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Jacques Sternberg ou l’oeil sauvage de Lionel Marek

06.08
2013

loeilsauvageAurait-il mieux valu que cette biographie fût publiée avant mon essai Jacques Sternberg : une esthétique de la terreur ? Tout est dit, les espaces laissés blancs par l’ère anté-net et par ses biographies successives sont recouverts à présent par ce vibrant hommage d’un fils à son père disparu, faisant, en l’achevant, une seconde fois son deuil, après avoir redécouvert pour le préparer l’intégrale de son père dans sa chronologie. Jean-Pol Sternberg, alias Lionel Marek, pseudonyme imposé par son père quand lui aussi embrasse la vocation d’écrivain, nous invite ainsi à suivre le parcours de combattant de Jacques Sternberg, d’abord en tant qu’adolescent juif à travers la seconde guerre mondiale à laquelle il survit, puis échec après échec sur la longue route pour se faire publier et accéder à la notoriété.

A propos du Raccourci : « L’auteur n’a que 25 ans, et déjà une telle sombre violence ! La guerre est passée par là. Avant de devenir un personnage littéraire harcelé par la sournoise malveillance des décors du quotidien, il aura été un Juif traqué par des êtres humains hostiles. Sternberg est sans doute belge, il sera également marqué par une certaine culture américaine, mais il demeure avant tout un Juif marqué par son passé à lui, jusqu’à se projeter dans un antihéros torturé par un délire de persécution hallucinatoire, une amplification pathologique de ce qui incarnait la qualité suprême de l’écrivain – la lucidité, ce qu’il appellera plus tard « l’oeil sauvage ». »(p. 82)

Il analyse, ce faisant, la thématique et l’écriture de Jacques Sternberg au fil de son œuvre, sans jamais glisser vers la flatterie. Il en distingue cinq registres principaux : une science-fiction libertaire de portée satirique sur la société, un fantastique quotidien et un « insolite onirique surréalisant » empreints d’humour noir, un non-sens paroxystique, des histoires d’amour tragique assez classiques, et une dérive autofictionnelle prégnante. Envers et contre les lecteurs et critiques, dont il ressort des archives les avis publiés, il lui trouve plus de génie dans ses pamphlets – Lettre ouverte aux Terriens – et dans sa création romanesque, poussant au paroxysme le non-sens et décomposant temps et espace d’une manière tout à fait novatrice, qu’en tant que maître du conte bref, même s’il déclare quelques coups de cœur comme Le Rideau, Le Délégué ou Si loin du monde :

« (…) contrairement à ce que beaucoup prétendent, le sommet de l’oeuvre de Sternberg ne culmine pas dans ses textes les plus concis, mais dans ses romans les plus novateurs. » (p. 108)

Il marque ainsi une nette préférence pour sa trilogie marquée du sceau du non-sens, L’Employé (1958), « bombe » antiromanesque, Un jour ouvrable (1961), dystopie mettant en scène une société totalitaire, et Attention, planète habitée (1970), mais également pour Le Navigateur (1977), « gigantesque fantasme » poétique, et pour Agathe et Béatrice, Claire et Dorothée (1979), à « l’improbable organisation temporelle ».

Une biographie passionnante, qui ne peut qu’inciter éditeurs et lecteurs à lire et à ressusciter les textes précités, et redécouvrir l’écrivain original que fut Jacques Sternberg.

 

MAREK, Lionel. – Jacques Sternberg ou l’oeil sauvage. – Lausanne : L’âge d’homme, 2013. – 363 p.. – EAN 13 9782825142639 : 23 €.

Un « Apostrophes » consacré à la science-fiction

01.11
2012

Y A-T-IL UNE NOUVELLE SCIENCE FICTION ?
Apostrophes – 30/06/1978 – 01h20min33s

Autour de Bernard PIVOT sont réunis

Jacques STERNBERG, auteur (entre autres) de Futur sans avenir, Mai 86, (cf. Jacques Sternberg : une esthétique de la terreur de Sandrine Leturcq, publié chez L’Harmattan)

Elisabeth GILLE, directrice de la collection « Présence du futur »,

Gérard KLEIN, directeur de la collection « Ailleurs et Demain » pour son Anthologie de la science fiction française,

Philippe CURVAL, auteur de Cette chère humanitéFutur au présent,

Bernard BLANC, auteur de Pourquoi j’ai tué Jules VERNE,

Robert LOUIT, directeur de la collection « Dimension S.F. »,

Jacques GOIMARD pour son ouvrage l’année 77.78 de la SF et du fantastique

et Michel POLAC auteur de Le QI ou le roman d’un surdoué.

