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Continuer de Laurent Mauvignier

06.11
2016

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Samuel ce soir n’est pas rentré dans leur appartement de Bordeaux. Sibylle passe la nuit à l’attendre. Et puis, un coup de fil. Samuel s’est laissé entraîner par ses mauvaises fréquentations à une fête, qui s’est mal finie. Les écouteurs sur les oreilles, Samuel reste dans sa bulle, ignore sa mère qui, des semaines durant, prépare un voyage de plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, pour l’empêcher de sombrer dans la haine et la délinquance. Mais c’est aussi son histoire à elle qui la rattrape, elle qui a eu un jour son destin brisé…

« Ce matin, Samuel ne parle pas de comment il a été agacé par les deux hommes la veille au soir, comment il a été surtout irrité par son comportement à elle, comment il n’a pas aimé voir sa mère en train de jouer le jeu de la séduction. »  (p. 110)

Après avoir été enthousiasmée par Des hommes en 2009, Ce que j’appelle oubli et Loin d’eux, Autour du monde m’avait déçue, à tel point que je n’avais pas poursuivi ma lecture, mon temps étant désormais précieux. Si, ici, je me suis laissée davantage porter par le récit, je ne retrouve pourtant toujours pas la plume qui m’avait séduite. Continuer, oui, à écrire aussi pour Laurent Mauvignier, et son inspiration cherche un second souffle dans les faits divers et les drames qui ont parfois secoué les espaces publics français. Et pourtant, il y a dans cette relation entre une mère qui continue de vivre malgré ses cauchemars qui reviennent la hanter, et cet adolescent qui refuse le contact, l’échange, la parole, quelque chose de vrai, d’authentique, tout comme ce désir sensuel refoulé de part et d’autre, comme une résurgence de deux chairs qui se sont connues du moins les premiers mois de la vie.

Un beau roman malgré tout.

Autour du monde de Laurent Mauvignier

05.10
2014

cop. Minuit

Tout commence au Japon par une rencontre entre un Mexicain, Guillermo, et Yûko dont le tatouage pourtant intimidant étonne moins que ses balafres dans le haut du dos, alors que le tsunami arrive… Partout dans le monde, des histoires se nouent ou se dénouent, avec comme seul point de convergence la médiatisation du tsunami au Japon.

Une même catastrophe vécue anonymement et différemment aux quatre coins du monde, voici le défi que s’est lancé Laurent Mauvignier dans ce nouveau roman pour évoquer la globalisation qui nous touche tous, plus ou moins directement. Partant, l’heure est au constat, et non plus à la révolte : en témoigne son écriture que l’on reconnaît à peine, tant elle s’est simplifiée, comme fondue dans l’anonymat, elle aussi. J’avoue ne pas avoir aimé ce roman qui me parait manqué : un roman choral sans prétendre l’être, dont j’ai suivi trop vite, trop peu, chacun des personnages, une mosaïque de destins lâchés par l’écriture auparavant si vive, si originale de Laurent Mauvignier. C’est dit : je le préfère dans le microcosme des vies singulières que noyé dans le macrocosme du tout et du rien. Pour autant, je salue son audace d’avoir volontairement coupé les ponts avec son confort d’écrivain, les thèmes et le style qui lui avaient acquis l’estime du public, pour s’aventurer ailleurs et autrement.

Mauvignier, Laurent. Autour du monde. PARIS : Éditions de Minuit, 2014. 371 p.. . ISBN 978-2-7073-2385-9

Ce que j’appelle oubli ** de Laurent Mauvignier (2011)

18.09
2011

cop. Minuit

Quand on n’a que vingt-cinq ans, on est peut-être déjà assez vieux pour mourir. Mais mourir assassiné parce qu’on n’a ni toit ni revenus, et qu’on a juste bu quelques gorgées de bière dans une canette bon marché qu’on n’avait pas les moyens de payer, au supermarché, c’est encore moins normal. Et c’est pourtant ce qui arrive véritablement à Michaël Blaise, tué par quatre vigiles au supermarché Carrefour du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, en décembre 2009.

« (…) la surprise du sang sur ses doigts, il se répète, ils vont me casser la gueule et pourquoi ça tombe sur lui il ne sait pas, il a eu peur de ça depuis toujours et maintenant que c’est face à lui il n’a presque plus peur, seulement il ne comprend pas et ne peut pas imaginer comment les pompiers enlèveront son corps tout à l’heure, et comment, sur le ciment, on nettoiera le sang à l’eau de Javel et à la brosse, et puis le rire de celui qui a du gel sur les cheveux, ses dents qui se chevauchent (…) » (p. 22)

Une seule phrase longue de soixante pages, comme scandée d’un seul souffle, le dernier, pour décrire plus que l’innommable, l’inhumanité : c’est ainsi que Laurent Mauvignier choisit d’exprimer son indignation face à l’extrême violence de ce fait divers, qu’il tire de l’oubli.

