Mots-clefs ‘humour noir’

Certains l’aiment noir de Foerster

16.04
2014
cop. Fluide glacial

cop. Fluide glacial

 

Foerster ? Connaissais pas… Et pourtant… Voilà bien une de ces pépites d’humour macabre qui manquait à ma bibliothèque. Ici l’épouvante hérisse les cheveux du lecteur de ces récits de personnages aux prises avec une mort aussi horrible qu’implacable, pires, ces histoires cruelles d’enfants à la grosse tête chauve sont à la limite du soutenable. Très fort !

Cet épais recueil de 285 planches au dessin à l’encre de Chine nous plonge dans un véritable musée des horreurs qui aurait pris vie. Tout ici semble être difforme : les personnages au faciès bizarre, voire énorme chez les enfants, les décors, maisons, rues ou villes, aux instincts meurtriers, … A raison de 5 planches en moyenne par histoire, une cinquantaine d’histoires différentes sont rassemblées dans cette sélection de l’oeuvre de Philippe Foerster, auteur belge qui les a publiées depuis 1979 dans Fluide Glacial.

Dans la première, par exemple, qui s’intitule C’est pas beau de mentir, fiston, des parents refusent d’écouter leur fils trop sensible qui dit avoir des difficultés à s’adapter à sa nouvelle école. Si sa mère commence à s’inquiéter de l’évolution physique et psychologique de son fils, son père, lui, est heureux de le voir s’endurcir et capable de se défendre, jusqu’au jour où…
Dans la suivante, Histoire sainte, c’est pire encore : par cupidité, deux escrocs entreprennent de kidnapper un gosse sourd et muet qui porterait des stigmates du Christ et produit des miracles. or, sur place, ils découvrent que c’est son père lui-même qui le torture pour faire croire aux stigmates…

Ces deux histoires cauchemardesques, dont la chute est la plus horrible qu’il puisse s’imaginer, sont emblématiques de toutes celles qui composent ce recueil, nous conduisant tout droit en enfer : soit les personnages, qui peuvent être des enfants, se révèlent être des tueurs psychopathes, soit les personnages principaux sont torturés et assassinés atrocement. Un cauchemar je vous dis, mais dans lequel on plonge avec une réelle fascination morbide…

 

 

 

Idées noires de Franquin

25.04
2012


« Il ne faut pas confondre… » : ainsi débute chacun des gags qu’André Franquin imagine sur les 65 planches qui composent ses Idées noires, publiées en deux tomes, après avoir paru en 1977 dans le supplément du Journal de Spirou, Le Trombone Illustré, puis dans le magazine Fluide Glacial. Franquin y assassine milliardaires, chasseurs et militaires, fait tomber quelques marchands et industriels en leur faisant essayer leurs produits de mauvaise facture, mais aussi des pauvres types croyant sauver leur peau. Il y attaque le nucléaire, les religions, la bêtise humaine.

Ce n’est finalement que du malheur des autres dont on rit à chaque planche. Pour chacune, en effet, une idée noire pour un humour noir, qui débouche le plus souvent sur la mort du personnage principal. Au demeurant les thèmes et réflexions abordés, voire les retournements de situation, n’ont rien perdu de leur acuité, et font rire le lecteur tout en le faisant s’interroger sur l’absurdité du monde dans lequel il vit.

Une bande dessinée culte, excellentissime. Dépressifs, s’abstenir !

Allez jeter un coup d’oeil au site sur les Idées noires ici ou sur le site consacré à Franquin.

FRANQUIN, René. – Idées noires / préface de Gotlib. – Editions A.U.D.I.E., 1981. - (Les albums Fluide Glacial ; tome 1).

 

Sortie en librairie de « Jacques Sternberg » par Sandrine Leturcq

01.09
2011

Vient de paraître

 

JACQUES STERNBERG

Une esthétique de la terreur

 

 

Sandrine Leturcq


Collection : Approches littéraires

 

Il s’agit de l’unique essai littéraire publié à ce jour sur cet écrivain dont l’œuvre se révèle d’une effrayante actualité.

En plus de cinquante années de carrière, de 1944, avec Angles morts, à 2002, avec 300 contes pour solde de tout compte, Jacques Sternberg aura écrit seize recueils de récits brefs, autant de romans et de nombreux ouvrages inclassables et variés, sous son nom ou sous d’autres pseudonymes, cinq essais autobiographiques, trois pièces de théâtre, deux essais, deux dictionnaires, deux lettres ouvertes, des anthologies, des scénarii, dont un pour Alain Resnais (Je t’aime je t’aime), et d’innombrables chroniques littéraires pour la presse écrite. Mais c’est avant tout dans ses contes et nouvelles que Jacques Sternberg excelle, des récits brefs d’où jaillit un regard lucide et terrifiant sur notre condition humaine. Et c’est sur ce sujet que porte mon travail d’analyse.

