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Philippe Claudel

31.01
2015
cop. mediatheque

cop. bibliothèque les Jacobins

Ce vendredi 16 janvier 2015, une fois n’est pas coutume, c’est à la bibliothèque des Jacobins, à Fleury-les-Aubrais qu’il m’a été donné d’écouter Philippe Claudel répondre aux questions de ses lecteurs. Comme à la librairie des Temps modernes, l’assemblée était dans la fleur de l’âge, tant et si bien qu’on me donna même du « jeune fille » ! Ce qui ne lasse pas de m’inquiéter sur la pérennité de ces rendez-vous dans quelques décennies. Mais ceci est un autre sujet…

Tenace, l’équipe des bibliothécaires des Jacobins relançait Philippe Claudel depuis 2009 avant de pouvoir l’accueillir entre ses murs avec son club lecture.

Philippe Claudel, trop occupé ? Sans aucun doute. Ses nombreux succès et prix littéraires (prix Renaudot pour les Ames grises, prix Goncourt des lycéens pour Le Rapport de Brodeck, César du meilleur premier film pour Il y a longtemps que je t’aime), ses nombreuses activités professionnelles (écrivain, réalisateur, maître de conférence à l’université de Nancy sur l’écriture scénaristique, membre de l’académie Goncourt), ses nombreux déplacements à l’étranger où ses romans sont traduits, le rendent finalement peu disponible. Une chance, donc, de pouvoir le réécouter, après une première fois lors de son intervention auprès des lycéens à Rennes en décembre 2003, pour les Ames grises.

Voici dans ses grandes lignes l’échange qui eut lieu ce soir-là :

Vous êtes un auteur imprégné d’Histoire. Votre thématique s’inscrit autour de la mémoire, de la tolérance, de l’étranger. Est-ce que ce sont autant de batailles que vous menez ?

L’histoire des grands traumatismes est au coeur de mon oeuvre, en effet.

D’abord par sa dimension nationale : dans la littérature française, la guerre est souvent présente. La France est un pays qui examine beaucoup son passé. La littérature française est une littérature du ressassement, du traumatisme.

Ensuite par sa dimension personnelle, liée à ma région, à la Lorraine, et à ma famille. J’ai grandi à mi-chemin entre Verdun et le camp de Struthof. Enfant, mes voyages scolaires oscillaient entre les deux, ma commune était encerclée par des cimetières militaires, et ma famille parlait sans cesse des guerres.

Mais j’écris de la fiction, rien d’autre, et vous remarquerez que dans Les Ames grises, il n’y a ni datation, ni géographie identifiée, et dans Le Rapport de Brodeck, la langue est inventée, et les mots « juif », « nazi » et « holocauste » ne sont jamais prononcés pour évoquer une situation humaine.

En littérature, ce qui m’intéresse, c’est d’inspecter les moments de rupture, où l’homme doit se placer sur l’échiquier.    

cop. Carnets de SeL

cop. Carnets de SeL

Votre écriture est très visuelle dans vos romans. La passion du cinéma vous est-elle venue en même temps que l’écriture ?

Mon amour du cinéma a toujours été là, en même temps que mon amour de la littérature.

Enfant, je fréquentais deux cinémas. J’ai grandi dans une famille modeste mais qui avait un grand intérêt pour la culture. Il était plus facile d’écrire que de filmer, enfant. A la faculté j’ai pu réaliser mes premiers court-métrages, mais ce n’est qu’à 45 ans que j’ai réalisé mon premier long-métrage, et publié à 37 ans mon premier roman. Avant j’écrivais, bien sûr, mais tout ce qui a précédé n’était pas intéressant.

Vous auriez envie d’adapter vos romans ?

Je ne veux surtout pas adapter mes romans car si un livre est un livre, c’est que ça ne pouvait pas être autre chose. C’est la réciproque pour un film. Quand j’écris un roman, mon outil principal c’est la langue, l’histoire est née dans le langage, alors que le film est né avec un désir d’acteurs, un désir de lumières, de sons. Au cinéma on peut filmer sans un mot. J’ai donné l’autorisation il y a deux ans d’adapter Le Rapport de Brodeck en BD. Remarquez d’ailleurs : mes quatre films n’abordent absolument pas la problématique de la guerre, mais sont plutôt des histoires contemporaines sur l’intimité. Suivant le support, je traite de thématiques différentes. 

