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Emmanuel Carrère

05.11
2011

Le Prix Renaudot 2011

Le 29 septembre 2011, la librairie Les Temps modernes d’Orléans accueillait Emmanuel Carrère, à l’occasion de la parution de son roman Limonov **, dont vous pouvez également lire la chronique dans mes carnets de lecture.

 

 

Voici en écoute, pour vous, l’intégralité de cette rencontre.

 

 

Interview d’Emmanuel Carrère à propos de Limonov by carnets de sel

 

Limonov d’Emmanuel Carrère (Rentrée littéraire 2011)

09.10
2011

« De Lefortovo, on l’a transféré au camp d’Engels, sur la Volga. (…) dans ce camp les lavabos, faits d’une plaque d’acier brossé surmontant un tuyau de fonte, d’une ligne sobre et pure, sont exactement les mêmes que dans un hôtel, conçu par le designer Philippe Starck, où son éditeur américain a logé Limonov lors de son dernier séjour à New York, à la fin des années quatre-vingt.

Ca l’a laissé songeur. Aucun de ses camarades de détention n’était en mesure de faire le même rapprochement. Aucun, non plus, des élégants clients de l’élégant hôtel new-yorkais. Il s’est demandé s’il existait au monde beaucoup d’hommes comme lui, Edouard Limonov, dont l’expérience incluait des univers aussi variés que celui du prisonnier du droit commun dans un camp de travaux forcés sur la Volga et celui de l’écrivain branché évoluant dans un décor de Philippe Starck. Non, a-t-il conclu, sans doute pas, et il en a retiré une fierté que je comprends, qui est même ce qui m’a donné envie d’écrire ce livre. » (p. 33-34)

Emmanuel Carrère commence ainsi par raconter comment lui est venue l’idée d’écrire un roman sur ce personnage énigmatique, d’abord voyou en Ukraine, poète, puis clochard et valet de chambre d’un milliardaire à New-York, ensuite écrivain à la mode à Paris, soldat dans les Balkans, et enfin chef d’un parti fasciste, étonné que puissent l’apprécier des gens aussi estimables que la journaliste Anna Politkovskaïa.

A l’aide entre autres des romans autobiographiques de Limonov, Emmanuel Carrère questionne alors son parcours, fasciné par l’élan vital de cet homme dont il fait le personnage haut en couleurs d’un roman tout à fait picaresque, courant d’aventure en aventure, multipliant les expériences, se relevant toujours de ses échecs, d’un bout à l’autre du monde.

 

 

 

Mais qu’est-ce qui motive Limonov ?

On a la réponse assez vite. Dès son enfance, sa mère l’habitue à ne pas se plaindre d’un coup, d’une injustice, à toujours être dans le camp des vainqueurs, pas des pleurnichards. Et, adolescent, méprisant son père et son petit boulot de flic médiocre, Limonov décide d’autant plus d’être dans le camp des voyous, mais des « gentlemen – voyous » qu’il entend une nuit son père avouer à sa mère la forte impression qu’a fait sur lui un prisonnier, qualifié de « particulièrement dangereux » dans son dossier, un « homme jeune, toujours calme et poli, parlant un russe élégant et qui, dans sa cellule ou dans le wagon de marchandises, se débrouille pour faire chaque jour sa gymnastique. Ce condamné à mort stoïque et distingué devient pour Edouard un héros. Il se prend à rêver de lui ressembler un jour, d’aller en prison lui aussi, d’en imposer non seulement à de pauvres bougres de flics sous-payés comme son père mais aux femmes, aux voyous, aux vrais hommes – et comme tout ce qu’il a rêvé de faire enfant, il le fera. » (p. 56) Cette prise de conscience de son père déchu de son estime ne sera pas une banale crise d’adolescence  : Limonov gardera toujours ce dégoût de la médiocrité, cette incompréhension devant ses parents et amis englués dans une vie routinière, sans rêve et sans ambition. Tout sauf ça ! Un ami fera émerger son talent de poète, et voilà Limonov prêt à tout, poète voyou, pour devenir célèbre.

