et la mère de Galadio qui choisit de le mettre au monde malgré l’opprobre et de le garder… Les actes de résistance, ce sont la recherche d’informations, la lecture, l’esprit critique, la solidarité et l’amour.
Dans toute son oeuvre, Didier Daeninckx n’a de cesse de rappeler ces détails de l’Histoire qui ne figurent dans aucun manuel, aucun programme. Par le biais d’un destin individuel, il lève tout un pan d’une réalité vécue par des victimes de décisions politiques, exclus et opprimés. Ici encore, il a rassemblé une documentation fouillée pour donner jour à ce roman d’aventures dont le héros, persécuté en Allemagne nazie, partira en quête de son identité en Afrique subsaharienne. Une oeuvre militante écrite d’une plume simple mais efficace.
Dans la même veine, on songera au sort réservé aux Canaques lors de l’Exposition Coloniale de 1931 dans son roman Cannibale, publié en 1998, dans lequel intervient un homme de l’entretien dans un métro, ancien tirailleur sénégalais, et aux esclaves africains au 17e siècle, dans Zumbi de Jean-Paul Delfino.