Qu’est-ce qui vous permet de vous exprimer le mieux, roman ou film ?

Mon espoir, que ce soit un livre ou un film, c’est que cela continue à vivre en chaque lecteur, en chaque spectateur.

Comment écrivez-vous ?

Je n’ai pas de règle : quand j’ai envie d’écrire. C’est ma seule règle. Et encore…

Je n’écris pas le soir. Je suis plutôt du matin. Et je préfère l’hiver à l’été, où j’ai envie de sortir. J’adore tout ce qui est papeterie – carnets, crayons,… – mais je suis incapable d’écrire sans ordinateur portable. 

Comment fait-on pour passer à un autre roman après avoir fini Le Rapport de Brodeck ?

L’Enquête, qui a suivi, n’est pas un roman à proprement parler. Je m’y suis essayé à tous les genres par le biais de mon protagoniste : le fantastique, la SF, … Parfums non plus. Je me pose beaucoup de questions sur le roman. 

Derrière la façade sombre de vos romans êtes-vous un optimiste ?

Ce n’est pas à moi de vous le dire. A partir du moment où mon roman est publié, je le donne au public. Et c’est ce dernier qui interprète. Quant à moi, chaque matin, je peux être d’un plus ou moins grand optimisme.

Qui dans votre carrière vous a soutenu, vous a aidé ?

Si j’ai un conseil à donner en tout cas à ceux qui écrivent, c’est de ne surtout pas montrer ce que vous faites, car cela peut vous être dommageable : on peut vous flatter ou vous démoraliser.

Je n’ai pas eu de mentor. Mais il y a des écrivains qui ont compté pour moi : Jean-Claude Pierrotte, qui m’a encouragé. Céline est l’un de mes écrivains préférés. A 20 ans, j’étais sous l’influence de Céline, Proust, Simenon, Giono, Baudelaire, Kadaré, Julien Gracq…

Vous semblez accorder à la Nature une place toute particulière dans Le Rapport de Brodeck.

La Nature a une réelle importance dans Le Rapport de Brodeck, effectivement. J’y évoque le rapport de l’homme à la Nature, et surtout de l’indifférence totale de la Nature au destin des hommes. C’est un roman émaillé d’événements météorologiques : la brume, le gel, la neige, le soleil,… Au contraire, L’Enquête est un roman dans la ville, dont la Nature est exclue, sur un modèle économique inhumain, labyrinthique. Dans mon dernier film, la Nature agit comme un terreau d’inspiration. Je me sens très proche de ce que Rousseau disait de la nature dans ses Promenades.

Vous êtes membre de l’Académie Goncourt. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle, sur son fonctionnement ?

Nous nous réunissons chaque premier mardi du mois, chez Drouot, durant deux heures qui s’achèvent par un déjeuner.

L’académie connait une forte activité toute l’année et à l’étranger. Car les autres pays veulent tous imiter le modèle du Goncourt des lycéens.

Au Goncourt on lit le plus possible de livres, autant par curiosité que par plaisir. Je lis ainsi une centaine de romans de mi-mai à fin août. Je ne suis absolument pas influencé par la presse. On est honnête, surtout depuis l’arrivée de Françoise Chandernagor et de Bernard Pivot.

En 2012 je soutenais Patrick Deville pour Peste et Choléra. Mais il a reçu le Fémina trois jours plus tôt. Et dans l’Académie, d’autres n’ont pas voulu lui donner un deuxième prix.

Quelques mots sur Jean-Marc Robert ?

