Mots-clefs ‘Israël’

Indignez-vous !* de Stéphane Hessel (2010)

14.01
2011

Fort de son âge et de son expérience d’ancien résistant et d’ancien déporté torturé, Stéphane Hessel adresse aux citoyens français : « Indignez-vous ! ». Non seulement, dit-il, il y a de nombreux motifs pour ne pas être fiers de ce qui se passe dans notre pays (« cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés », (…) où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, (…) cette société où les médias sont entre les mains des nantis »), mais surtout l’indignation est salutaire pour un pays, c’est par elle que commence la résistance civile. La politique menée dans ce pays est contraire aux principes et aux valeurs adoptés par le Conseil National de Résistance. Elle remet en cause toutes les conquêtes sociales d’après-guerre : une Sécurité sociale permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours, la nationalisation des sources d’énergie, des compagnies d’assurance et des banques, « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général », une presse indépendante « à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères. »


Que nous apporte la lecture de ce petit discours, sorti en octobre et meilleure vente en France depuis fin décembre, de ce « pamphlet » de 13 pages tout au plus, qui fait le choix de consacrer deux pages à la Palestine parmi toutes les guerres dans le monde ? Pas grand’chose à vrai dire. Mal construit, un peu fouillis, évoquant l’influence de Sartre et de l’existentialisme, rappelant les causes du fascisme et du régime de Vichy, ce discours, prononcé au nom de tous des vétérans des mouvements de résistance (furent-ils consultés ?), et non en son seul nom qui figure sur la couverture, s’élève contre l’indifférence et clame haut et fort ce que le commun des citoyens pense de manière un peu triste, défaitiste, voire révoltée.

Or, c’est bien là que le bât blesse, faisant de ce petit livre que l’on s’arrache un objet consensuel : l’auteur nous demande de regarder autour de nous et de nous indigner, tout en prônant la non-violence, la violence n’ayant jamais rien fait avancer. Oui, et alors ? N’est-ce pas ce que nous faisons ? Ne sommes-nous pas déjà allés au-delà, agissant réellement, manifestant publiquement notre « indignation » ? Ne nous a-t-il pas vu défiler dans la rue pour les retraites ? Depuis longtemps, le stade de l’indignation est dépassé pour beaucoup d’entre nous : du changement, voilà ce que la plupart d’entre nous voulons, un refus net et catégorique de cette société qu’on nous impose, de cette société qui avantage outrageusement ses riches, fait culpabiliser ses actifs en leur demandant de travailler plus, et méprise ses inactifs, jeunes ou vieux, et l’éducation des premiers.

Sur ce point, nous sommes bien d’accord, et c’est pourquoi ce petit fascicule, qui n’a absolument rien de révolutionnaire dans tous les sens du terme, est finalement le bienvenu : il donne une certaine légitimité à nos réflexions, à nos rancoeurs, en les mesurant à l’aune de toute une vie d’ancien résistant. Et si son succès s’explique par la confirmation qu’il apporte aux doutes de certains sur la justesse / justice d’une politique qui va droit dans le mur, prônant toujours plus d’inégalités sociales sur le grand échiquier des intérêts économiques des multinationales, alors on ne peut que s’en féliciter.

Indigènes éditions, 2010. – 29 p.. – (Ceux qui marchent contre le vent). – ISBN 978-2-911939-76-1 : 3 €.

Un brillant avenir ** de Catherine Cusset (2008)

08.10
2008
GONCOURT des LYCEENS 2008

Le soir où Helen, agacée par les allées et venues de son mari devenu sénile aux toilettes qui l’empêchent de dormir, décide de faire chambre à part, elle retrouve Jacob  asphyxié, la tête enveloppée d’un sac plastique. A quoi peut bien rimer sa vie désormais, sans lui qu’elle a épousé en Roumanie contre la volonté de ses parents adoptifs, lesquels avaient offert les meilleures études à leur fille pour qu’elle réussisse sa vie, pas pour qu’elle se marie à un juif et parte en Israël ?! Certes, il lui reste son fils adoré, Alexandru, qui a fait Harvard, promis à un avenir brillant, à sa petite-fille et à sa belle-fille française. Mais leurs relations n’ont pas toujours été roses…
Unanimement salué par la critique et par la blogosphère, ce roman promettait une lecture enthousiaste. Or, si ses qualités sont réelles, il n’a pourtant pas comblé l’attente que j’en avais : ce n’est ni un roman inoubliable, ni le roman de l’année, ni un roman délicieusement surprenant ; c’est juste un bon roman, ce qui n’est déjà pas si mal, évidemment, sans aucun effet de style, traitant simplement, avec finesse et intelligence, les rapports inter-générationnels et plus précisément aussi ceux entre une mère et sa belle-fille. La déconstruction chronologique du destin de chacune d’entre elles permet de mieux faire résonner cet écho entre elles, extrêmement touchant et parfois révoltant. Il permet aussi de mieux appréhender le poids des attentes d’une mère ou d’un père vis-à-vis de son enfant, ce rêve pour lui d’un brillant avenir, en témoigne le parcours de la combattante née que fut l’Elena roumaine devenue Helen aux Etats-Unis, comme devrait l’être celui de son fils…

