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Le rapport de Brodeck de Larcenet

09.08
2017
cop. Dargaud

cop. Dargaud

 

Lors de sa venue à la bibliothèque de Fleury, Philippe Claudel nous avait parlé de l’adaptation en cours de son roman Le rapport de Brodeck, couronné par le prix Goncourt des lycéens.

Le récit n’a pas changé :

Dans un village isolé, peut-être en Alsace, vient d’être assassiné l’Anderer, l’autre, celui qui est arrivé un jour tout sourire sans jamais dire son nom. Alors les hommes du village, comme pour se disculper, chargent Brodeck, le seul à ne pas être coupable, d’une mission, celle de raconter comment tout cela s’est passé, depuis le début, dans un rapport. Mais en rappelant ses souvenirs à lui, Brodeck fait ressurgir aussi, malgré lui, tout un passé qui date de bien au-delà de l’arrivée de cet homme doux mais étrange, un passé ancré dans l’Histoire, dans ce qu’elle a connu de plus inhumain, et dans celle du village, qu’il ne faut surtout pas déterrer…

Larcenet a choisi de faire des nazis des monstres réels, en contraste avec la jeune épouse du commandant, son bébé dans les bras, venant assister à chaque pendaison. Pourquoi cette singularité ? Pourquoi les avoir fait monstres si la plus monstrueuse a ce visage si ordinaire ? Pourquoi ne pas leur avoir laissé figure humaine ? Ainsi, les villageois détruisent leur propre image peinte, si vraie et donc si introspective, si monstrueuse pour eux, oeuvre de l’Anderer. N’importe qui d’extérieur au village aurait salué le talent du peintre, eux n’ont vu que le fait d’avoir été démasqués, percés à jour. Et il est des secrets qu’il ne vaut mieux pas déterrer. Ainsi c’est Brodeck que les villageois chargent sous la menace d’établir le rapport sur un meurtre qu’il n’a pas commis et dont il n’a pas été témoin, lui qui fut aussi la victime du village, revenu des camps, où il était devenu le chien Brodeck, et dont la femme fut à son tour donnée en pâture aux Nazis, pour étancher leur soif de vengeance, avec l’amertume de la défaite. Et, cette fois, quand le maire lui fera comprendre que le village va tout faire pour oublier ses crimes, Brodeck, cette fois, comprend que sa famille doit partir avant d’être massacrée à son tour, comme leur rappelant à chaque fois leurs crimes envers elle.

Larcenet nous offre ici des planches muettes d’un noir et blanc remarquable, distillant le non-dit, le secret, la monstruosité de la délation, de la xénophobie et de la lâcheté. Hélas, sans doute qu’un certain nombre de villages en France pourrait se reconnaitre dans cette ambiance délétère. Il n’y a qu’à voir le résultat des élections pour constater combien l’isolement rural attise la peur et la haine. Cette fois, du coup, si l’histoire est triste et révoltante, elle n’est pas aussi glauque que peut l’être Blast.

 

 

Jean-Bark de Philippe Claudel

01.03
2015
cop. SL

cop. SL

Par ce petit ouvrage publié chez Stock, Philippe Claudel rend à sa façon un dernier hommage à son éditeur depuis 2001 et seul véritable ami, Jean-Marc Roberts, auteur et directeur des éditions Stock pendant 15 ans. Il s’était rebaptisé affectueusement Jean-Bark pour Philippe Claudel, d’après l’un des personnages fumeurs de sa Petite fille de Monsieur Linh. Décédé d’un cancer du poumon, ayant précisément abusé de cette cigarette qu’il tenait avec tant d’élégance, Jean-Marc Roberts était un éternel amoureux des auteurs, des livres et des femmes, parmi lesquelles les stockettes de sa maison.

A la suite du Jérôme Lindon d’Echenoz, Philippe Claudel écrit ici un beau témoignage d’amitié destiné à faire revivre les facettes connues d’un ami… et à faire son deuil aussi.

cop. Carnets de SeL

cop. Carnets de SeL

Philippe Claudel

31.01
2015
cop. mediatheque

cop. bibliothèque les Jacobins

Ce vendredi 16 janvier 2015, une fois n’est pas coutume, c’est à la bibliothèque des Jacobins, à Fleury-les-Aubrais qu’il m’a été donné d’écouter Philippe Claudel répondre aux questions de ses lecteurs. Comme à la librairie des Temps modernes, l’assemblée était dans la fleur de l’âge, tant et si bien qu’on me donna même du « jeune fille » ! Ce qui ne lasse pas de m’inquiéter sur la pérennité de ces rendez-vous dans quelques décennies. Mais ceci est un autre sujet…

Tenace, l’équipe des bibliothécaires des Jacobins relançait Philippe Claudel depuis 2009 avant de pouvoir l’accueillir entre ses murs avec son club lecture.