C’était le patron des éditions Stock, lui-même auteur de très courts romans d’une grande finesse. Il a été mon éditeur depuis 2001 ; il est devenu mon meilleur ami. C’était quelqu’un qui aimait les auteurs. Ce n’est pas pour rien que je ne publie plus. D’ailleurs j’avais écrit un roman avant sa mort, qui n’a jamais été publié depuis. On travaille toujours dans l’incertitude quand on écrit. On ne sait même pas si un roman est bon ou mauvais. On a besoin d’un jugement littéraire extérieur. Un éditeur, c’est à la fois un accompagnateur de livres et un commerçant. Pour pouvoir exercer son métier, il doit savoir équilibrer la qualité de ses publications avec des ouvrages qui vont toucher un grand public.

Quel sera votre prochain livre ou votre prochain film ?

Mon roman n’est pas suffisamment bien pour être publié. Quand on a la malchance d’être connu, on est sûr d’être publié, donc il faut être exigeant envers soi-même. Je suis dans deux autres romans dont j’espère que l’un pourra être publié. Ma femme aussi joue un rôle essentiel. Avec Jean-Marc Robert, c’est mon autre relecteur. Elle me fait couper beaucoup. Cela fait partie du travail d’écrivain, comme quand on est réalisateur, d’avoir beaucoup de matière pour pouvoir couper.

Mon dernier film a été tourné à 12 kms de Nancy, dans une ville de campagne. J’ai eu envie de filmer cette innocence de l’enfance, sauf qu’on refuse à cet enfant de prendre des décisions.

Merci pour cette rencontre qui s’est achevée autour d’un apéritif convivial.

J’ai lu de lui :

J’abandonne (pas encore critiqué)

Les Ames grises ***

La Petite fille de Monsieur Linh (pas encore critiqué)

Le Rapport de Brodeck ****

Parfums *

J’ai vu de lui :

Il y a longtemps que je t’aime (pas encore critiqué)

 

Conférence d’Edwy Plenel

15.02
2014

Edwy Plenel nous a fait le plaisir d’ouvrir la 3e édition du Festival Les Médiatiques, organisé par l’équipe pédagogique du Lycée Voltaire, et principalement par notre ancien collègue, désormais professeur à l’université de Versailles, François Robinet. Cette année, le Festival s’était choisi pour thème : « Médias et politique : les liaisons dangereuses ?« 

Voici, pour ceux qui regrettent de ne pas avoir pu venir, reproduite intégralement la conférence à laquelle j’ai pu assister :

)

 

n.b. :

Journaliste, co-fondateur et directeur du site d’information Mediapart, Edwy Plenel a été directeur de la rédaction du Monde de 1996 à 2004. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont Secrets de jeunesse (Stock, 2001), Le journaliste et le président (Stock, 2006) ou plus récemment Le droit de savoir (Don Quichotte, 2013). Il est aussi professeur associé à l’Académie de journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel.

Didier Daeninckx, l’écrivain embarqué

11.01
2014
cop. Carnets de SeL

cop. Carnets de SeL

Vous dites qu’écrire est un besoin pour vous, comme le peintre a besoin de peindre ou un musicien de jouer de son instrument. Quand est-ce que le besoin d’écrire est apparu ?

D.D. : Quand j’étais chômeur. Je suis sorti du lycée professionnel assez rapidement. Je suis devenu ouvrier imprimeur pendant des années. Et puis, il y a eu la crise, je me suis retrouvé au chômage, et le temps du chômage, je l’ai utilisé à écrire un livre. Et puis, quand je suis devenu écrivain, la passion d’écrire m’est venue au bout de 4-5 romans. J’écrivais avant de manière assez rageuse.

Comment choisissez-vous le nom de vos personnages ?

D.D. : C’est déjà très difficile quand il y a une naissance dans une famille, de choisir un prénom à cet enfant qui va durer toute une vie, et qui ne va pas déplaire. Pour un personnage, certains auteurs se sont vus trainer en justice car ils avaient donné par hasard le prénom et le nom d’une personne existante à un meurtrier. Du coup, moi, pour Le Der des ders, sur la guerre de 14-18, par exemple, j’ai pris tous les noms inscrits sur le monument aux morts du village natal de ma mère, en Charente Maritime. Et j’ai changé les prénoms. Ainsi, les gens du village étaient honorés d’une certaine manière que le roman porte la trace de tous leurs morts. Ou encore, dan La Mort n’oublie personne, j’ai pris dans l’annuaire de Saint-Omer tous les noms des gardiens de prison, dont j’ai affublé les personnages peu sympathiques de mon roman. Pour Galadio, c’est un prénom malien qui sonne italien.

