Mots-clefs ‘inceste’

La pluie d’été de Marguerite Duras

21.06
2020

IMG_20200621_155857C’est une famille nombreuse qui vit d’allocations. Le père, un bel Italien, et la mère, venue de l’est, se sont rencontrés à Vitry sur Seine alors qu’ils y travaillaient, puis sept enfants sont arrivés, et ils se sont arrêtés pour les regarder grandir et s’aimer. Les deux ainés, Ernesto et Jeanne, s’occupent de leurs brothers et sisters. Un jour les parents se sentent obligés de les mettre à l’école, comme les autres. Mais Ernesto revient quelques jours après en affirmant « Je ne retournerai pas à l’école parce qu’à l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas. » Et personne ne comprend vraiment, mais tout le monde comprend qu’Ernesto est différent, surdoué, qu’il peut tout comprendre de lui-même sans suivre d’enseignement, et qu’entre Jeanne et lui, un amour grandit…

La pluie d’été, c’est d’abord une langue, une façon de parler de cette famille qui n’a pas appris à lire ni à écrire, qui désarçonne puis entre en contagion avec la langue de tous ceux qui l’approchent. C’est aussi une existence marginale, hors de Dieu, du travail, de l’école, de tout ce qui structure habituellement la société. C’est un jour sans fin au cours duquel la mère, d’une beauté saisissante qu’elle oublie, épluche les patates, et les enfants lisent dans une remise des livres trouvés, un livre brûlé déniché dans une cave, qu’Ernesto lit à tous sans savoir lire, un livre qui raconte l’histoire d’un roi, des vanités et de la poussière du vent. C’est un soir par mois la virée des parents avec l’argent pour boire dans les bars. C’est l’avènement de l’enfant surdoué autodidacte, devant la sagesse duquel les autres s’inclinent. C’est accessoirement une histoire d’inceste, mais précisément pour raconter l’amour fort qui unit Ernesto à sa sœur Jeanne, qui ressemble tant à sa mère, et qui n’est qu’un passage vers l’âge adulte. C’est une lecture perturbante, jouant sur l’indicible, plus peut-être que d’habitude…

 

Jocaste de Brian Aldiss

14.04
2006

cop. Métailié

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Catherine de Léobardy

Œdipe règne sur Thèbes, entouré de la Sphinge, enceinte, qu’il retient prisonnière, de ses deux fils et deux filles, Antigone étant sa préférée, et de leur mère Jocaste, dont la grand-mère Sémélé, vieille sorcière, chasse les harpies, avec pour animal de compagnie un griffon. Mais Thèbes vit sous le poids d’une malédiction. Les Dieux semblent attendre l’expiation d’un péché, d’un crime : Oedipe lance alors un appel pour retrouver et punir le meurtrier de son prédécesseur, le roi Laïos, dont il a épousé la séduisante femme, Jocaste. Cette dernière l’a pourtant supplié de n’en rien faire, perturbée par les prédictions de Sophocle lui-même, rencontré dans une autre dimension, puis du devin Tiresias. Que cache Jocaste à son époux ? Qui est vraiment Œdipe ?

Brian Aldiss propose ici sa version romanesque de la tragédie d’
Œdipe, fils de roi ayant, sans le savoir, assassiné son véritable père et épousé sa mère, devenant doublement coupable de parricide et d’inceste. Il offre cette fois à Jocaste le premier rôle, celui de la mère et épouse qui sait tout mais ne lui avouera jamais rien, et donc la véritable responsable de sa tragédie.

J’avoue avoir failli reposer ce roman au bout des vingt premières pages : Brian Aldiss semblait au début vouloir revisiter le mythe d’Œdipe de façon déconcertante, avec tout un bestiaire mythologique proche de l’héroïc-fantasy et avec d’innombrables anecdotes salaces. Puis le récit prend forme, et, une première intrusion de Sophocle dans la narration nous surprend et perturbe Jocaste, à qui il affirme qu’elle n’est qu’un personnage secondaire dans cette tragédie grecque qu’il a écrite pour mettre en exergue l’inéluctabilité du destin et de la fatalité. D’autres incursions suivront, dont celle, finale, de ce jeune Karimov prêt à être exécuté pour avoir osé présenter à son Président Œdipe roi et Antigone, qui apparaîtra à son tour aux yeux de la jeune femme prête à enterrer son frère, encourant la mort, préférant accomplir son devoir moral que respecter la loi d’un seul homme, fusse-t-il Roi de Thèbes.

Une version troublante, dont la violence et la sexualité incestueuse à peine contenue mettent le lecteur plus mal à l’aise que dans la tragédie de Sophocle.

 

ALDISS, Brian. – Jocaste. – Métailié, mars 2006. – 213 p.. – (Bibliothèque anglo-saxonne). – ISBN : 2-86424-575-2 : 17 €.