 

Sandrine LETURCQ s’est spécialisée dans l’étude du fantastique et de la science- fiction. Professeure-documentaliste en lycée depuis une quinzaine d’années, forte de l’expérience de séances d’incitation à la lecture et à l’écriture, elle sait combien ce type de textes très courts à chute se prête parfaitement à un travail d’analyse littéraire en classe, pouvant déboucher sur une écriture d’invention « à la manière de »… Sternberg !

 

ISBN : 978-2-296-56318-6 • septembre 2011 • 154 pages

Prix éditeur : 15 €

En vente sur le site de L’Harmattan, dans votre librairie, et sur Amazon, la FNAC, Chapitre.com, Gilbert jeune, etc.

Remerciements à Laurent d’In Cold Blog pour en avoir parlé.


 

188 contes à régler de Jacques Sternberg

28.11
2010

« C’est au milieu du XXIe siècle que des êtres intelligents surgirent du fond de l’espace pour aborder sur la Terre qu’ils savaient dévastée de fond en comble par une guerre atomique (…) »

Qu’y découvrirent-ils ? Vous le saurez en lisant la suite de cette histoire intitulée Le désert, l’une des 188 qu’égrène ce recueil.

Après s’être essayé à divers genres (romans, théâtre, scénario, dictionnaires, …), Jacques Sternberg était revenu en 1988 à son genre de prédilection, le récit bref, pour notre plus grand plaisir. Bien lui en a pris : dix ans après, consécration à ses yeux, 188 contes à régler, d’abord publié chez Denoël, sortait enfin en Folio, suivis par ses deux autres recueils de nouvelles plus érotiques, Histoires à dormir sans vous (1990) et Histoires à mourir de vous (1991).

Dans la même veine que ses recueils précédents, ces contes sont autant de comptes à régler avec la planète, les êtres humains et la civilisation. Car toutes ces histoires de science-fiction, parmi lesquelles se sont faufilés douze contes fantastiques, sont dénuées de tout scientisme : elles ne visent qu’à distiller la peur chez leur lecteur par le biais d’un schéma narratif réduit à l’essentiel et d’une chute effrayante. Leurs thèmes ? Des topoï contemporains comme la peur de l’autre, l’homme aliéné par la société, et des topoï romantiques comme la fuite du temps et la mort.

Mes contes préférés ? Les chats (un classique chez Jacques Sternberg), Le désert, Le P.D.G. et Les trois clients.


En savoir plus ici sur l’analyse des contes et nouvelles de Jacques Sternberg.

Beaucoup aimé

RELECTURE en 2010 : première lecture en 1998.

188 contes à régler / Jacques Sternberg ; ill. de Roland Topor. – Éd. revue par l’auteur. – [Paris] : Gallimard, 1998. – 377 p. : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Collection Folio ; 3059). - ISBN 2-07-040416-1 (br.) : 39 F.
1ère publication en 1988

Contes glacés *** de Jacques Sternberg (1974)

24.09
2005

Pour Jacques Sternberg, « écrire un roman de plus de 250 pages, c’est à la portée de n’importe quel écrivain plus ou moins doué. [...] Mais écrire 270 contes, généralement brefs, c’est une autre histoire. Ce n’est plus une question de cadence mais d’inspiration : cela demande 270 idées. C’est beaucoup. »

Contes et nouvelles constituent donc la majeure partie de sa production, en tout cas, la plus intéressante, et le recueil que voici reste à mon sens le plus abouti.

C’est après la guerre, de 1948 à 1973, à Bruxelles, que Jacques Sternberg écrivit ces récits brefs et les lut, deux fois par semaine, à « La Poubelle », cabaret littéraire animé par Jo Dekmine.

Il livre dans ses Contes glacés une vision particulièrement terrifiante de la vie.

Cette vision transcende les genres chez lui. De fait, rien n’est terrifiant mais tout est terriblement reçu. Comme son défunt ami Roland Topor, illustrateur de ses recueils, Jacques Sternberg fuit les appellations et condamne cette manie héritée des sciences naturelles et d’Aristote de toujours vouloir classer la moindre espèce d’écrit dans un genre définitivement arrêté. Mieux que quiconque, Jacques Sternberg passe de l’un à l’autre de ces genres en véritable virtuose et les mélange dans un même récit. Ces genres sont pourtant très proches, et ce dès leur origine. Leur évolution le confirme.