Qu’est-ce qui vous a poussé à dénoncer des moments forts de l’histoire de France ?

Dans le cas de Meurtres pour mémoire, c’est la mort de ma voisine, Suzanne Martorel. Les gens qui ont été tués le 17 octobre, plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, il n’y a jamais eu aucun procès. Les trois quarts de ces personnes-là, on ne connait même pas leur nom. Ils n’ont pas de tombe. Il y a une injustice complète. Des gens ont disparu. Ils sont venus sur la planète, ils ont été rayés comme ça. Même leur nom a disparu, même la mémoire de leur nom a disparu. Les gens de leur famille ne peuvent même pas aller leur rendre hommage, aller mettre des fleurs sur leur tombe. La famille de ma voisine qui a été tuée à Charonne, Suzanne Martorel, a été anéantie, cela a remis tout en cause, il n’y a jamais eu de compensation, jamais eu de pension qui a été versée, pas une seule aide pour ses enfants. C’est-à-dire que ce sont des gens qui ont été victimes, mais il n’y a jamais eu de réparation. Et ça, c’est la pire des choses, quand vous êtes victimes et qu’il n’y a pas réparation, vous vivez quelque chose qui peut vous anéantir totalement. Et d’une certaine manière, que ce soit un livre, une chanson, une pièce de théâtre ou un tableau, ça sert de réparation d’une certaine manière. Le livre est là pour dire que les choses ne sont pas réparées, mais que nous ne les avons pas oubliées. Il y a quelque chose qui est en suspens. Je prends beaucoup de plaisir à écrire des livres, et j’ai cette conception du livre comme quelque chose qui rattache les hommes entre eux, et qui les rattache à leur passé, à leur avenir.

Est-ce que l’on a déjà essayé de vous censurer ?

D.D. : Il y a eu en effet des tentatives de censure, mais tout ce que j’ai écrit a été publié. Quand j’ai écrit Meurtres pour mémoire, je n’étais absolument pas connu. En 1977, j’avais écrit un livre qui a fait un bide total, Meurtre au premier tour, sur les centrales nucléaires. Et quand le livre a été publié, j’ai eu une critique de trois lignes dans un journal : « livre surprenant qui aborde des problèmes assez polémiques, mais l’auteur n’aura jamais de succès en raison de son nom impossible à prononcer. » Peu après, j’ai écrit Meurtres pour mémoire. J’ai mis dedans tout ce que j’avais envie de mettre. A aucun moment dans ma tête je ne me suis dit : « Il faut que je fasse attention à ceci. » Ce qui s’est passé – il y a plein de hasards dans la vie –, c’est que, quand j’ai envoyé mon manuscrit à Gallimard, c’est arrivé dans le bureau de la Série noire, dont le directeur à l’époque, Robert Soula, avait été résistant : le jour où l’Allemagne nazie capitulait, le 8 mai 1945, il avait assisté, en tant que soldat, au massacre de Sétif par l’armée française – 10 000 personnes. Sentant ses idéaux trahis, il ne s’en est jamais remis. Quand il a lu mon manuscrit, c’est comme si le livre, une fois publié, lui permettait de se venger de ce qu’on lui avait imposé. Vous voyez l’importance du livre ?

Est-ce que votre famille et vos amis vous ont soutenu dans vos débuts de carrière d’écrivain ?