Son système de valeurs, différent du nôtre,  s’en trouvera marqué : chevaleresque envers ses compagnes, dont il restera toujours fidèle, courageux et honnête, il préférera la gloire et son intégrité à l’argent et à la servilité. Il aura une attitude qui forcera l’admiration en prison. Cependant, l’homme est loin d’être un héros. On ne peut jamais l’admirer sans aussitôt après nuancer son propos, car cet homme, filmé en train de tirer sur Sarajevo, se revendique aussi proche des idées de Che Guevarra et Lao-tseu que de Le Pen et d’Hitler. Aussi Emmanuel Carrère n’arrive d’ailleurs jamais complètement à sonder le mystère de cet homme : ce n’est pas tant qu’il ignore ce qu’il peut penser, mais plutôt que lui, Emmanuel Carrère, l’enfant sage et intelligent, comme il se décrit lui-même, peut éprouver des difficultés à comprendre le raisonnement politique fascisant de cet homme, plutôt antipathique pour le coup.

Mais assez parler de cet homme, principal sujet de ce livre, que penser de ce roman ? D’ailleurs s’agit-il bien d’un roman ? Cette histoire relatant la vie d’une personnalité âgée de 68 ans aurait pu être qualifiée de biographie… Aurait pu… Ce serait faire fi de la caractéristique d’Emmanuel Carrère qui est de se mettre en scène dans ses romans en tant qu’auteur-narrateur : « La party chez les Liberman, il faudrait idéalement la raconter comme le bal au château de la Vaubyessard dans Madame Bovary, sans omettre une petite cuiller ni une source d’éclairage. J’aimerais savoir faire ça, je ne sais pas. » (p. 144), tout comme le rythme allegro qu’il donne à la vie trépidante de ce personnage, rendant la lecture énergique, palpitante, et usant des artifices romanesques pour y parvenir. Au final un bon roman, qui se lit avec infiniment de plaisir et d’intérêt.

 

En écoute la rencontre avec Emmanuel Carrère à la librairie des Temps modernes, le jeudi 29 septembre 2011.

LE livre qui fait parler de lui en cette rentrée littéraire : les critiques de Bernard Pivot, Yasmina Reza, Jérôme Garcin,… ici, recensées sur le site de P.O.L..

Il ne fait plus aucun doute qu’il gagnera un prix. Pas le Goncourt puisqu’il n’est plus sélectionné. Alors lequel ?

Réponse ce mercredi 2 novembre 2011 : le prix Renaudot.

 

CARRERE, Emmanuel. – Limonov. – P.O.L., 2011. – 488 p.. – EAN13 9782818014059 : 20 €.

 

Vous êtes toute seule ?** de Claude Pujade-Renaud (1991)

25.07
2011

cop. Actes Sud

Ce recueil débute et s’achève sur une danseuse, Nathalie (danse moderne) puis Galina (danse classique), rappelant le passé de danseuse, chorégraphe et professeure de Claude Pujade-Renaud. Onze nouvelles, avec presque toutes des femmes pour héroïnes, pas forcément seules, parfois en couple mais proches de la rupture :

Dans la première, intitulée Pas de deux**, Claude Pujade-Renaud nous livre une belle description du parallèle entre le corps à corps des danseurs et celui des amants, tous deux imparfaits, comme d’ailleurs la scène se révèle elle-même moins exaltante que le milieu naturel favorisant l’épanouissement et de la danse et de la relation sexuelle. Ainsi le couple se découvre-t-il dans une dernière danse…

Dans la seconde*, Fabienne souffre de la gêne bien connue d’être une femme célibataire, s’attablant seule à un restaurant, précédée d’une question agaçante qui donne le titre au recueil. Elle va alors trouver un subterfuge pour avoir droit à une table de couple…

Dans la nouvelle suivante, lui se comporte comme un enfant et en veut un. Marthe refuse d’assumer deux enfants. Elle rompt.

Dans la quatrième, un couple nouvellement formé au lit évoque leurs vacances passées, lui amoureux d’une légendaire aristocrate du 18e siècle, retenue recluse à Bagheria, en Sicile, elle avec Philippe et sa chatte Bagheera en Ardèche, dont la captivité l’avait insupportée à un tel point qu’elle avait fini par rompre.

Dans Le clapotis*, une femme préfère à la compagnie de son mari les fonds marins silencieux.

La nouvelle suivante tourne autour de la paranoïa d’une mère de famille envers une machine à laver malfaisante.