Un roman émouvant qui avait donc du potentiel… pour recevoir le  prix Goncourt des lycéens.

« Assise près du téléphone raccroché dans le bureau de son père, tandis que son regard erre par la fenêtre sur l’horizon de collines et de petits immeubles de la banlieue ouest de Paris, Marie se voit soudain du point de vue d’Helen : elle est cette femme qui passe ses étés sur les plages sauvages de Bretagne et danse le rock avec des étudiants en médecine dans le sud-est de la France pendant que son mari sue à New-York. Pour Helen, Marie aurait sans doute dû renoncer à ses vacances puisque Alex ne pouvait pas en prendre. L’idée ne lui en est même pas venue. Elle n’est pas capable d’un sacrifice. Alex ne le lui a pas demandé : il respecte trop la liberté d’autrui. Le résultat est là, sous ses yeux : elle va perdre l’homme qu’elle aime. » (p. 208-209)

CUSSET, Catherine. – Un brillant avenir. – Gallimard, 2008. –  369 p.. – ISBN 978-2-07-012198-4 : 21 €.

Voir les 3 commentaires sur l’ancienne version du blog

Lignes de faille *** de Nancy Huston (2006)

15.10
2006

cop. Actes Sud

Nancy Huston part de ces dernières années en Californie – le 11 septembre, le président Bush, le gouverneur Schwarzy – vues à travers le prisme d’un garçon de six ans, Sol, dorloté par sa maman, et partant en voyage en Allemagne avec sa grand-mère juive pratiquante et son arrière-grand-mère allemande pour des raisons qui lui échappent totalement. Elle remonte ensuite une génération, en 1982, par les yeux du père cette fois, Randall, alors âgé de six ans, dont la mère, future docteur « du Mal », poursuit des recherches sur le passé de sa propre mère d’abord en Allemagne puis en Israël. 1962 : c’est l’enfance de Sadie, sa mère, au même âge, vouant une admiration sans borne pour sa mère chanteuse, Kristina, et trouve un père en son beau-père, Peter Silbermann qui, lui, est juif. 1944-1945 : Kristina adore sa famille, jusqu’à ce qu’un jeune garçon y entre et lui confirme ses soupçons…

Forte ! Elle est vraiment très forte, cette Nancy Huston. D’abord d’avoir eu cette idée particulièrement originale de remonter le temps dans cette famille américaine-type sur quatre générations, jusqu’au dévoilement du secret, mais surtout, surtout, d’avoir su montrer un univers familial à travers les yeux de ces enfants de six ans, recevant au fil des générations une éducation différente, ces père ou mère, grand-mère ou arrière-grand-mère redevenant tour à tour les enfants qu’ils avaient été, découvrant des vérités ou intrigués par des secrets, dans une chaîne sans fin portant néanmoins un signe de reconnaissance qui prouve leur appartenance à une même lignée. Le premier univers des années 2000 est d’ailleurs déconcertant de cruauté et d’humour : ce petit Dieu vivant, égoïste, ne semble plus rien n’avoir d’innocent. Est-ce donc ainsi que Nancy Huston perçoit le nouveau règne de l’enfant-roi dans cette famille américaine de base, applaudissant les exploits de l’armée de Bush en Irak ? Les univers suivants nous détrompent peu à peu de cette première mauvaise impression, et laissent progressivement entrevoir l’absurdité d’une Histoire qui ne connaît que l’aveuglement et l’égoïsme, et non l’amour et le partage.

Un excellent roman, au procédé ingénieux, dont je continue à penser que l’on en a trop peu parlé lors de cette rentrée.

HUSTON, Nancy. - Lignes de faille. – Actes Sud, 2006. – 487 p.. – ISBN : 2-7427-6259-0 : 21,60 €.