Car celui qui ne pourra pas oublier, c’est le frère de la victime, en l’occurrence le narrateur. C’est en quelque sorte pour lui aussi que Laurent Mauvignier écrit cette histoire, pour celui qui reste, pour celui à qui cet homme va manquer, pour celui qui savait son frère vulnérable, sans logis, et qui surtout le connaissait en tant qu’être humain, avec ses espoirs et  ses peines. Pas comme les vigiles qui lui ont dénié sa qualité d’être humain, d’individu, pour ne plus voir en lui qu’un bouc-émissaire de tous ceux que les temples de la consommation leur demandent de surveiller et d’appréhender, un gars de leur âge, inoffensif, qui prendra pour tous les autres… peut-être parce qu’ils ont failli se retrouver à sa place, s’ils n’avaient pas obtenu ce travail, peut-être pour tout ce qu’il représente… Le narrateur imagine tout, le hasard qui a mené son frère jusqu’au rayon des bières, sa docilité quand il se fait surprendre, sa stupeur quand il s’aperçoit du lieu où ils l’emmènent – la réserve-, l’incompréhension, la douleur sous les coups… Meurtre avec préméditation ? Qu’est-ce qui peut bien conduire ces quatre jeunes hommes à vouloir la mort d’un inconnu ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Que la vie de cet homme démuni vaut moins à leurs yeux qu’une canette volée ? Qu’on ne pourra leur en vouloir de l’avoir éliminé, puisqu’il ne sert à rien, puisqu’il n’est qu’un déchet de la société dont ils peuvent se débarrasser ? Chaque jour, dans la rue, dans le métro, des hommes, des femmes, des enfants mendient dans l’indifférence générale. Chaque soir des passants enjambent, pour aller se divertir au théâtre, un homme assoupi sous ses cartons, qui peut-être demain sera mort de froid. Nul besoin d’assassiner un homme dans la misère pour comprendre que c’est tous les jours que l’exclusion sociale fait peser la vie d’un homme moins chère. Elle se fait en silence, comme les coups qui ont plu sur cet homme, mais pas sans témoins. C’est à nous qui passons chaque jour devant eux, c’est à Laurent Mauvignier de crier, de se révolter. Nul besoin d’aller courir au Burkina Faso se donner bonne conscience quand au coin de la rue, un homme meurt de faim et de froid, pour qui personne ne fait rien…

Un puissant cri de colère, un texte coup de poing, à lire absolument.

Son site personnel : http://www.laurent-mauvignier.net/bibliographie/ce-que-j-appelle-oubli.html

Ce que j’appelle oubli / Laurent Mauvignier. – [Paris] : les Éd. de Minuit, 2011. – 61 p. ; 19 cm. –  EAN 9782707321534 : 7 €.

 


Loin d’eux de Laurent Mauvignier (1999)

29.08
2010

« C’est pas comme un bijou mais ça se porte aussi, un secret. Du moins, lui, c’était marqué sur le front qu’il portait une histoire qu’il n’a jamais dite. Ou bien, s’il l’a dite, c’est à mi-teinte à travers des formules à lui, tout en mystères quand pour seule vérité il a laissé, griffonné dans sa chambre, sur un post-it, un bout de phrase écrit au stylo à bille noir mais dont l’encre était complètement foutue. » (incipit, p. 9)

Dans sa chambre, les posters des plus belles gueules du cinéma ont été décrochés. Luc est parti pour Paris. Son père lui reprochait son désœuvrement. Il travaille maintenant comme serveur et peut aller voir les vieux films qu’il a toujours adorés. De temps à autre il rentre à La Bassée où l’attend toujours le même rituel, les petits plats mis dans les grands, la nappe d’Italie, et puis ce repas pris à trois où on ne se parle jamais vraiment…

Ce roman polyphonique à six voix s’ouvre sur un mystère, sur une absence, la sienne. Pourquoi ? Que s’est-il passé ? On devine là-dessous une incompréhension inter-générationnelle. Mais c’est aussi bien davantage. Patiemment, Laurent Mauvignier dénoue dans le désordre le fil du drame, le pire des drames à vivre, perçu différemment par les six protagonistes, Marthe et Jean, ses parents, Gilbert et Geneviève, ses oncle et tante, sa cousine, Céline, et l’absent lui-même. Seule la littérature peut alors dire ce que tous ces gens n’ont jamais su se dire, ces silences qui n’ont pas été interprétés, ou mal interprétés, ces autres silences encore pour masquer l’incompréhension, ces silences enfin qui sont autant d’aveux de démission, d’impossibilité à communiquer entre deux visions du monde qui s’affrontent, et qui trouvent forcément un écho en nous. Et à l’intérieur de ces silences ce sont autant de solitudes qui grandissent, et qui creusent l’individu de l’intérieur. Et cela, c’est Laurent Mauvignier qui réussit à nous le faire ressentir magistralement, avec sa manière bien à lui de donner espace et voix à ce que chacun garde pour soi, à défaut de pouvoir l’exprimer à haute voix.

