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Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel

22.09
2007

copyright Stock

Dans un village isolé, peut-être en Alsace, vient d’être assassiné l’Anderer, l’autre, celui qui est arrivé un jour tout sourire sans jamais dire son nom. Alors les hommes du village, comme pour se disculper, chargent Brodeck d’une mission, celle de raconter comment tout cela s’est passé, depuis le début, dans un rapport. Mais en rappelant ses souvenirs à lui, Brodeck fait ressurgir aussi, malgré lui, tout un passé qui date de bien au-delà de l’arrivée de cet homme doux mais étrange, un passé ancré dans l’Histoire, dans ce qu’elle a connu de plus inhumain, et dans celle du village, qu’il ne faut surtout pas déterrer…
car

« L’homme est un animal qui toujours recommence. » (p. 185)

« N’oublie pas que c’est l’ignorance qui triomphe toujours, Brodeck, pas le savoir. » (p. 224)

Juste un bémol qui me faisait hésiter à mettre jusqu’à quatre étoiles (fait rarissime) à ce dernier roman de Philippe Claudel, un auteur dont j’apprécie à la fois l’oeuvre et l’homme, simple et discret, pour le peu que j’ai pu le rencontrer, à mon sens son meilleur roman, un roman remuant le passé que l’on repose, sa lecture achevée, triste et révolté :

à cette parfaite maîtrise de l’intrigue, savamment orchestrée, énonçant le meurtre d’un homme dès l’incipit, comme dans Chronique d’une mort annoncée de Gabriel Garcia Marquez, pour ensuite nous imprégner de l’atmosphère de ce village et de son passé dé-peint au grand jour, distillée à petites gouttes au moyen de va et vient temporels, d’hésitations du narrateur entre le réel et la fiction, de réflexions sur le pourquoi, sur ce mélange de peur et de bêtise collectives, sur le pardon, d’interrogations sur l’Histoire comme somme d’expériences particulières, alliant construction réfléchie et souci du détail,concision et justesse du style, il manque juste cette petite pointe d’originalité qui nous aurait fait crier au chef d’oeuvre… mais si vous ne deviez n’acheter qu’un roman français faisant l’actualité de cette année, ce serait bien celui-là ! C’est un bon et beau roman, que dis-je, c’est un très beau roman. Gageons, je l’espère, que Philippe Claudel ne se contentera pas cette fois de figurer parmi les concourables, mais qu’il verra son dernier roman s’orner d’un prix, lequel du coup retrouvera lui-même un peu de son prestige.

Quelques perles au milieu de tant d’autres dont la poésie apaise la noirceur du roman :

« J’ai toujours eu un peu de mal à parler et à dire le fond de ma pensée. Je préfère écrire. Il me semble alors que les mots deviennent très dociles, à venir me manger dans la main comme des petits oiseaux, et j’en fais presque ce que je veux, tandis que lorsque j’essaie de les assembler dans l’air, ils se dérobent. » (p. 47-48)

« Elle avait de grands yeux verts, très beaux, avec des paillettes d’or sur le pourtour de leur iris. Je me souviens d’avoir pensé que les yeux n’ont pas d’âge, et que l’on meurt avec ses yeux d’enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l’ont plus lâché. » (p. 60)

CLAUDEL, Philippe. - Le rapport de Brodeck. - Stock, 2007. - 400 p.. – ISBN : 978-2-234-05773-9 :21,50 €.
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P.S. : Il a effectivement reçu un prix, celui du Goncourt des Lycéens, le plus cher à mes yeux.
P.S. 2 : Roman dédicacé lors du Salon du livre de Paris le samedi 15 mars 2008.

La guerre des anges * de José Eduardo Agualusa (2007)

08.05
2007

Titre original : O ano em que Zumbi tomou o Rio (2002)

Traduit du portuguais (Angola) par Geneviève Leibrich (2007)

La révolte gronde dans les favelas, sur les morros à Rio. Se voyant soudain refuser l’argent sale habituellement donné pour la soudoyer, la police s’est vengé en programmant une expédition punitive, mitraillant une procession religieuse et tuant ces anges noirs qu’étaient les enfants vêtus de blanc. Euclides, journaliste angolais, nain, noir et homosexuel, cherche des réponses à cette société inégalitaire, héritière d’un passé d’esclavage et de discrimination raciale. Il côtoie tour à tour Francisco, un ancien colonel angolais, reconverti en trafiquant d’armes, tourmenté par le souvenir de Florzinha, la fille du gouverneur, et pourchassé par Monte, son tortionnaire, Jararaca, le chef charismatique de l’émeute, dont s’est épris l’artiste Anastacia, et Jacaré, et un rappeur drogué, qui risque de mettre en péril la belle révolution qui se prépare…

Pas d’histoire romancée ici, mais comme des flashes, le portrait de personnages forts qui pourraient être autant de rouages d’une guerre civile à Rio. L’auteur imagine ainsi comment les brésiliens noirs pourraient se tirer du joug de leur esclavage économique et social, émaillant son récit incisif de vers de poètes angolais ou portuguais, et de chants brésiliens. Et c’est un véritable cri de révolte que José Eduardo Agualusa pousse à travers son troisième roman, contre l’intolérance (nain, noir, homosexuel, Euclides en est une triple illustration), contre un racisme historiquement ancré dans les mentalités par le colonialisme, les blancs détenant toujours pouvoir et richesses, les noirs n’ayant d’autres possibilités que de les servir, de les divertir (prostitution, sport professionnel, danse…) ou de devenir trafiquants de drogue.
Un roman politique, brutal, qui nous donne une image forte de l’identité créole du Brésil, tiraillée par sa faim d’égalité sociale.

AGUALUSA, José Eduardo. - La guerre des anges. – Métailié, 2007. – 279 p.. – ISBN : 978-2-86424-601-5 : 20 €.
Service de presse