Philippe Claudel, trop occupé ? Sans aucun doute. Ses nombreux succès et prix littéraires (prix Renaudot pour les Ames grises, prix Goncourt des lycéens pour Le Rapport de Brodeck, César du meilleur premier film pour Il y a longtemps que je t’aime), ses nombreuses activités professionnelles (écrivain, réalisateur, maître de conférence à l’université de Nancy sur l’écriture scénaristique, membre de l’académie Goncourt), ses nombreux déplacements à l’étranger où ses romans sont traduits, le rendent finalement peu disponible. Une chance, donc, de pouvoir le réécouter, après une première fois lors de son intervention auprès des lycéens à Rennes en décembre 2003, pour les Ames grises.

Voici dans ses grandes lignes l’échange qui eut lieu ce soir-là :

Vous êtes un auteur imprégné d’Histoire. Votre thématique s’inscrit autour de la mémoire, de la tolérance, de l’étranger. Est-ce que ce sont autant de batailles que vous menez ?

L’histoire des grands traumatismes est au coeur de mon oeuvre, en effet.

D’abord par sa dimension nationale : dans la littérature française, la guerre est souvent présente. La France est un pays qui examine beaucoup son passé. La littérature française est une littérature du ressassement, du traumatisme.

Ensuite par sa dimension personnelle, liée à ma région, à la Lorraine, et à ma famille. J’ai grandi à mi-chemin entre Verdun et le camp de Struthof. Enfant, mes voyages scolaires oscillaient entre les deux, ma commune était encerclée par des cimetières militaires, et ma famille parlait sans cesse des guerres.

Mais j’écris de la fiction, rien d’autre, et vous remarquerez que dans Les Ames grises, il n’y a ni datation, ni géographie identifiée, et dans Le Rapport de Brodeck, la langue est inventée, et les mots « juif », « nazi » et « holocauste » ne sont jamais prononcés pour évoquer une situation humaine.

En littérature, ce qui m’intéresse, c’est d’inspecter les moments de rupture, où l’homme doit se placer sur l’échiquier.    

cop. Carnets de SeL

cop. Carnets de SeL

Votre écriture est très visuelle dans vos romans. La passion du cinéma vous est-elle venue en même temps que l’écriture ?

Mon amour du cinéma a toujours été là, en même temps que mon amour de la littérature.

Enfant, je fréquentais deux cinémas. J’ai grandi dans une famille modeste mais qui avait un grand intérêt pour la culture. Il était plus facile d’écrire que de filmer, enfant. A la faculté j’ai pu réaliser mes premiers court-métrages, mais ce n’est qu’à 45 ans que j’ai réalisé mon premier long-métrage, et publié à 37 ans mon premier roman. Avant j’écrivais, bien sûr, mais tout ce qui a précédé n’était pas intéressant.

Vous auriez envie d’adapter vos romans ?

Je ne veux surtout pas adapter mes romans car si un livre est un livre, c’est que ça ne pouvait pas être autre chose. C’est la réciproque pour un film. Quand j’écris un roman, mon outil principal c’est la langue, l’histoire est née dans le langage, alors que le film est né avec un désir d’acteurs, un désir de lumières, de sons. Au cinéma on peut filmer sans un mot. J’ai donné l’autorisation il y a deux ans d’adapter Le Rapport de Brodeck en BD. Remarquez d’ailleurs : mes quatre films n’abordent absolument pas la problématique de la guerre, mais sont plutôt des histoires contemporaines sur l’intimité. Suivant le support, je traite de thématiques différentes. 

Qu’est-ce qui vous permet de vous exprimer le mieux, roman ou film ?

Mon espoir, que ce soit un livre ou un film, c’est que cela continue à vivre en chaque lecteur, en chaque spectateur.

Comment écrivez-vous ?

Je n’ai pas de règle : quand j’ai envie d’écrire. C’est ma seule règle. Et encore…

Je n’écris pas le soir. Je suis plutôt du matin. Et je préfère l’hiver à l’été, où j’ai envie de sortir. J’adore tout ce qui est papeterie – carnets, crayons,… – mais je suis incapable d’écrire sans ordinateur portable. 