Les participants essaient de définir ce qu’est la science-fiction, retracent son histoire à partir de 1950.

Gérard KLEIN critique brutalement le livre de POLAC, « mauvais ».

Bernard BLANC raconte comment et pourquoi il a tué Jules VERNE et présente la nouvelle génération d’auteurs de SF, plus militante. Pour lui il n’y a pas une nouvelle S.F. mais plusieurs courants disparates.

Philippe CURVAL, encore plus brutal : « pas un auteur du XXème siècle n’est influencé par Jules Verne, même le plus débile….Cendrars, Apollinaire ? Oui, des débiles« .

Elisabeth Gilles explique pourquoi il y a très peu de femmes auteurs de S.F.

Chaque directeur de collection présente deux ouvrages d’auteurs français et étrangers.

 

Ailleurs et sur la terre : recueil d’histoires de Jacques Sternberg

04.12
2011

cop. Mijade

Après sa réédition intégrale des excellents Contes glacés de Jacques Sternberg, la maison d’édition Mijade, spécialisée dans les albums illustrés pour enfants et les romans pour adolescents et jeunes adultes nous propose cette fois une anthologie de ses contes et nouvelles de science-fiction. Ceci explique bien sûr le choix de la couverture, destinée à un public d’adolescents, qui n’est pas sans faire penser à un bateau pirate de l’espace ! On salue cette initiative qui permet de redonner vie à ces histoires tirées de recueils hélas trop souvent indisponibles : actuellement, exceptés 188 contes à régler et Contes griffus, il ne vous reste plus qu’à trouver chez les bouquinistes Entre deux mondes incertainsDieu, moi et les autres, 300 contes pour solde de tout compte, Futurs sans avenir, Le géométrie dans l’impossible, La géométrie dans la terreur, Les pensées, Si loin de nulle part et Univers zéro.

Entre Géométrie dans l’impossible et son tout dernier recueil 300 contes pour solde de tout compte, cinquante années ont passé, cinquante années durant lesquelles Jacques Sternberg a toujours essayé de se dégager du genre de la science-fiction, allergique aux étiquettes, pour mieux y revenir. Foin du sérieux des hypothèses scientifiques ! En se servant de la science-fiction, Jacques Sternberg n’a qu’une idée en tête : dénoncer l’homme comme étant la créature la plus dangereuse parmi toutes celles qu’il peut être amené à rencontrer (Les Indolents, Les Etrangers, Les Conquérants, Le Navigateur), et pour la planète qu’il a sous les pieds (La Poubelle). Il n’aura donc de cesse dans toutes ces histoires de montrer la bêtise humaine (Le Désert) et sa vanité, dans tous les sens du terme. Il jouira alors du malin plaisir d’entraîner dans la chute de son récit, souvent bref, le destin de ses personnages-fantoches, chute qui leur sera fréquemment fatale.

A l’inverse, ses descriptions de mondes étranges et de ses habitants sont fascinantes (Les Ephémères, Quoi ?). Ce n’est donc pas l’autre qui représente une menace, mais bien soi-même. De quoi remettre en cause sa recherche du profit, son confort matériel, son gaspillage, sa gestion du temps, sa conception de l’existence.

Sous son vernis de voyages intergalactiques ou de voyages dans le temps se cache un brûlot d’idées écologiques avant l’heure d’une lucidité effrayante.

A lire !

Tout sur Jacques Sternberg ici.

Beaucoup aimé

STERNBERG, Jacques. – Ailleurs et sur la Terre / préface de Joseph Duhamel. – Namur : Mijade, 2011. – 270 p. : couv. ill. en coul. ; 21 cm. – EAN 13 978-2-87423-057-8 : 12 €.

Court-métrage à partir d’un récit de Jacques Sternberg (2011)

13.10
2011

Hommage à Jacques Sternberg (1923-11 octobre 2006)

11.10
2011

En l’honneur du 5e anniversaire de la mort de Jacques Sternberg

«  T’es rien  »  ?

