Mots-clefs ‘prison’

Le joueur d’échecs de David Sala (d’après Zweig)

27.10
2017
cop. Casterman

cop. Casterman

 

New-York 1941 : embarquement à bord d’un paquebot pour Buenos Aires. Mirko Czentovic, champion du monde d’échecs, monte à bord. Dès son plus jeune âge, il a excellé exclusivement dans ce jeu. Le narrateur, piqué par la curiosité, fait en sorte que le richissime Mc Connor paie le champion pour jouer une partie contre eux. Mirko, bouffi d’orgueil, commence à les battre à plate couture jusqu’à ce qu’un homme intervienne, semblant connaitre toutes les configurations par coeur. Quand, à la fin de la partie, Mc Connor propose à l’inconnu de jouer seul contre le champion, ce dernier prend peur, disant que cela fait 25 ans qu’il n’a plus touché aux échecs, comme s’il se fût agi d’une drogue…

Un collègue scénariste envisageait lui aussi d’adapter Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig. On lui aura fauché l’herbe sous le pied ! Mais avec quel brio ! Je ne m’attarderai pas cette fois sur le scénario puisque l’adaptation de cette nouvelle de l’admirable Stefan Zweig me parait tout à fait bien vue, mais sur la mise en cases et en images de cette histoire. En effet, ses cases deviennent des tableaux, ses décors des illusions d’optique géométriques, ses vêtements des parures de Klimt et ses personnages des caractères de Schiele. Je suis sortie éblouie par cette mise en images toute en couleurs directes à l’aquarelle. Une vraie prouesse.

 

SALA, David

Le joueur d’échecs

Casterman, 2017

111 p. : ill. en coul.

EAN13 9782203093478 : 20 €

Ni Dieu ni maître : Auguste Blanqui, l’enfermé

12.03
2014
cop. Casterman

cop. Casterman

Sur ses 76 années d’existence, Auguste Blanqui (1805-1881) en vécut plus de 43 emprisonné, privé de sa liberté de mouvement, mais pas de sa liberté de penser. Pour dépeindre la biographie de cet homme engagé, Maximilien Le Roy a choisi de faire revivre le parcours de ce grand révolutionnaire républicain socialiste non marxiste par l’intermédiaire du journaliste Aurélien Marcadet qui vient lui rendre visite chaque vendredi dans sa cellule. Enfermé, Blanqui le fut, lui qui ne mâchait pas ses mots en s’adressant à la foule ou à ses lecteurs, par l’intermédiaire de journaux, lui qui prônait la révolution des prolétaires par la violence pour renverser le pouvoir, sous le règne de Charles X, de Louis-Philippe puis de Napoléon III. Il fait d’ailleurs tellement peur au gouvernement que durant la Commune, Thiers, ayant peur de relâcher ce révolutionnaire qui pourrait prendre la tête des Communards, refuse de l’échanger contre 74 otages, dont un archevêque. A la fin de sa vie, enfin libéré, Blanqui fonde le journal au titre désormais célèbre Ni Dieu ni maître.

Pari gagné que cette biographie de Blanqui qui fut pourtant plus de la moitié de sa vie contraint à l’inactivité, en utilisant la mise en abime du protagoniste se prêtant à l’exercice de ses mémoires. Loïc Locatelli Kournwsky aide à la compréhension de ses va-et-vients en alternant pour ses traits simples et directs les tons chauds des flash-back avec les tons froids du présent. Un rappel révoltant d’un grand homme au fort sentiment de Justice et d’Egalité injustement mis au ban de la Société et de sa propre vie.

 

LOCATELLI KOURNWSKY, Loïc, LE ROY, Maximilien. - Ni Dieu ni maître : Auguste Blanqui, l’enfermé. – Casterman, 2014. – 208 p. : ill. en coul. ; 28 cm. – EAN13 9782203051577 : 23 €.