D. D. : Ma femme m’a toujours soutenu, même quand les livres étaient refusés. Pendant des années, j’ai arrêté de travailler pour écrire et elle faisait bouillir la marmite. Dans le reste de la famille, beaucoup voulait que j’arrête mes bêtises car j’avais une famille à nourrir. Il y avait une pression de gens qui essayaient de me décourager pour de bonnes raisons. Et puis il y avait des copains qui avaient des rêves dans la tête qu’ils avaient mis à la poubelle, et que quelqu’un continue à essayer de faire autre chose de sa vie, d’une certaine manière, les dérangeait : ils avaient envie que j’échoue. Donc on s’aperçoit de gens qui sont heureux de votre parcours, et d’autres qui en sont plus ou moins jaloux, et d’autres encore qui ont manqué de chance et à qui mon succès renvoie en pleine face leur parcours manqué.

Quelle est votre réaction à la réception de vos livres, à la lecture des critiques ?

D. D. : On est très très fragile au début. La moindre critique négative vous liquéfie. J’ai eu énormément de critiques négatives. Mais les choses se sont déplacées. Je publie beaucoup (en 2012, par exemple, 8 livres). Quand un livre paraît en librairie, je suis déjà dans d’autres préoccupations, en train d’en finaliser un autre, ce qui fait que je ne suis plus aussi sensible et à cran sur les bouquins.

Ca gagne bien sa vie, un écrivain ?

D. D. : Ecrivain, c’est comme footballeur : on représente des centaines de milliers de passionnés, mais nous ne sommes que quelques centaines à toucher des droits d’auteur. Moi, je gagne 14% sur un roman qui vient de sortir, ce qui fait presque 2 € par livre vendu, et 5% pour une édition de poche, soit 25 centimes d’euro. Avec une vente en moyenne de 2000 exemplaires, vous faites le calcul : vous avez gagné 4000 € pour un roman sur lequel vous avez travaillé un an, un an ½. En revanche, j’ai écrit Meurtres pour mémoire il y a 28 ans, et je continue à gagner de l’argent sur les exemplaires vendus. Comme j’ai écrit 70 livres, j’ai 70 livres qui continuent à me faire vivre, ce qui fait que je gagne bien ma vie.

Les livres que vous avez écrit ont marqué des étapes dans votre vie, comme autant de chapitres. Est-ce que vous avez le sentiment de construire une œuvre ? Et deuxième question : est-ce que vous pensez appartenir à un courant littéraire ? Vous parliez de la dénonciation dans le polar, et de la réhabilitation.

D. D. : Toutes mes histoires s’inscrivent entre 1930 et les années 2000. C’est une sorte de chronique contemporaine de la France : la France des années 30, la France de la collaboration, la France de la résistance, la France de la colonisation, la France des cités, … Ce n’est pas tant construire une œuvre qui me préoccupe, mais le souci de révéler des pièces manquantes dans ce panorama. Et souvent j’écris des nouvelles pour combler, plus de 250. Il faudrait que quelqu’un replace toutes ces nouvelles et mes romans dans l’ordre chronologique des périodes évoquées, et l’on verrait une fresque s’étendant à partir des années 30. Ensuite, sur le courant littéraire, lorsque j’étais encore ouvrier imprimeur, je lisais beaucoup de littérature américaine car dans les romans français, je ne retrouvais pas le monde dans lequel je vivais : le prolétariat, la banlieue,… Et un jour, je suis tombé sur un livre de Jean-Patrick Manchette, et d’un seul coup, j’ai eu l’impression qu’on parlait de moi, de mes copains, de ma famille, de mes problèmes. Et puis, j’ai lu aussi Tueurs de flics de Frédéric Fajardie, d’une violence incroyable. Il exprimait une révolte. C’est ça qui m’a donné envie d’écrire. Aujourd’hui il y a par exemple Patrick Pécherot, Dominique Manotti ou Zulu de Caryl Férey. C’est plutôt non pas une école mais plutôt un même regard sur le monde, des affinités électives.

Est-ce que vous imaginez toujours vos histoires pour dénoncer des événements ?