On meurt deux fois.

La première fois de sa vraie mort, biologique, inéluctable, celle qui aura été le thème central, obsessionnel, de toute l’œuvre de Jacques Sternberg, terrifié à l’idée de mourir. La seconde, c’est lorsqu’on tombe dans l’oubli, quand notre nom n’évoque plus rien à ceux qui restent.

Et cette deuxième mort peut être tout aussi effrayante pour un artiste, notamment pour un écrivain tel que Jacques Sternberg, si ce n’est davantage, que la première, car cela signifie qu’on ne le lit plus, que son œuvre après lui s’est éteinte elle aussi, pas plus durable que l’airain. Alors que faire  ? Pour les éditeurs, rééditer ses oeuvres  : c’est ce qu’ont fait dernièrement Albin Michel, Mijade, La Table ronde et les éditions de La dernière goutte. Pour ceux qui ont eu la chance de côtoyer Jacques Sternberg  : continuer à parler de lui, écrire sa biographie. Et puis ? Pour ses lecteurs qui, comme moi, l’estiment, il reste une possibilité, celle de favoriser la communication autour de ses textes, de jouer le rôle de passeur culturel auprès des non-initiés. Enfin est née l’idée de cet essai qui disséquerait son œuvre toujours vivante, pour en faire miroiter les entrailles, desquelles, d’un coup de scalpel, jaillit l’absurdité de notre condition humaine. Sternberg avait beau dire  : « t’es rien », conscient de sa propre finitude de terrien, il n’est pas dit que, de ce conteur intarissable de la terreur quotidienne, on enterrera l’oeuvre aussi…

 

… et ce même jour, mardi 11 octobre 2011, annonce dans La Nouvelle République, de la mort de Jean Gourmelin, illustrateur et dessinateur de presse, dont la rencontre avec Jacques Sternberg en 1968, dont il deviendra l’ami, fut déterminante : il abandonna dès lors le domaine de l’Art et la direction des ateliers du maître verrier Max Ingrand pour partir, sur ses recommandations, travailler dans la presse et dans l’édition, illustrant entre autres ses chroniques dans France Soir et ses anthologies. Découvrez ou retrouvez ses univers à l’exposition de la Bibliothèque du Centre Pompidou.

Denis Chollet avait d’ailleurs écrit en début d’année un article sur Jacques Sternberg et Jean Gourmelin dans le numéro 28 de la revue Papiers Nickelés.

Sortie en librairie de « Jacques Sternberg » par Sandrine Leturcq

01.09
2011

Vient de paraître

 

JACQUES STERNBERG

Une esthétique de la terreur

 

 

Sandrine Leturcq


Collection : Approches littéraires

 

Il s’agit de l’unique essai littéraire publié à ce jour sur cet écrivain dont l’œuvre se révèle d’une effrayante actualité.

En plus de cinquante années de carrière, de 1944, avec Angles morts, à 2002, avec 300 contes pour solde de tout compte, Jacques Sternberg aura écrit seize recueils de récits brefs, autant de romans et de nombreux ouvrages inclassables et variés, sous son nom ou sous d’autres pseudonymes, cinq essais autobiographiques, trois pièces de théâtre, deux essais, deux dictionnaires, deux lettres ouvertes, des anthologies, des scénarii, dont un pour Alain Resnais (Je t’aime je t’aime), et d’innombrables chroniques littéraires pour la presse écrite. Mais c’est avant tout dans ses contes et nouvelles que Jacques Sternberg excelle, des récits brefs d’où jaillit un regard lucide et terrifiant sur notre condition humaine. Et c’est sur ce sujet que porte mon travail d’analyse.

 

Sandrine LETURCQ s’est spécialisée dans l’étude du fantastique et de la science- fiction. Professeure-documentaliste en lycée depuis une quinzaine d’années, forte de l’expérience de séances d’incitation à la lecture et à l’écriture, elle sait combien ce type de textes très courts à chute se prête parfaitement à un travail d’analyse littéraire en classe, pouvant déboucher sur une écriture d’invention « à la manière de »… Sternberg !