La science-fiction (41 histoires ici), après avoir goûté au plaisir de l’exotisme intersidéral ou scientifique, se penche davantage sur notre condition ; à elles seules les parties « Les Autres » et « L’Ailleurs » en proposent respectivement douze et vingt ; l’intitulé de ces deux chapitres reprend en filigrane les topoï de l’altérité et du voyage exploités par la science-fiction.
Le fantastique (128 contes au total, pratiquement la moitié du recueil) ne répond plus à des peurs externes mais internes à l’homme.
L’humour noir et l’absurde, enfin, plus contemporains, révèlent une forme d’horreur moderne. Il imite d’ailleurs à sa manière les tall stories à l’américaine, ces histoires invraisemblables qu’on débite sans sourciller.
En revanche, Jacques Sternberg affiche son souci de cohésion par la création de chapitres et le choix du titre, qui suggère « glacés de peur ». Contrairement au classement par ordre alphabétique des contes de la plupart de ses recueils, ces contes sont, semble-t-il, répartis en fonction de leurs éléments perturbateurs, de ce qui conditionne l’irruption de la terreur. Et, à l’image de la poupée russe, au cœur de ces contes écrits « pour glacer de peur », et, plus précisément à l’intérieur des rubriques, le propre titre du conte est choisi en fonction du vecteur qui provoque une fissure dans le monde réel. Citons-en quelques-uns dans la rubrique « Les Objets » : La Photographie, Le Papier peint, La Machine à sous, L’Affiche, La Clé, Le Miroir, La Bouteille, La Vitre, Les Lunettes, Le Tricot ou La Photo. En fait, quels que soient leur rubrique et leur genre, les contes sont regroupés sous un dénominateur commun, la terreur.

Le phénomène de la réitération constitue peut-être la loi d’organisation la plus visible pour le lecteur. Ainsi, à plusieurs reprises, l’incipit ressemble à une formule de conte merveilleux dans le style de Marcel Aymé. De même, le schéma narratif est le suivant : la solitude à l’imparfait d’un fantoche mène à une fissure du réel, rupture marquée par le passage au passé simple, qui conduit à la mort du fantoche. Il s’inspire en cela d’une longue tradition de la nouvelle, voire celle de toute la littérature en général, puisque cette structure narrative fait figure de modèle. La quasi-absence de décors et de repères temporels, ce refus de tout réalisme topographique ou historique, confèrent au récit la valeur éternelle et universelle du conte.

L’effet de loupe du texte bref sied à l’effet de terreur recherché : une entrée directe dans le sujet, peu d’événements, des ellipses narratives pour courir plus vite vers la fin. Tous les détails concourent à rendre l’effet envisagé, à entretenir le suspense. Aucun portrait, aucune description ne vient ralentir l’unique intrigue.

Le mot coupe, le mot hache, le mot viole la conscience du lecteur. De la terreur, Sternberg nous propose une vision sans voile. En effet, ce grand virtuose du texte bref dépeint la vie au vitriol, avec la précision du scalpel. Le sang gicle, un homme s’écrase au sol toutes les cinq pages. Tout est mépris, insolence, humour glacé.

Ainsi donc, si Jacques Sternberg a choisi le conte ou la nouvelle, ce n’était certainement pas pour s’inscrire dans la logique moralisante du premier, ni dans l’effort de vraisemblance de la seconde. Telle est donc la fonction des contes et nouvelles de Jacques Sternberg : aller droit au but, sans s’embarrasser de psychologisme de pacotille puisque nous sommes de toute façon de simples automates mis en marche pour un laps de temps réduit.

Sa lecture achevée, le lecteur acquiert la certitude de l’inutilité fatale de tout. A l’instar de ses contemporains, en effet, Jacques Sternberg révèle son observation impassible d’une société – machine et se livre à une analyse lucide de être humain enclin à la bêtise et la misère morales. En effet, s’il existe toujours une peur de l’autre, elle n’est plus pour autant celle d’un monstre venu de notre imaginaire ou d’ailleurs, mais celle d’un monstre bien réel : l’homme. Incapable de communiquer dans l’intimité ou avec l’extraterrestre le plus différent, l’homme reste le pire ennemi de l’homme. Il est capable de la plus grande indifférence, tels le spectacle de la déportation ou celui des événements du Rwanda. Les hommes s’entre-tuent à travers les siècles, pour une question de territoire ou de religion. Par l’absurde, Jacques Sternberg va refuser de jouer la comédie humaine ; il se situe hors de ses conversations insipides car stéréotypées, de son aliénation culturelle, de son perpétuel recommencement. C’est pourquoi la véritable folie, moderne, terrifiante, est chez lui quotidienne, universelle : c’est le thème de l’engagement et du travail, de l’homme aliéné par la passion morbide du travail jusqu’à l’épuisement de ses forces vitales. Du même coup, il critique la société, le capitalisme, la bureaucratie oppressive et toutes les institutions. Il imagine une société futuriste où l’individu perd son identité, sa personnalité, ses relations, sa vie et reverse ses journées de travail en taxes et impôts Il démantèle cette civilisation bâtie sur une idée reçue : « On n’arrête pas le progrès ! ». Jacques Sternberg attaque donc à mots armés le monstre humain et la société inhumaine qu’il a façonnée et qui lui a échappé. Ce ne sont pas un ni deux coups portés à ce soi-disant bon sens quotidien mais plusieurs centaines assénés, à travers ses contes.

