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Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde *** de Stanislas Gros (2008)

23.12
2009

« Oui, ce tableau est beau… Et il le restera éternellement, tandis que moi, je vais devenir vieux et laid… Si seulement on pouvait être le contraire… Pour cela je donnerais mon âme ! » (p. 8).

Basil Hallesarb peint un magnifique tableau de son ami Dorian Gray, inspiré par sa grande beauté. Lord Henry, son autre ami fortuné, dont le cynisme attire ou scandalise dans les cercles mondains, lequel « ne dit jamais rien de moral et ne fait jamais rien d’immoral« , va alors fortement et durablement influencer Dorian Gray : « Pourtant, le seul moyen de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y céder. (…) Vivez ! Osez pleinement la vie merveilleuse qui est en vous ! » (p. 7).

Porté par sa curiosité et son égoïsme, Dorian Gray va donc devenir cruel, alors que seul son portrait, soigneusement dissimulé aux regards, va porter le poids de tous ses péchés, la beauté et la jeunesse de son visage, elles, ne s’en trouvent pas altérées : »Vous avez excité en moi, Harry, une curiosité qui croit à mesure qu’elle trouve à se satisfaire… Plus j’en sais, plus je désire en savoir : mes appétits sont furieux, et en s’assouvissant deviennent plus voraces encore ! » (p. 32)…

Stanislas Gros, dans la préface, énumère un certain nombre de citations sur l’artiste et sur le XIXe siècle, comme celle de ne pas confondre l’art et son sujet. Car en effet, l’auteur  adapte ici librement un roman fantastique célèbre, celui d’Oscar Wilde, où le personnage principal atteint le paroxysme de l’immoralité, sans pour autant que son auteur ait voulu en faire l’apologie, bien au contraire. En rendantl’intrigue plus concise, en offrant un raccourci saisissant du destin de Dorian Gray, le scénariste rend plus frappante encore la déchéance morale du protagoniste. D’ailleurs, il n’y a qu’à feuilleter rapidement la bande dessinée, et l’on verra son portrait, sur la vignette au bas de chaque planche à droite, s’enlaidir et vieillir en quelques secondes.

Enfin, à l’aide  de bulles et d’illustrations assez proches de l’horizon d’attente du lecteur, Stanislas Gros insère dans le scénario, avec beaucoup de goût et d’à propos, d’innombrables références intertextuelles : à Friedrich Nietzsche (Lord Henry), aux traits de Greta Garbo, au poème Les Bijoux de Charles Baudelaire, aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos,  à Huysmans (tortue incrustée de pierres précieuses), aux préraphaélites (Ophélie),  à Audrey Beardsley, et aux photographies de Lewis Hine. Sincèrement, à lire cette bande dessinée, on en vient à prendre des distances avec les préceptes hédonistes et individualistes de Nietsche repris par Michel Onfray, dont on perçoit ici à quelles extrémités ils peuvent aboutir.

Un vrai coup de coeur.
Une bande dessinée pour adultes et adolescents aimant la littérature ou l’époque de la fin du 19e siècle, qui constitue une excellente idée cadeau !

« Et puis j’aime le secret. La chose la plus banale devient délicieuse dès l’instant où on la dissimule… » (p. 4)

« Eh bien, les gens d’aujourd’hui sont charitables, ils nourrissent les affamés, vêtent les mendiants, mais ils ont oublié le plus important des devoirs : l’épanouissement de soi. Ils ont peur d’eux-mêmes, de Dieu, de la société… » (p. 7)

« la société civilisée n’est jamais portée à rien croire de négatif sur le compte des gens riches et séduisants. Elle sent d’instinct que les manières comptent plus que la moralité. » (p. 38)

Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde / sc. et dessin de Stanislas Gros, coul. de Laurence Lacroix. – Delcourt, 2008. – 63 p.. – (Ex Libris). – ISBN  978-2-7560-1120-2.

Théorie du corps amoureux ** de Michel Onfray

11.09
2005
Pour une érotique solaire : relecture

« De quelle façon aimer sans renoncer à sa liberté, son autonomie, son indépendance – et en tâchant de préserver les mêmes valeurs chez l’autre ? » (p. 34)

De nos jours encore, la norme établie par l’idéal ascétique judéo-chrétien et platonicien , liberticide et misogyne, est restée profondément ancrée dans nos coutumes, à tel point que notre destin semble tout tracé : trouver sa moitié, fusionner en un couple, faire des enfants. Il nous faut trouver notre moitié pour être complet, voilà la définition de « l’amour comme recherche de la complétude originaire« , comme vide à combler, absence à conjurer. Le mariage conclu, le désir est nié, interdit, refoulé. On devient mari ou femme fidèle, puis père ou mère s’oubliant pour éduquer ses enfants. Or « il n’y a rien à trouver », s’exclame Michel Onfray : la moité perdue est mythique. On s’épuise peine perdue à sa recherche pour finalement  arrêter son choix et ses désirs sur une seule personne jusqu’à la mort. A cette vie sclérosante, niant le désir et les plaisirs, Michel Onfray oppose une érotique hédoniste, formulée par Lucrèce et Epicure, celle du libertinage (« cet art de rester soi dans la relation à autrui », p. 35), à laquelle s’initient les enfants et adolescents en découvrant leur corps et celui des autres, dans l’ignorance encore des codes sociaux qui les enfermeront ensuite dans une monogamie procréatrice. Car « le désir est naturellement polygame, insoucieux de la descendance, systématiquement infidèle et furieusement nomade. Accepter le modèle dominant suppose une violence infligée à sa nature et l’inauguration d’une incompatibilité d’humeur radicale avec autrui en matière de relation sexuée. » (p. 26)Aussi comment peut-on être épicurien aujourd’hui dans le domaine des relations sexuées ? Que nous propose Michel Onfray en s’inspirant de Diogène de Sinope, d’Aristippe de Cyrène, d’Epicure, de Lucrèce, d’Ovide et d’Horace, entre autres penseurs hédonistes cyrénaïques, cyniques, épicuriens ?


Sachant que « la somme des plaisirs doit toujours être supérieure à celle des déplaisirs » (p. 91), on choisira d’obéir à la libido, de consentir au désir sexuel et sensuel, de séduire, de plaire, de conquérir, de découvrir, de jouir, ou de refuser une volupté trop chèrement payée, une solitude appréhendée ou encore une séparation douloureuse si l’on s’attache à son/sa partenaire. On prendra soin de conserver sa liberté à tout moment et de réviser son jugement, si les déplaisirs commencent à peser plus lourds que les satisfactions.


Car on est toujours seul : « naître, vivre, jouir, souffrir, vieillir et mourir révèlent l’incapacité à endosser une autre histoire que la sienne propre et l’impossibilité viscérale, matérielle, physiologique, de ressentir directement l’émotion de l’autre. » (p. 96)

« Carpe diem, quam minimum credula postero« 
cueille le jour, sans te fier le moins du monde au lendemain.

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