Didier Daeninckx

Didier Daeninckx

D. D. : C’est compliqué le processus d’élaboration d’un roman. Par exemple, quand je parle de Galadio je n’ai pas envie de dénoncer ce qui est arrivé en 1918 à ces jeunes métisses du Rhin. La première réflexion, c’est « c’est incroyable que je n’en ai pas entendu parler. » Puis je trouve que ce fait-là est important pour la réflexion de chacun. Donc j’ai envie que ça se sache. J’ai toujours en tête cette phrase de Jean-Paul Sartre : « A quoi sert-il que tu le saches si tu ne le dis pas ? » Moi, j’ai le temps de lire, d’aller à la rencontre des autres, et j’apprends des choses. Et dans ce que j’apprends, je m’aperçois qu’il y a des choses que je dois communiquer aux autres. Et ma façon de les communiquer, c’est d’écrire des romans. Donc ce n’est pas une question de dénonciation, c’est juste un souci de transmission.

Vous êtes un auteur engagé. Que pensez-vous de la montée extraordinaire de l’extrême-droite ?

D.D. : Je préfère le terme d’embarqué à engagé. L’idée d’être embarqué montre qu’on n’a pas le choix, qu’on suit le mouvement d’une réaction par rapport à la société. Avant, les élèves que je rencontrais me demandaient d’où ça venait mon nom. Depuis deux ans, ils me demandent « c’est quoi vos origines ? » C’est pas la même chose de demander « votre nom, il vient d’où ? » et ça. Je leur réponds :  « Moi, je suis immigré belge de la 5e génération. Vous allez me mettre dans un avion ? » L’Histoire de France s’écrit comme un mouvement de balancier, et là on repart vers le pire. Ce climat de peur et de racisme en France me rend très mal à l’aise. Maintenant, j’ai du mal à aller m’accouder au comptoir d’un troquet pour boire un café à côté des gens. Je me demande tout de suite s’il ne va pas y avoir du vomi qui va tomber de leur bouche. Il y a une partie des gens dans ce pays qui n’ont plus une bouche, mais une bouche d’égout. Ils disent des choses immondes. Quand il y a des gens qui risquent leur vie en prenant un bateau pour fuir la guerre civile, et qu’il y a des députés qui veulent les renvoyer, c’est-à-dire les renvoyer à la mort, c’est hallucinant.

A Aubervilliers où je vis toujours, une ancienne ville ouvrière, le Front national a fait 22%, c’est-à-dire qu’une personne sur cinq que je croise a ces choses en tête. Ma nièce, kabyle, est tombée amoureuse d’un juif. Ils se sont mariés. Cela n’a pas été simple. Après il y a Joël, antillais. Ma fille, pendant longtemps, elle a été avec un Haïtien. Ca veut dire que ça traverse toutes les familles. Ce discours qui est tenu attaque ma famille. On met des murs à l’intérieur de notre propre famille. Cette façon de séparer les gens n’appartient pas qu’aux Français occidentaux. Je me suis déjà fait insulter dans des cités : « sale Français », « sale blanc ». S’il y a une chose qui est partagée sur toute la planète, c’est la réaction de peur, d’exclusion, de racisme. Le dernier génocide sur la planète, c’est au Rwanda, entre Tutsis et Hutus, alors que de l’extérieur, on ne perçoit même pas de différences. Et pourtant cela a fait un million de morts. Donc ça, ce poison du racisme, est partout, et à certaines périodes il est réactivé. Pour les êtres humains, on s’aperçoit que la voie des bas instincts est plus facile que l’élévation de l’esprit, qu’il faut travailler, pour lequel il faut faire des efforts. Mettre les gens en colère, hors d’eux, c’est très très facile. Mais pour les élever à quelque chose de digne, il faut bosser. Il y en a qui choisissent la facilité en se créant un capital électoral sur les instincts les plus bas.

Vous n’essayez pas de discuter avec les gens pour leur faire entendre raison ?

