Mots-clefs ‘Nouveau Roman’

Littérature : textes théoriques et critiques

05.10
2012

 

cop. Nathan université

 

100 textes d’écrivains et de critiques classés et commentés par Nadine TOURSEL et Jacques VASSEVIERE, agrégés de lettres modernes.

C’est la rentrée pour les étudiants : l’occasion de vous présenter un ouvrage qui m’a été très utile lors de la préparation d’examen en lettres, il y a plus d’une quinzaine d’années.

Clair et concis, Littérature : textes théoriques et critiques classe en effet en huit parties les textes indispensables à la résolution des grandes problématiques qui se posent sur l’oeuvre littéraire :

- Qu’est-ce qu’un oeuvre littéraire ? : spécificité du texte littéraire, les critères de qualité, l’oeuvre et le réel.
- L’expérience de l’écrivain : la création littéraire, l’écriture et ce qui s’y joue, l’homme et l’oeuvre.
- L’oeuvre et ses lecteurs : qu’est-ce que lire ?, l’oeuvre et son public, le destin de l’oeuvre. Qu’est-ce qu’un classique ?
- Structures du récit : modes du récit, temps et espace, le personnage, la description.
- Le roman : le roman en procès, roman et réel : le réalisme en question, roman et récit, roman et personnage.
- La poésie : le langage poétique, la création poétique, lire un poème, fonction de la poésie.
- Le théâtre : la communication théâtrale, la mise en scène, les fonctions du théâtre.
- Fonctions de la littérature : littérature et morale, littérature et politique : la question de l’engagement, littérature et culture.

Une introduction ouvre chacune des parties de ces différentes problématiques, suivie d’une présentation claire et synthétique de trois à cinq textes de théoriciens, d’universitaires ou d’écrivains. De quoi donner une vision d’ensemble des oeuvres indispensables à la compréhension du questionnement posé, et surtout de donner envie de les lire !

Un ouvrage de référence pour les étudiants en lettres.

Moderato Cantabile de Marguerite Duras

16.09
2005

« Et qu’est-ce que cela veut dire, moderato cantabile ?« 

Cette question, qui ouvre le roman, s’adresse tant à l’enfant qu’au lecteur, dont la réponse ou l’absence de réponse le positionneront socialement du côté d’Anne Desbaresdes, la bourgeoise, ou du côté de Chauvin, l’ouvrier, le salarié. La réponse comble cette faille culturelle et place à égalité les deux classes sociales : « Moderato, ça veut dire modéré, et cantabile, ça veut dire chantant, c’est facile. »
Et c’est moderato cantabile que Marguerite Duras va mettre en mots cette non-histoire, rendant ses phrases à sa manière mélodieuses.

Mais revenons à l’histoire. Que raconte ce roman ?
Anne Desbaresdes assiste à la leçon de piano de son fils lorsqu’un cri de femme retentit. Il vient du café, situé au bas de l’immeuble. Bientôt lui succèdent d’autres exclamations. Un drame est arrivé. Anne aperçoit un homme caresser amoureusement les cheveux de la femme qu’il a assassinée, avant qu’il n’accepte de monter dans le fourgon de la police. Ce drame la fascine. Le lendemain, Anne Desbaresdes entre dans ce café fréquenté d’ordinaire par des hommes, des ouvriers de son mari. Cherche-t-elle à hanter les lieux ? Cherche-t-elle à savoir ? Elle y rencontre un homme, un ouvrier, qui consent à lui fournir des réponses. Le lendemain, elle revient, pour y retrouver cet homme, Chardin, avec lequel elle boit du vin, ce vin qui déshinibe, pour étancher une autre soif, celle la passion qui germe en eux…

« - Ce cri était si fort que vraiment il est bien naturel que l’on cherche à savoir. J’aurais pu difficilement éviter de le faire, voyez-vous.
Elle but son vin, le troisième verre.
- Ce que je sais, c’est qu’il lui a tiré une balle dans le coeur.
Deux clients entrèrent. Ils reconnurent cette femme au comptoir, s’étonnèrent.
- Et évidemment, on ne peut pas savoir pourquoi ?
Il était clair qu’elle n’avait pas l’habitude du vin, qu’à cette heure-là de la journée autre chose de bien différent l’occupait en général.
- J’aimerais pouvoir vous le dire, mais je ne sais rien de sûr.
- Peut-être que personne ne le sait ? »

Marguerite Duras reste dans l’abstraction. Abstraction de l’espace : la ville n’est pas nommée. Elle est bordée par la mer et se compose d’un quartier populaire où se situe le café et d’un quartier plus résidentiel où demeure Anne Desmaresdes. Abstraction du temps : pas de date, le récit est au présent. Abstraction des personnages : le mari d’Anne est une figure fantomatique, sans nom, sans portrait, son fils n’est cité que comme « l’enfant », Chardin est nommé tardivement, seule Anne Desbaresdes, reconnaissable comme étant le personnage principal, est identifiée par tous : « femme du Directeur d’Import Export et des Fonderies de la Côte« . Mais jamais elle n’est décrite physiquement. On ne connaît pas aux personnages de passé, de futur, ni d’histoire, si ce n’est leur rang social, symbolisé par les deux extrêmes que sont Melle Giraud, incarnant la vieille société traditionnelle, et la patronne du café, sentant bien que la place d’Anne n’est pas là. Une économie de personnages, donc, qui s’allie à un style dépouillé, minimaliste, qui s’apparente fortement au Nouveau Roman, courant littéraire des années 50 remettant en cause la tradition du roman réaliste, c’est-à-dire refusant une intrigue classique et des portraits psychologiques des personnages. Seul compte ce qui est donné à voir et surtout à entendre. C’est pourquoi la majorité du roman repose sur le dialogue entre Anne et Chauvin. C’est AU LECTEUR D’IMAGINER, DE COMPRENDRE, ET SEULEMENT S’IL LE SOUHAITE. CAR LE RECIT SE SUFFIT A LUI-MEME. TOUT EST LA. Dans la droite lignée de Flaubert. Ecrire, même si ce n’est sur rien. Ou si peu. L’histoire d’une nouvelle Bovary qui se languit de, qui aspire à…

Qu’est-ce qui plaît tant dans ce roman ?
Plusieurs choses :
- son intemporalité précisément, ses personnages esquissés, qui permettent une identification plus large,
- cette histoire d’amour adultère rendue possible et aussitôt impossible par le couple qui les a précédés dans ce café (cela n’est pas sans rappeler le film In The mood for love de Wong Kar Wai, inspiré du roman Tête-bêche d’Yichang LIU…). Ils reconstituent ce crime passionnel : ils créent un métaroman autour du meurtre originel, prétexte à leurs rencontres. Ils sont amoureux mais ne se rendent pas libres de cet amour-là.
- sa musicalité surtout : la musicalité des phrases créée par l’insistance sur certains mots, rejetés en juxtaposition, par la fluidité des mots, libérés de toute contrainte grammaticale, répétés comme un leitmotiv.
Ce qui le rend si puissant…