Soul man ** de Chauvel et Denys (2010)

21.09
2010

Pittsburgh, Etat de Pennsylvanie, 1964…

Une Cadillac blanche transporte les vingt millions de dollars des cinq plus importants caïds d’Amérique : elle n’est jamais arrivée à destination, et le fric s’est volatilisé sans qu’ils puissent en retrouver la trace dans tout le pays.

Quarante ans plus tard, un jeune blanc fait son entrée au centre correctionnel d’Attica : on le place dans le cellule 701, avec le Soul Man. Autant dire qu’on lui signe son arrêt de mort…

Un scénario astucieux, plein de suspens, autour d’un personnage charismatique intelligent mais asocial, féru de soul autant que du fric et du sang.

Pour tous les amateurs de bons romans et films noirs.

Delcourt, 2010. – 55 p. : ill. en coul. , cm.. – (Le casse). – ISBN :13,95 €.

La grande ourse * de Mario Claudio (2006)

12.10
2006

Titre original : Ursa Maior
Traduit du portugais par Ana Corte-Real et Pierre Léglise-Costa

De sang froid, Henrique, étudiant, tue son ex-fiancée à coups de révolver puis entre dans un commissariat se constituer prisonnier. Qu’est-ce qui l’a poussé à tuer ? En prison il côtoie Gerardo le joueur, Sergio le violeur, Rogerio l’escroc, Cristina le travesti, Albino le trafiquant d’objets d’art, Jorge, l’oiseau de nuit shooté à la belle gueule d’ange. Ils revoient tous, à tour de rôle, leur arrestation, puis se dénoue lentement le film rétrospectif de leur vie antérieure qui les a amené à se retrouver dans cette non-vie voire dans cet enfer, par le biais d’un monologue intérieur.

Sans porter aucun jugement, cet auteur portugais nous narre l’histoire de sept criminels, fort de l’observation réelle de prisonniers dans l’univers carcéral. Il en ressort une forte impression non pas peut-être de sympathie avec les personnages mais de compréhension. Mieux qu’un documentaire, il nous ouvre le coeur et l’esprit de ces hommes qui nous effraient.
CLAUDIO, Mario. - La grande ourse/trad. du portugais par Ana Côrte-Real et Pierre Léglise-Costa. – Métailié, 2006. – 159 p.. – (Bibliothèque portugaise). – ISBN : 2-86424-593-0 : 17 €.
Service de presse

Acide sulfurique ** d’Amélie Nothomb (2005)

30.09
2005

cop. Albin Michel

Huis clos entre victimes et bourreaux

Un jour, Pannonique, étudiante à la beauté sidérante, est raflée comme tant d’autres anonymes au Jardin des Plantes. Dès cet instant, elle deviendra désormais la victime d’une nouvelle émission de télé-réalité, Concentration, et la cible de millions de regards. Comme son nom l’indique, le principe de l’émission est très simple : les personnes raflées ont été divisées en deux camps, les bourreaux ou « kapo » et les prisonniers appelés par leur matricule, et chaque matin, les premiers désignent ceux qui parmi les seconds vont rejoindre la file des exterminés. Chacun, très vite, s’identifie à son personnage jusqu’à oublier les caméras, tous exceptée CKZ 114, de son vrai nom Pannonique, qui semble personnifier le Bien, la dignité humaine, qui attire le Mal incarné en le kapo Zdena…

Certes, Amélie Nothomb n’invente rien en exploitant jusqu’à son paroxysme le voyeurisme malsain mis en exergue par les télé-réalités, et ce tout en créant une distance entre son héroïne (et narratrice) et la monstruosité des relations humaines. Foin d’ailleurs des descriptions, des effets de style, d’un dénouement vraisemblable, ici pas de plaisir du texte, l’intérêt réside ailleurs : pour Amélie Nothomb, la forme dialoguée est reine car elle permet de dire, de remplir chaque parole, parole pour autrui, car elle vouvoie ou tutoie, car elle nomme les êtres et les choses. Jamais démonstration aussi habile n’avait été faite de ce que parler veut dire dans ses précédents romans. Car ici, dans ce camp de concentration où se joue la dignité humaine, dire, nommer, prend tout son sens.