D.D. : Oui, j’essaie, mais on est dans des moments d’hystérie. Ce n’est pas le bon moment pour discuter. On essaie, et puis on laisse tomber. Comme quand on fait la queue pour acheter son pain, et que l’on voit la boulangère balancer le pain et la monnaie à quelqu’un d’origine africaine. Et puis après, vous arrivez, vous, c’est la gentillesse. Vous voyez toutes ces choses-là. Moi je réagis : je lui dis que je l’ai vue agir et que j’irai chercher mon pain ailleurs. Mais ça vous abime la vie quand même d’être dans un pays où il y a des murs invisibles qui ont été construits par des discours.

Retrouvez Didier Daeninckx dans d’autres articles et interviews (datant aussi de 2012) de Carnets de SeL, sur Meurtres pour mémoire, Cannibale et Galadio.

Editeur indépendant, un pari gagnant ?

11.05
2013


AttilaAu dernier salon du livre, lors de la matinée professionnelle, un entretien était proposé sur le métier d’éditeur indépendant. Thierry Boizet (qui tenait avec sa compagne une librairie de livres anciens où ils s’ennuyaient avant de devenir éditeurs depuis 2002 avec Finitude), Benoit Virot (Attila) et Frantz Olivié (Anacharsis) témoignaient de la réalité de ce métier-passion :

finitudeLe rapport à l’objet-livre est-il encore vrai ?

Oui, cela va de soi. Il faut de la créativité pour faire exister un livre. Cela suppose de savoir ce qu’est une bibliothèque personnelle aujourd’hui.

Cela ressemble à quoi, la journée d’un éditeur ?

Cela consiste en de la recherche de textes, d’illustrateurs, de représentants, de la fouille en bibliothèque, des corrections, des contacts avec les libraires, l’imprimeur, l’organisation de signatures. On manque de temps. Pour fonctionner idéalement, une maison d’édition doit sortir 2 à 3 textes par an pour pouvoir bien les suivre de la conception à la dédicace.

Pour faire partie du paysage éditorial, il faut bien 10 ans, et quelques petits succès.

UnknownQuel est l’un des dangers pour ne pas durer ?

Vouloir devenir éditeur pour gagner de l’argent. Les questions d’argent sont d’une importance capitale. On est une petite quinzaine de petits éditeurs et on commence à avoir un poids. Quand Finitude a le prix Flore, cela signifie que Gallimard en a un de moins. Le problème, c’est quand un écrivain devient connu, alors qu’il avait été refusé dans les grandes maisons d’édition : on essaie de faire en sorte qu’il soit médiatisé, que ses autres livres soient vendus.

Est-ce que c’est ça qui fait durer une maison d’édition ? 

Oui, qu’un auteur soit une sorte de locomotive.

L’avenir du numérique, ça vous concerne ?

Qu’on le veuille ou non, ça nous concerne. Le numérique a un lien avec les éditeurs indépendants qui ont du mal à exister avec les loyers en ville. Les enjeux sont à la fois sociaux, financiers et culturels. Mais ce n’est pas au centre de nos préoccupations. On aura bien le temps de prendre la locomotive en marche.

Quel est votre tirage ?

Pour une petite maison d’édition, les premiers romans en France, en moyenne, c’est 1200 exemplaires vendus. Mon tout premier livre (Attila) a été imprimé à 1000 exemplaires, puis réimprimé.

Anacharsis : On est sur des moyennes de 1200-1500. On a un diffuseur, les Belles Lettres. N’importe quelle maison d’édition peut tourner les deux premières années en auto-diffusion. Le diffuseur est celui qui est en contact avec les libraires.

La meilleure vente, ça tourne autour de 5000 exemplaires.

Y a-t-il des aides pour les maisons d’édition ?

Il existe des aides régionales. Il y a les Centres régionaux du livre qui proposent des orientations en direction des écrivains, des éditeurs et des libraires. Il y a une volonté politique marquée dans certaines régions (Lyon, Aquitaine). Il y a des salons littéraires qui se créent en province.

MétailiéQu’est-ce qui manquerait dans le paysage éditorial ?

L’enthousiasme, l’envie. Mais nous ne sommes pas inquiets.

Comment détermine-t-on le prix du livre ?