 

ISBN : 978-2-296-56318-6 • septembre 2011 • 154 pages

Prix éditeur : 15 €

En vente sur le site de L’Harmattan, dans votre librairie, et sur Amazon, la FNAC, Chapitre.com, Gilbert jeune, etc.

Remerciements à Laurent d’In Cold Blog pour en avoir parlé.


 

L’employé ** de Jacques Sternberg (1958)

25.12
2010

Jacques Sternberg s’apprête à ouvrir une porte. Il est 10h05. C’est un 12 avril. Durant une minute il va s’évader complètement de la réalité pour nous en faire découvrir une autre, celle de son imagination débridée :

D’abord fils d’une mère nymphomane et de plusieurs pères, rescapé d’une fratrie sanguinaire, suicidaire ou assassiné, il renaît pieuvre puis est avalé par un cerisier qui devient peuplier et donne des oranges. Quand enfin un obus foudroie l’arbre, il est retrouvé grandi, mûr pour rencontrer toute une succession de femmes aux prénoms étranges, et aux traits plus particuliers encore. Et puis, il devient employé. Un emploi qui exige sérieux et ponctualité. Interchangeable aussi. Car lui-même ne sait plus dans quelle entreprise il est censé travailler. Cela n’a d’ailleurs pas d’importance. Elles se ressemblent toutes, il les a toutes plus ou moins connues. De même, il ne sait plus qui il est. Et puis, tous les jours se ressemblent aussi. Comme les années. Le temps passe pour les autres, qui s’affairent, pas pour lui…

« Quelle heure peut-il bien être pour les autres ? Pas loin de midi probablement, car l’accélération du rythme indique qu’une trêve est proche. Déjà certains employés décrochent des situations. Des années auraient donc passé ? Les faits me donnent raison : un tel que j’ai vu entrer ce matin comme manutentionnaire me donne à présent des ordres sous l’aspect d’un chef de rédaction. Il porte d’ailleurs la barbe, maintenant. Et une alliance. On me parle d’affaires dont je n’ai jamais entendu parler, on jongle avec des succursales qui me sont inconnues. »(p. 135)

En couverture, le dessin de Siné illustre parfaitement l’image que le lecteur peut se faire de ce narrateur iconoclaste, qui nous plonge dans un monde cauchemardesque où s’enchaînent l’une après l’autre des situations tout aussi absurdes.

L’absurde est effectivement le maître mot pour qualifier ce roman de Jacques Sternberg, peut-être bien son meilleur d’ailleurs. Comment peut-on être capable d’écrire un roman pareil ? On ne peut s’empêcher de penser en le lisant aux pièces d’Eugène Ionesco auquel il fait d’ailleurs un clin d’oeil en évoquant page 38 une « cantatrice chauve » au quatrième.

L’absurde, c’est le travail, c’est le terrifiant « métro-boulot-dodo », c’est la fuite du temps, c’est la mort qui arrive au bout de toutes ces minutes, toutes ces heures, tous ces jours passés au travail… C’est ce qu’écrit, répète et martèle Jacques Sternberg dans toute son oeuvre. Il publie ainsi chez différents éditeurs de nombreux romans fustigeant ou fuyant la médiocrité d’une petite vie de bureaucrate. Description au vitriol d’un monde du travail absurde et délirant, aux inspirations nettement autobiographiques, L’Employé, publié aux Editions de Minuit en 1958, obtient, conjointement à son ami de toujours, Roland Topor, qui illustre ses textes, le prix de l’humour noir, et sera vendu à environ 8000 exemplaires. Il ne sera édité en poche qu’en 1989 aux éditions Labor, mais lui permettra, avec Un jour ouvrable, d’attirer l’attention d’un réalisateur français, et non des moindres, puisqu’Alain Resnais fait appel à lui pour écrire le scénario de son film Je t’aime, je t’aime, qui devait passer complètement inaperçu en sortant en plein mois de mai 1968.

En savoir plus :

- La chronique de Philippe Curval, Fiction, décembre 1958, n°61

- Celle de Nicolas Ancion ci-dessous (mais si, on peut le relire !!!!)

L’employé  / Jacques Sternberg. – Paris : les Éditions de Minuit, 1958. – 219 p. : couv. ill. ; 19 cm. – ISBN 2-7073-0020-9.