NOTHOMB, Amélie. – Acide sulfurique. – Albin Michel, 2005. – 192 p.. – ISBN : 2-226-1672-6 : 15,90 €.
Lisible en 1h30.

Berlin Alexanderplatz * d’Alfred Döblin (1929)

25.09
2005

Après être sorti de prison pour avoir fait succombé son ancienne compagne sous ses coups, Franz Biberkopf retourne dans le quartier autour de l’Alexanderplatz. Résolu à repartir sur le droit chemin, il côtoie néanmoins les pires voyoux des bas-fonds de ce Berlin des années 1925-1930, échappe de peu à leurs pièges, y laisse un bras et sa compagne…

« Le châtiment va commencer.
Il se secoua, avala sa salive, se marcha sur le pied. Puis, ayant pris son élan, il se trouva assis dans le tramway, au milieu des gens. En avant ! Tout d’abord, ce fut comme chez le dentiste qui vous empoigne une racine avec son davier et qui tire. La douleur augmente, la tête est tout près d’éclater. Il tourna sa figure vers la muraille rouge,
mais le tramway l’emportait, filant le long des rails, et, seule sa tête regardait encore dans la direction de la prison. La voiture fit un virage, des maisons, des voitures s’interposèrent. Des rues bruyantes surgirent ; voilà la rue du Lac. Des voyageurs montent et descendent. En lui, un hurlement plein d’épouvante : « Attention, attention, ça va recommencer ! » Le bout de son nez se glace, ses joues tremblent. Berlin – Midi, B. Z., La Nouvelle Illustration, La T.S.F., dernière édition. » (p. 20)

Publié en 1929, ce roman, le plus célèbre d’Alfred Döblin, fait partie des 100 meilleurs livres de tous les temps sélectionnés par 100 écrivains provenant de 54 pays différents (vous pouvez lire la liste complète sur Evene).

Coupures de presse, pluralité des points de vue, pensées des interlocuteurs, chansons, intertitres, interventions du narrateur, les effets d’annonce et de narration s’enchaînent.
Or, si le style effectivement est résolument moderne pour son époque (beaucoup l’ont comparé au Ulysse de Joyce), il est néanmoins difficile d’en poursuivre la lecture sans être passablement choqué, outré, agacé, surpris par la destinée de son protagoniste (l’auteur a réussi là un coup de maître car il est difficile d’y rester insensible), qui semble s’y confronter comme une bûche emportée par le flot d’un torrent, qui échoue parfois sur la rive, y trouvant une certaine quiétude, avant d’être emportée de nouveau par le cours des événements. D’ailleurs cet anti-héros semble aussi aveugle et borné qu’une bûche : tantôt il gagne la sympathie du lecteur qui perçoit en lui un bon fond, naïf et crédule, tantôt il l’agace, se jetant toujours dans « la gueule du loup », pardonnant trop et mal, ayant peu de discernement, et retournant sa violence non pas sur ses ennemis mais sur ses compagnes.
Alfred Döblin nous offre là la vision tragique d’un homme aux prises avec la fatalité, le récit épique d’un homme ramené inéluctablement au crime. On a pu aussi le comparer à Voyage au bout de la nuit de Céline, publié à la même époque et dont l’action se déroule également autour d’une place, celle de Clichy. Malgré le malaise ressenti à cette lecture, je n’ai pas pu m’en décrocher et ai lu jusqu’au bout ses 626 pages sur ces malfrats, ces prostituées et leurs macs des bas-fonds avinés de Berlin.

Dans l’adaptation cinématographique intégrale et extrêmement fidèle qu’a pu en faire en 1980 Rainer W. Fassbinder, l’anti-héros m’a paru bien moins crédule et naïf, et plus égoïste, prenant son plaisir, de force avec les femmes s’il le faut, tout en voulant se montrer fort pour rester honnête et ne pas replonger dans le vice et le crime, plus désarmé par le monde qui l’entoure, dont il était à l’abri en prison.

Gallimard (Folio).
626 p.
8,60 euros.

Voir le commentaire sur l’ancien blog