« A côté de l’usine qui fabriquait en série des allumettes, cet hommes d’affaires avait créé une entreprise où l’on enflammait les allumettes pour vérifier si elles étaient utilisables. » (p. 196)

Fréquemment, sa rage est aussi d’ordre écologique, dénonçant la pollution et le gaspillage des ressources naturelles. Il n’en garde pas moins ses griffes pour son sujet de prédilection : la religion, qu’il porte systématiquement en dérision.

>Aussi Jacques Sternberg laisse-t-il son lecteur au bord du précipice. Non seulement il enchaîne ses maillons du vecteur – tension vers la terreur sans retour à l’ordre, sans vecteur-détente, mais surtout il détruit ainsi les fondements du réel et ses certitudes sans rien reconstruire. Cette vision anarchique du monde provoque donc aussi le chaos dans l’esprit du lecteur et bouleverse sa propre vision du monde.

Mes contes préférés ? Les Chats, Le Rideau, Le Plafond, La Photographie, Marée basse.

« C’est avec quelque étonnement qu’on remarquait accroché à la porte de ce caveau funéraire l’écriteau : JE REVIENS DANS UN INSTANT. » (p. 162)

Contes glacés. – Paris : Marabout, 1974, 375 p.
Voir le commentaire sur l’ancienne version du blog

Si loin de nulle part ** de Jacques Sternberg (1998)

12.09
2005

« Horticulteur fanatique et limité à sa passion, il se fit fatalement faucher dans la fleur de l’âge. » (La fatalité, p. 60).

Dans son avant-dernier recueil de 153 nouveaux contes, Jacques Sternberg fait la part belle à l’humour noir, sur la Création et sur Dieu, sur l’écrivain, sur la vieillesse et la mort, avec toujours une quantité non négligeable de récits fantastiques (29) ou relevant de la science-fiction (30). Nombreux d’ailleurs sont les contes déjà parus dans les Contes glacés ou Géométrie dans l’impossible.

Comme toujours chez lui, la réalité la plus ordinaire peut coûter la vie autant que des voyages interplanétaires, comme un fait mineur peut engendrer des conséquences insoupçonnables. Les certitudes n’ont plus cours. Rien ne sauve l’homme… Et jamais Sternberg n’a autant évoqué la mort, cette mort qui ne saurait tarder à présent, ni sa condition d’écrivain hélas oublié des prix et de la renommée, avec toutefois une lueur d’espoir teintée d’humour noir dans L’auteur, où il se met lui-même en abime. Car sa foi en l’être humain paraît comme une étoile filante, dans ce recueil couleur nuit d’encre, au travers de deux contes seulement, la fraternité en pleine guerre dans La sentinelle et la renaissance de l’amour dans le rendez-vous.

Mes contes préférés ? La création, L’épitaphe, L’essai, Les revenants, Le roman, L’évolution. Les contes de Sternberg, on les prend, on en lit quelques-uns, on sourit, on les repose, mais on ne les oublie pas.

A la fin de l’ouvrage, vous trouverez une table des matières, l’éditorial du Cabinet noir, une biographie de Jacques Sternberg, et un hommage de Sternberg à Alain Dorémieux qui, le premier, en 1954, avait découvert son talent de conteur.

Nous ne tarderons pas à revenir sur cet écrivain prolifique avec cette fois son dernier recueil 300 contes pour solde de tout compte.

Critique dans la presse :

«Un régal de petits récits concis, cinglants, n’épargnant rien ni personne, et surtout pas Dieu dont l’obsession poursuit cet athée, à égalité avec la mort, seule certitude absolue et énigme éternellement irrésolue. » Aliette Armel, Magazine littéraire, février 1999, n°373, p. 74-75.

STERNBERG, Jacques. – Si loin de nulle part. – Ed. Les Belles Lettres, 1998.- 232 p.. – (Le cabinet noir). – ISBN 2-251-7711—0 : 49 F.