Comment fait-on pour passer à un autre roman après avoir fini Le Rapport de Brodeck ?

L’Enquête, qui a suivi, n’est pas un roman à proprement parler. Je m’y suis essayé à tous les genres par le biais de mon protagoniste : le fantastique, la SF, … Parfums non plus. Je me pose beaucoup de questions sur le roman. 

Derrière la façade sombre de vos romans êtes-vous un optimiste ?

Ce n’est pas à moi de vous le dire. A partir du moment où mon roman est publié, je le donne au public. Et c’est ce dernier qui interprète. Quant à moi, chaque matin, je peux être d’un plus ou moins grand optimisme.

Qui dans votre carrière vous a soutenu, vous a aidé ?

Si j’ai un conseil à donner en tout cas à ceux qui écrivent, c’est de ne surtout pas montrer ce que vous faites, car cela peut vous être dommageable : on peut vous flatter ou vous démoraliser.

Je n’ai pas eu de mentor. Mais il y a des écrivains qui ont compté pour moi : Jean-Claude Pierrotte, qui m’a encouragé. Céline est l’un de mes écrivains préférés. A 20 ans, j’étais sous l’influence de Céline, Proust, Simenon, Giono, Baudelaire, Kadaré, Julien Gracq…

Vous semblez accorder à la Nature une place toute particulière dans Le Rapport de Brodeck.

La Nature a une réelle importance dans Le Rapport de Brodeck, effectivement. J’y évoque le rapport de l’homme à la Nature, et surtout de l’indifférence totale de la Nature au destin des hommes. C’est un roman émaillé d’événements météorologiques : la brume, le gel, la neige, le soleil,… Au contraire, L’Enquête est un roman dans la ville, dont la Nature est exclue, sur un modèle économique inhumain, labyrinthique. Dans mon dernier film, la Nature agit comme un terreau d’inspiration. Je me sens très proche de ce que Rousseau disait de la nature dans ses Promenades.

Vous êtes membre de l’Académie Goncourt. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle, sur son fonctionnement ?

Nous nous réunissons chaque premier mardi du mois, chez Drouot, durant deux heures qui s’achèvent par un déjeuner.

L’académie connait une forte activité toute l’année et à l’étranger. Car les autres pays veulent tous imiter le modèle du Goncourt des lycéens.

Au Goncourt on lit le plus possible de livres, autant par curiosité que par plaisir. Je lis ainsi une centaine de romans de mi-mai à fin août. Je ne suis absolument pas influencé par la presse. On est honnête, surtout depuis l’arrivée de Françoise Chandernagor et de Bernard Pivot.

En 2012 je soutenais Patrick Deville pour Peste et Choléra. Mais il a reçu le Fémina trois jours plus tôt. Et dans l’Académie, d’autres n’ont pas voulu lui donner un deuxième prix.

Quelques mots sur Jean-Marc Robert ?

C’était le patron des éditions Stock, lui-même auteur de très courts romans d’une grande finesse. Il a été mon éditeur depuis 2001 ; il est devenu mon meilleur ami. C’était quelqu’un qui aimait les auteurs. Ce n’est pas pour rien que je ne publie plus. D’ailleurs j’avais écrit un roman avant sa mort, qui n’a jamais été publié depuis. On travaille toujours dans l’incertitude quand on écrit. On ne sait même pas si un roman est bon ou mauvais. On a besoin d’un jugement littéraire extérieur. Un éditeur, c’est à la fois un accompagnateur de livres et un commerçant. Pour pouvoir exercer son métier, il doit savoir équilibrer la qualité de ses publications avec des ouvrages qui vont toucher un grand public.

Quel sera votre prochain livre ou votre prochain film ?

Mon roman n’est pas suffisamment bien pour être publié. Quand on a la malchance d’être connu, on est sûr d’être publié, donc il faut être exigeant envers soi-même. Je suis dans deux autres romans dont j’espère que l’un pourra être publié. Ma femme aussi joue un rôle essentiel. Avec Jean-Marc Robert, c’est mon autre relecteur. Elle me fait couper beaucoup. Cela fait partie du travail d’écrivain, comme quand on est réalisateur, d’avoir beaucoup de matière pour pouvoir couper.

Mon dernier film a été tourné à 12 kms de Nancy, dans une ville de campagne. J’ai eu envie de filmer cette innocence de l’enfance, sauf qu’on refuse à cet enfant de prendre des décisions.