Chapeau bas pour ce premier roman, lu par curiosité après la découverte de son tout dernier, Des hommes ***. Impossible désormais d’en rester là. Vite, un autre de lui !

A lire aussi de lui Des hommes *** et l’entretien tenu avec lui à cette occasion.

MAUVIGNIER, Laurent. – Loin d’eux. – Minuit, 2009 . – 126 p.. – (Double ; 20). – ISBN 978-2-7073-1801-5 : 6 euros.

Acheté fin juillet 2010 à la librairie de Vilars-de-Lens, dans le Vercors.


Des hommes de Laurent Mauvignier (2009)

10.10
2009

Que celui ou celle qui n’a jamais entendu parler Des Hommes, ce roman sur l’Algérie porté aux nues par une presse unanime et enthousiaste, laisse un commentaire sous ce billet !

Piquée par la curiosité, j’aurais pu attendre que le buzz s’apaise, mais mon intérêt s’était trouvé éveillé par le thème abordé, et enfin, cerise sur le gâteau, j’eus le plaisir d’assister à une rencontre avec l’auteur... Arriva ce qui devait arriver : j’ai lu Des hommes de Laurent Mauvignier et je l’ai aimé. Je l’ai savouré dès la première page, conquise par cette écriture à la fois simple et complice, oui, dans une sorte de connivence entre le lecteur et le narrateur qui se souvient, remet en ordre ses pensées. Une écriture terriblement juste, doublée d’une analyse psychologique tellement fine, pleine d’un drame à venir, à moins qu’il ne soit déjà passé, ce drame, ailleurs, pendant la guerre d’Algérie, quarante ans avant celui de cette fête d’anniversaire au village, au cours de laquelle Feu de bois offre à sa soeur Solange une broche dont il n’a pas les moyens, et, humilié par la colère et l’incompréhension générales, retourne sa colère contre l’Algérien présent et sa famille.

« Je me souviens, elle a dit, je me souviens, au début, quand Saïd est arrivé ici, quand on a travaillé ensemble au début, les gens ne disaient rien, ça se passait bien et puis un jour il fallait voter pour les représentants du personnel de la mairie, pour les délégués ou je sais plus. (…) On se connaît tous et personne ne voulait être candidat, parce que tous savent que ça prend du temps, d’être délégué, et puis qu’il faut s’en occuper sérieusement ; et je me souviens de ce que ça a été quand il s’est proposé, Saïd. Ce moment entre les gens, je sais pas comment dire, la gêne, le silence, quelque chose entre les gens, dans les regards ou je sais pas, non, dans l’air, et c’est le gros Bouboule, avec son sourire de gamin et son visage tout rebondi et plissé autour des yeux et sous le menton qui a dit ce que les autres pensaient et qu’aucun n’était capable de reconnaître et d’assumer vraiment, comm si on ne se rendait pas compte, oui, de ce qui se passait. » (p. 96)

Un bon roman, un excellent devrais-je dire, à lire sans tarder, pour ne pas oublier ce que c’était de partir en guerre, de la vivre et d’en revenir, sans un mot sur ce qui s’était réellement passé, sans vouloir remuer tous ces mauvais souvenirs, ces traumatismes dont on ne guérit pas et que l’on garde pour soi.

Minuit, 2009. 280 p.. - ISBN 978-2707320759 : 17,50 euros.

Vous pouvez aussi un entretien avec Laurent Mauvignier et la chronique de son premier roman, Loin d’eux (1999).

Consulter les 4 commentaires sur l’ancienne version du blog.

Laurent Mauvignier (2009)

08.10
2009

Ce mercredi 7 octobre 2009, au premier étage de sa librairie Les Temps modernes, Catherine Mouchard-Zay a accueilli Laurent Mauvignier à l’occasion de la sortie de son roman Des hommes. Après l’avoir invité à lire sa citation de Genet, le bal des questions a pu commencer :

Pourquoi cette citation de Genet en ouverture ?