Les îles constitue la seule nouvelle où le protagoniste se révèle être un homme, lequel veut retrouver son enfance et son imaginaire autour de l’île du Sucre, tandis que sa femme s’affaire pendant des vacances qu’elle préfère sportives et bien remplies.

Dans Le café d’en face*, l’auteure ménage le suspens : où vont tous ces clients, ayant le même air, qui fréquentent régulièrement le café avant d’entrer dans l’immeuble d’en face ?

Dans Insectes*, une femme se perçoit comme une pièce rapportée dans une famille autocentrée sur elle-même, se complaisant dans les souvenirs et les habitudes prises.

Enfin, Le lac des signes exprime la souffrance d’une jeune femme au corps meurtri par la danse classique.

 

Claude Pujade-Renaud aime à fouiller au plus profond de la solitude des êtres pour en extraire l’indicible. C’est là, à mon sens, le plus bel atout de la littérature. Ces solitudes qui se cachent ou s’ignorent, qui sont tues ou réprimées, précèdent ou succèdent à de grandes crises, des ruptures généralement. D’une plume sensible et poétique quand elle ausculte les détresses, elle passe à un registre plus percutant, non dénué d’humour noir, lorsqu’elle examine les relations humaines et sociales. Une belle lecture.

 

Prix Rotary de la nouvelle.

Vous êtes toute seule ? :  nouvelles / Claude Pujade-Renaud. - Arles  : Actes sud , 1990 .- 169 p.  : couv. ill. en coul.  ; 19 cm. - ISBN 2-86869-637-6 (br.), Prix : 85 F.

 

Appel du pied de Risa Wataya

13.04
2008

cop. Picquier

 

Titre original :  Keritai senaka (Japon, 2003)

Traduit et publié en France en 2005

 

Depuis son entrée au lycée, Hasegawa regarde sa meilleure amie, Kinuyo, s’éloigner d’elle pour se fondre dans un autre groupe, sans un mouvement pour la rejoindre et feindre leur bonne humeur. Elle se retrouve ainsi confinée à l’intérieur de cette solitude qu’elle a tissée autour d’elle, comme un cocon qui la protègerait des autres et du monde extérieur. Dans sa classe, il y a pourtant encore plus solitaire qu’elle, un garçon, Ninagawa, qui s’intéresse brusquement à elle quand elle lui apprend avoir rencontré un jour un top model dont il est fan jusqu’à l’obsession…

Alors âgée de 19 ans, Wataya Risa est la plus jeune lauréate jamais couronnée du prix Akutagawa (le Goncourt japonais). Nul doute qu’elle se soit inspiré de sa propre adolescence pour imaginer ce journal d’une jeune fille tiraillée entre l’envie de sortir de cette solitude dans laquelle elle s’est elle-même murée et le refus de se livrer à la mascarade des groupes constitués. Son personnage va ainsi se sentir irrésistiblement attiré par l’autre « rebut » de la classe, encore plus replié sur lui-même qu’elle, partagée là encore entre le désir de le voir souffrir une bonne fois pour toutes en se sentant rejeté par ce mannequin vedette et celui de poser les lèvres sur les siennes, sans bien savoir qu’il s’agit là des premiers tourments de l’amour :

« Je veux que quelqu’un délie un à un tous les fils noirs qui sont pris dans mon coeur comme on détache un à un les cheveux pris dans un peigne, et les jette à la corbeille. » (p. 105)

Beaucoup aimé

Un petit roman d’apprentissage charmant, oscillant entre la lucidité acerbe jusqu’au malaise de l’adolescence et la sensibilité de cet âge innocent qui se découvre petit à petit.


WATAYA, Risa – Appel du pied / trad. du japonais par Patrick Honnoré. – Picquier, 2008. – 163 p.. – (Picquier poche). – ISBN 978-2-8097-0016-9 : 6 €.