Merci pour cette rencontre qui s’est achevée autour d’un apéritif convivial.

J’ai lu de lui :

J’abandonne (pas encore critiqué)

Les Ames grises ***

La Petite fille de Monsieur Linh (pas encore critiqué)

Le Rapport de Brodeck ****

Parfums *

J’ai vu de lui :

Il y a longtemps que je t’aime (pas encore critiqué)

 

Parfums de Philippe Claudel

25.11
2012

cop. Carnets de SeL

 

Se dérobant à l’exercice périlleux de l’autobiographie classique que d’aucuns pourraient juger inintéressante, Philippe Claudel a choisi de partir d’un de nos cinq sens, l’odorat, pour faire remonter à la surface ses souvenirs d’enfance, d’adolescence mais également pour évoquer un passé proche. De cette façon, il est également parvenu à se dérober à la rentrée littéraire dont il ne pouvait désormais plus être juge et partie, ayant accédé au titre honorifique de membre de l’Académie Goncourt, qui délivre le prix littéraire le plus convoité de l’année.

Né en 1962 à Dombasle-sur-Meurthe, petite ville de la Lorraine, où il demeure toujours, Philippe Claudel dresse ici l’inventaire, sous la forme d’un abécédaire, des parfums qui ont marqué sa vie :

« Un matin, j’attends mon oncle en préparant le café, comme d’habitude. Il ne viendra pas : il est mort dans la nuit. Son pull-over repose sur un escabeau. Presque humain. Fatigué. Troué par endroits. Avec deux petites taches de plâtre frais qui se sont lovées dans les fibres du tissu. J’enfouis mon visage en lui comme dans le creux des bras d’un être aimé, en pleurant. Mon oncle est là, violemment présent, dans le parfum froid de la cigarette, les traces atténuées d’un après-rasage bon marché, la poussière de ciment, la colle à papier peint, surgissant d’une alchimie que le vêtement a concentrée malgré lui. » (p. 166)

Comme une madeleine de Proust, certaines odeurs font ainsi revivre pour chacun d’entre nous des lieux, des moments, des personnes. Philippe Claudel a choisi d’en disséquer les fragrances, à la manière du héros de Patrick Süskind, Jean-Baptiste Grenouille, pour nous livrer son amour du terroir, des choses simples, dans des chapitres très courts de deux ou trois pages, qui se dégustent comme autant de  Première(s) Gorgée(s )de bière.

Ma sélection de la rentrée littéraire a placé entre mes mains ce recueil de textes autobiographiques de Philippe Claudel, orné d’une jaquette illustrée par le célèbre tableau de Klimt, Les trois âges de femme, au moment où je donnais moi-même naissance à une petite fille, dont je respirais le doux parfum en l’allaitant.

Si le travail d’écriture de Philippe Claudel ne laisse aucun doute, chaque mot étant pesé savamment pour traduire ses ré-impressions, l’exercice m’a semblé néanmoins, peut-être à tort, trop appliqué et trop scolaire. Mis à part quelques passages comme celui cité précédemment, le recueil ne m’a pas émue, comme l’ont fait la plupart de ses romans.

Une lecture plaisante.

Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel

22.09
2007

copyright Stock

Dans un village isolé, peut-être en Alsace, vient d’être assassiné l’Anderer, l’autre, celui qui est arrivé un jour tout sourire sans jamais dire son nom. Alors les hommes du village, comme pour se disculper, chargent Brodeck d’une mission, celle de raconter comment tout cela s’est passé, depuis le début, dans un rapport. Mais en rappelant ses souvenirs à lui, Brodeck fait ressurgir aussi, malgré lui, tout un passé qui date de bien au-delà de l’arrivée de cet homme doux mais étrange, un passé ancré dans l’Histoire, dans ce qu’elle a connu de plus inhumain, et dans celle du village, qu’il ne faut surtout pas déterrer…
car

« L’homme est un animal qui toujours recommence. » (p. 185)

« N’oublie pas que c’est l’ignorance qui triomphe toujours, Brodeck, pas le savoir. » (p. 224)

Juste un bémol qui me faisait hésiter à mettre jusqu’à quatre étoiles (fait rarissime) à ce dernier roman de Philippe Claudel, un auteur dont j’apprécie à la fois l’oeuvre et l’homme, simple et discret, pour le peu que j’ai pu le rencontrer, à mon sens son meilleur roman, un roman remuant le passé que l’on repose, sa lecture achevée, triste et révolté :