La guerre d’Algérie vue par Genet a inspiré beaucoup d’auteurs. Cette citation me paraissait refléter complètement ce que j’avais voulu exprimer dans ce roman.


Pourquoi le titre Des hommes ?

Avant d’être un roman sur la guerre d’Algérie, c’est surtout un roman sur la mémoire. J’ai voulu mettre en évidence l’ignorance d’une génération partant dans un pays dont elle ignore l’histoire. Comme pour les poilus, on disait à ces appelés qu’ils allaient devenir des hommes…

D’où vous est venue l’idée de ce roman ?

L’idée est venue avec le désir d’écrire, avec les photos d’Algérie que j’ai vues, ramenées par mon père. Il n’y a pas eu de discours dessus, donc je n’avais pas pu poser de question.
Je ne l’ai pas écrit tout de suite, j’ai attendu d’être prêt techniquement et psychologiquement pour me lancer. Je me sentais d’abord incapable d’assumer ce livre en France. Il est très délicat de parler de l’Algérie. En évoquant les pieds noirs, les harkis, etc. j’avais toujours peur que l’on me tombe dessus.

Parlez-nous un peu de cette construction qui fait penser au théâtre…

Je voulais que mon roman s’écoule sur une journée. Car ce n’est pas un roman historique mais un roman sur le passé. La temporalité y est donc aussi importante que l’espace. De même j’ai voulu créer un contraste entre la France et l’Algérie en choisissant l’hiver et ses chutes de neige, en opposition avec le soleil et le sable. Le premier temps, c’est cette fête de famille, celle de l’anniversaire de Solange. On y fait la connaissance des deux personnages principaux, Rabut, le narrateur, et Feu de bois, un peu le clodo du coin, qui offre un cadeau à sa soeur Solange, ce qui va provoquer l’émoi de tout le village. En réaction, Feu de bois va finir par retourner sa colère contre l’Algérien invité au banquet, et sur sa famille. Dans le second temps, on repart 40 ans plus tôt avec les mêmes personnages.


***

Je me suis rendu compte que la plupart des romans français sur l’Algérie étaient mauvais. Pourquoi ? Parce qu’ils voulaient tout expliquer, donner leur opinion, etc… Au contraire, les films américains sur le Vietnam sont plutôt bien faits parce que tout simplement ils ne commentent pas la guerre, mais ils la font vivre au travers de personnages. Dans Voyage au bout de l’enfer, par exemple, la première heure du film nous montre un mariage, à laquelle succèdent trois quart d’heure d’hyper – violence où les personnages sont parachutés en pleine guerre sans rien comprendre. Je voulais que l’Algérie ressorte comme un moment-clé, comme un révélateur, comme une photo, sans narrateur, mais bien après le début du roman.

***

Avec cette construction, le personnage de Feu de bois va retrouver son prénom à rebours. C’est un peu comme quand vous rencontrez quelqu’un. Au fur et à mesure que vous apprenez à le connaître et qu’il vous raconte des bribes de sa vie, vous comprenez son attitude de mieux en mieux.

Ecrire, comme vivre, c’est un peu comme un tressage, des coïncidences, des choix,.. .
Pour moi, écrire un roman, ce n’est pas donner des réponses, c’est poser des questions. Il faut pour cela que la fin porte ce sentiment d’inachèvement.

Les deux personnages principaux sont un peu les deux facettes d’une même personne. Pour Bout de feu, contrairement à Rabut, le passé est impossible à surmonter.

Vous êtes-vous exprimé dans ce roman comme vous vouliez le faire ?

C’est encore une surprise car quand on a fantasmé un objet, c’est toujours un peu particulier quand il est là, terminé. Et il y a toujours une petite déception, car on a toujours l’espoir qu’un livre puisse transformer le monde.
Mais j’ai voulu écrire un roman sur le silence, sur le non-dialogue entre ces personnages sur un événement – tabou, sur toutes les guerres. Et je pense que c’est bien ce qui ressort.

Un homme dans l’assistance : Il y a du silence car quand on revient, la guerre a été vécue comme un traumatisme, elle a été vécue comme un viol. On ne peut plus, on ne veut plus en parler. On veut juste pouvoir se reconstruire. On veut revivre.

Une autre femme dans l’assistance : C’est juste. Et à chaque guerre on observe toujours la même chose : il y a ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas en parler.

Une seconde femme : De même, il y a aussi ceux qui ne veulent pas entendre.

Mais on ne parle pas comme cela, ex nihilo, surtout de choses aussi dures. C’est aussi que des questions ne sont pas posées, qu’aucun contexte n’est vraiment créé pour libérer la parole.

Vous pouvez lire à propos de cet entretien 3 commentaires sur l’ancien blog.

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