On est des amoureux du beau papier et donc le bât blesse car le prix de revient est double par rapport aux autres éditions, alors qu’il faut s’aligner sur les autres prix. Normalement c’est le prix de fabrication multiplié par trois ou quatre, et finalement, ce n’est pas possible car le prix moyen d’un livre est de 15 €. Donc notre marge par rapport à une grande maison est divisée par deux : on en vend moins et on a une marge moins grande.

Pourtant de jeunes maisons d’édition se créent constamment.

C’est beaucoup plus facile qu’avant. Il suffit de 2000 €, d’un PC et d’une chambre. C’est facile de créer mais difficile de perdurer car le marché est saturé.

gallimardUne pleine page dans Télérama, ça aide.

Le contexte est crispé. On est en pleine agressivité médiatique et commerciale car être visible, c’est rendre les autres invisibles. L’écart se creuse entre les grosses ventes et les petites. 80% du C.A. se fait sur 20% des titres. Il n’existe pas d’association formelle d’éditeurs indépendants, mais on se connait, on se croise.

Le rôle du libraire est important aussi.

C’est lui qui met en avant ou pas les livres. Il y a un rapport de connivence. La relève des libraires constitue une vraie question. Il faudrait mettre en place des politiques de la ville. Après il y a le rapport entre un libraire et un éditeur. La librairie peut être la vitrine de ce que l’on fait, physiquement.

la table rondeComment les trouve-t-on, ces écrivains ? Vous recevez des manuscrits ou vous allez à leur rencontre ?

Ca dépend. On reçoit entre 1000 et 1200 manuscrits et on en a publié quatre en 10 ans… Nous, on fait plutôt dans les auteurs morts depuis longtemps. Mais oui, en règle général, on les trouve pas par la Poste. L’impératif pour les maisons d’édition, c’est de faire une marge bénéficiaire, donc il faut qu’on se dise que ça va marcher. Pour nous, souvent, on sait que cela ne marchera pas.

On arrive à se faire un salaire ?

Oui, on dégage un salaire, mais c’est un SMIC pendant 10 ans quand tout va bien.

Que pensez-vous d’Amazon ?

Le distributeur met à disposition les livres sur Amazon, qui est le premier en termes de clients. Sans Amazon, on aurait du mal à survivre. Ce n’est pas une librairie physique. Amazon prend 50% de marge, c’est-à-dire 15% de plus qu’un libraire (qui tourne entre 35-38%). Si je veux boycotter Amazon, c’est mon premier client que je perdrais.

Et de l’Autre Livre ?

C’est une association qui s’est dévolue à la promotion des petits éditeurs, d’où un salon en novembre chaque année.

Où trouve-t-on vos maisons d’édition dans le salon ?

Dans les régions respectives.

Que diriez-vous aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le métier ?

Qu’être éditeur, c’est avoir envie de découvrir des auteurs et de faire partager cette découverte. Que c’est un métier de passion, de conviction.

 

Claude Pujade-Renaud : 1ère partie

28.04
2012

Voici la première partie de l’interview que Claude Pujade-Renaud a bien voulu me donner chez elle, le mardi 28 février 2012 :

Pascal Quignard

03.12
2011

 

Le samedi 5 novembre 2011, la place manquait au premier étage de la librairie Les Temps modernes d’Orléans pour accueillir les nombreux lecteurs qui se pressaient pour pouvoir écouter Pascal Quignard, lauréat du Goncourt en 2002, à l’occasion de la parution de son roman Les solidarités mystérieuses.

Voici en écoute, pour vous, l’intégralité de cette rencontre.

Interview de Pascal Quignard by carnets de sel

Emmanuel Carrère

05.11
2011

Le Prix Renaudot 2011

Le 29 septembre 2011, la librairie Les Temps modernes d’Orléans accueillait Emmanuel Carrère, à l’occasion de la parution de son roman Limonov **, dont vous pouvez également lire la chronique dans mes carnets de lecture.

 

 

Voici en écoute, pour vous, l’intégralité de cette rencontre.

 

 

Interview d’Emmanuel Carrère à propos de Limonov by carnets de sel