à cette parfaite maîtrise de l’intrigue, savamment orchestrée, énonçant le meurtre d’un homme dès l’incipit, comme dans Chronique d’une mort annoncée de Gabriel Garcia Marquez, pour ensuite nous imprégner de l’atmosphère de ce village et de son passé dé-peint au grand jour, distillée à petites gouttes au moyen de va et vient temporels, d’hésitations du narrateur entre le réel et la fiction, de réflexions sur le pourquoi, sur ce mélange de peur et de bêtise collectives, sur le pardon, d’interrogations sur l’Histoire comme somme d’expériences particulières, alliant construction réfléchie et souci du détail,concision et justesse du style, il manque juste cette petite pointe d’originalité qui nous aurait fait crier au chef d’oeuvre… mais si vous ne deviez n’acheter qu’un roman français faisant l’actualité de cette année, ce serait bien celui-là ! C’est un bon et beau roman, que dis-je, c’est un très beau roman. Gageons, je l’espère, que Philippe Claudel ne se contentera pas cette fois de figurer parmi les concourables, mais qu’il verra son dernier roman s’orner d’un prix, lequel du coup retrouvera lui-même un peu de son prestige.

Quelques perles au milieu de tant d’autres dont la poésie apaise la noirceur du roman :

« J’ai toujours eu un peu de mal à parler et à dire le fond de ma pensée. Je préfère écrire. Il me semble alors que les mots deviennent très dociles, à venir me manger dans la main comme des petits oiseaux, et j’en fais presque ce que je veux, tandis que lorsque j’essaie de les assembler dans l’air, ils se dérobent. » (p. 47-48)

« Elle avait de grands yeux verts, très beaux, avec des paillettes d’or sur le pourtour de leur iris. Je me souviens d’avoir pensé que les yeux n’ont pas d’âge, et que l’on meurt avec ses yeux d’enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l’ont plus lâché. » (p. 60)

CLAUDEL, Philippe. - Le rapport de Brodeck. - Stock, 2007. - 400 p.. – ISBN : 978-2-234-05773-9 :21,50 €.
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P.S. : Il a effectivement reçu un prix, celui du Goncourt des Lycéens, le plus cher à mes yeux.
P.S. 2 : Roman dédicacé lors du Salon du livre de Paris le samedi 15 mars 2008.

Les âmes grises de Philippe Claudel

16.09
2005

copyright Stock

Un policier vieillissant noircit des pages de cahiers, cherchant dans l’écriture un exutoire à son deuil, à son chagrin, à sa faillite. Il raconte des faits datant de vingt ans, en 1917, dans un village lorrain étreint par l’hiver et les échos de coups de canon par-delà la colline. Il y a l’Affaire, ce meurtre qui l’obsède, cette petite fille qui avait l’air d’un ange, assassinée dans le froid de l’hiver, au bord de la rivière, près du château d’un procureur veuf et solitaire, Pierre-Ange Destinat. Le juge Mierk accompagné du colonel Matziev, deux ogres dépourvus de sentiment, auront tôt fait de classer l’affaire en trouvant en la personne de deux jeunes déserteurs les coupables idéaux. Car l’âme des habitants de ce village n’est pas bien belle à voir à cette époque, engluée dans un climat social où les nantis font loi. Belle de jour, on l’appelait, cette petite fleur dont la présence illuminait les « âmes grises » de cette ville provinciale. C’était peut-être là son seul tort, tout comme ces deux autres fleurs, Lysia, la jeune institutrice, dont le suicide restera incompris, et Clémence, la femme du narrateur, qui mourra seule en donnant vie à son enfant…

Dans ce roman, Philippe Claudel n’a pas voulu retranscrire une guerre, celle des gueules cassées, mais reconstituer toute une époque, un climat social, réussissant à nous faire sentir cette odeur âcre et deviner cette teinte grise d’un monde révolu. Il excelle ainsi dans l’art du parler populaire de naguère, retrouvant ou réinventant le vocabulaire de l’époque, les vieilles expressions. Il nous dépeint surtout une ville provinciale qui croit échapper à la guerre alors qu’elle a perdu tout espoir, toute étincelle de vie. Un roman triste, où se révèlent la force d’une écriture et un talent certain.

Prix Renaudot 2003
CLAUDEL, Philippe. – Les âmes grises. – Paris : Stock, 2003. – 284 p. ; 22 cm. – ISBN 2-234-05603-9 : 18,80 €.
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