Park life de Shuichi Yoshida

09.09
2007

cop. Picquier

Roman traduit du japonais (publié en 2002) par Gérard Siary et Mieko Nakajima-Siary (2007)

Park Life ! Oui, c’est bien un titre de Blur, mais aussi celui d’un petit roman japonais qui a été couronné par le prix Akutagawa en 2002. Il s’agit du parc de Hibiya à Tôkyô, où l’on s’assoit sur le banc préféré d’un employé de l’un des buildings environnants, qui chaque jour y vient déjeuner, se détendre, se vider l’esprit, comme « soulagé ». A la suite d’une bévue dans le métro, le jeune homme entre en contact avec une autre habituée du parc, qui aimerait bien aussi faire la connaissance de ce vieil homme qui s’exerce à faire voler un aérostat rouge…Même si, à travers ce court roman, ce genre de parc urbain est comparé à une sorte de parenthèse calme et oisive dans la vie trépidante des habitants de Tokyo, c’est plutôt l’immense solitude de chacun de ces milliers de citadins qui m’a touchée, aucun d’entre eux n’osant franchir l’interdit, le tabou, celui d’adresser la parole à un inconnu, comme le prouve le passage dans le métro, si ce n’est au cours de cette histoire, vécue alors comme une exception à la règle, comme un brin de folie. Mais n’est-ce pas vers quoi nous nous acheminons ? 

YOSHIDA, Schuichi. – Park life / trad. du japonais par Gérard Siary et Mieko Nakajima-Siary. – Picquier, 2007. – 95 p.. – ISBN : 978-2-87730-962-2 : 12,50 €.

Magnus de Sylvie Germain

20.11
2005

cop. Albin Michel

Magnus, c’est l’ourson en peluche seul rescapé des souvenirs qu’a pu conserver Franz-Georg de sa courte vie précédant ses 5 ans, un passé qu’une longue fièvre a entièrement gommé. C’est toujours Magnus qu’il emporte ensuite lorsque la guerre fait fuir ses parents, les sépare puis les lui enlève, le confiant à un oncle anglais. Désormais il s’appellera Adam. Grandissant à Londres, il se prend de passion pour les langues et surtout l’espagnol, qui lui permet bientôt de partir pour le Mexique, pays-linceul où se serait réfugié son père, criminel nazi. Une autre fièvre l’emportera alors, autant pour lui un soulagement qu’un dépouillement identitaire, révélatrice de son adoption cachée… Et Alias Magnus il devient, double de cet ourson muet. Pourra-t-il jamais vivre pleinement cette vie dont on lui a dérobé l’origine ?

Nul doute que ce roman mérite ce prix un peu différent qu’est le Goncourt des lycéens. C’est un bon roman, abordant les thèmes de l’abandon, de la culpabilité, de l’amour et de la quête identitaire, dans lesquels peuvent se reconnaître bon nombre d’adolescents. Néanmoins mon avis reste partagé, divisé entre la magie, le ravissement qu’opère le chapelet de mots incantatoires qu’égrène délicatement Sylvie Germain en véritable virtuose, et ce non-consentement à me laisser prendre par l’histoire, pourtant touchante, mais précisément presque dans l’excès, comme si la manipulation pour atteindre ce but était par trop visible. Et que viennent donc faire dans le dénouement ce frère Jean et ses abeilles ?

GERMAIN, Sylvie. – Magnus. – Albin Michel, 2005. –274 p.. – ISBN : 2-226-16734-X : 17,50 €.

Le non de Klara d’Aaron Soazig

12.09
2005

Klara, l’héroïne, revient d’Auschwitz en 1945. Méconnaissable. Non seulement physiquement (elle est chauve, maigre, détruite), mais aussi psychiquement puisque à l’intérieur Klara n’est plus qu’un champ de ruines. A son amie et belle-sœur Angélika qui l’accueille, elle raconte froidement ce qu’elle a vécu, et refusera de revoir sa fille car, dira-t-elle un jour, elle sent la mort, et ne souhaite pas faire sentir cette odeur à une toute petite fille dont la fraîcheur se flétrirait près d’elle. Elle sait qu’elle ne pourra plus jamais être heureuse ni insouciante et ne se sent pas le droit d’imposer ce qu’elle est devenue, c’est-à-dire une femme qui ne ressent plus rien, à sa fille de trois ans. Après un mois passé à Paris, le temps de régler quelques affaires, elle confie son enfant, sans l’avoir revue, à ses meilleurs amis et part pour toujours.
Que dire de plus après un tel résumé ?

 

AARON, Soazig. – Le non de Klara. -  Maurice Nadeau, 2002. – 186 p.
Pour ce roman, Aaron a reçu en 2002 la « Bourse Goncourt du premier roman« , le « Prix Emmanuel Roblès » de la ville de Blois, le Prix du Roman de la Ville de Carhaix, et, en 2004, le Grand Prix des Libraires.