Mots-clefs ‘guerre’

Une si jolie petite guerre de Marcelino Truong

24.04
2020

IMG_20200424_183010Saïgon 1961-1963

En 1961 Truong Buu Khanh quitte les Etats-Unis avec sa famille pour devenir l’interprète du président Ngô Dinh Diêm, au Sud Vietnam. Originaire de Saint-Malo, son épouse se plaint sans cesse de l’insécurité qui règne à Saïgon, tandis que Marcelino, son frère et ses soeurs s’adaptent facilement à la situation.

Marcelino Truong partage avec nous ses souvenirs d’enfance à Saïgon, entre un père absent, absorbé par son travail, une mère blonde, bipolaire, attendant un quatrième enfant, et des domestiques issus des quartiers pauvres de Saïgon. Pour ses yeux d’enfant, tout n’est encore que jeux de guerre, armes suscitant la curiosité, batailles et explosions, d’où le choix du titre construit sur une oxymore. Un dessin très agréable pour une lecture instructive.

Une BD conseillée et prêtée par Christine B.

Denoël graphic, 2012

269 p. : ill. en coul.

EAN13 9782207111789 : 24,90 €

 

Le choix d’Ivana de Tito

22.02
2012

cop. Casterman

Lorsqu’Ivana apprend en 2008, comme tout le monde à la télé, l’arrestation de Radovan Karadzic, elle semble être avec sa grand-mère la seule à accuser le coup, alors que tous se réjouissent de ce parfum de page enfin tournée sur la guerre et ses atrocités. Au contraire, elle part en quête d’informations mystérieuses, dussent-elles être obtenues en faisant le ménage dans des locaux d’une association la nuit, après son travail. Quand enfin elle les trouve, elle prend des congés et rassemble ses économies et celles de sa grand-mère pour partir à Milan…

On connaissait de Tito sa série Tendre banlieue, le voici revenu à la bande dessinée adulte, abordant toujours un drame au coeur de son histoire, mais cette fois prenant corps dans l’Histoire. Même si les dessins de Tito sont peu attirants, l’intrigue, qui semble s’inspirer, en bien moins tragique, du Choix de Sophie de William Styron, se révèle à la fois captivante et poignante.

TITO. – Le choix d’Ivana. – Casterman, 2012. – 64 p. : ill. en coul. ; 32 cm. – EAN13 9782203041189 : 15 €.

Laver les ombres de Jeanne Benameur

23.10
2011

 

cop. Actes Sud

« Laver les ombres, en photographie,  signifie « mettre en lumière un visage pour en faire le portrait. »"

Léa, âgée de trente-huit ans, travaille à corps perdu, car elle a fait de sa passion son métier : elle est danseuse et chorégraphe. Il y a pourtant deux ombres dans sa vie : jamais encore elle n’a pu construire de relation amoureuse, et pourtant elle l’aime Bruno, son artiste qui ne rêve que de la peindre, mais elle ne parvient pas à s’abandonner à l’amour ; et puis, il y a la place vide au premier rang laissée par sa mère qui pas une fois n’est venue assister à l’un de ses spectacles. Aurait-elle besoin de l’amour de sa mère pour prendre confiance en son propre amour ? D’ailleurs, Léa a installé le corps de sa mère dans sa dernière création, sa vieillesse, et aussi sa mort. Alors quand au téléphone sa mère lui souffle qu’elle a des choses importantes à lui dire, Léa part aussitôt la rejoindre en pleine tempête…

« A la fenêtre, elle regarde les passants qui se hâtent. On marche toujours plus vite quand il pleut. C’est drôle, pense-t-elle, le front appuyé à la vitre, on s’immerge dans la mer facilement et on fait tout pour éviter juste quelques gouttes du ciel. Pourtant c’est bien toujours notre peau, la même, qui reçoit l’eau. En ville, est-ce qu’on fuit la pluie parce que tout le corps n’y est pas ? La sensation de l’eau glissant dans le cou suffit à glacer tout le reste. Il n’y a qu’à regarder les nuques rentrées dans les épaules de ceux qui se hâtent sur les trottoirs. » (p. 17)

Le drame sourd lentement mais sûrement dans l’alternance des récits de Léa, parfois de Bruno, et surtout de Romilda, sa mère, en 1941 et 1942, s’échappant avec son premier amour, le Français aux mots doux, de derrière le comptoir du bar familial napolitain pour se retrouver à travailler pour lui, deux ans de suite, dans une maison close. Jeanne Benameur nous fait sentir toute la difficulté pour cette mère de faire à sa fille cette horrible confidence, toujours retardée par la peur d’être repoussée ensuite, elle, l’ancienne prostituée, alors qu’au contraire cet aveu est d’autant plus atroce pour sa fille qu’elle ne pourra dorénavant plus garder une seule belle image de son père mort : ce père haï à présent est doublement mort pour elle. Et encore sa mère ne lui -t-elle pas tout dit… La lumière est ainsi faite sur la véritable nature de son père, quoique… Faut-il vraiment laver toutes les ombres ? Le personnage de la mère semble penser que non.

Un très beau texte écrit comme seule une femme peut écrire, semble-t-il, proche de la thématique et du style de Claude Pujade-Renaud. Comme seule une femme peut décrire un corps en mouvement, un être à l’écoute du monde, à l’écoute de son corps, à l’écoute du silence, du non-dit et de l’indicible. Poignant.

Laver les ombres. - Arles  : Actes Sud, 2008.- 158 p. : couv. ill. en coul.  ; 19 cm. –  ISBN 978-2-7427-7701-3 : 15 €.

 

 

Objecteurs, insoumis, déserteurs * de Michel Auvray (1983)

03.01
2011

« Des premiers chrétiens aux réfractaires au S.T.O., des paysans récalcitrants aux milices de l’Ancien Régime aux déserteurs du premier Empire, des objecteurs de la Première Guerre mondiale aux opposants au conflit algérien, des insoumis « totaux » aux renvoyeurs de papiers militaires, c’est l’histoire des réfractaires en France » (p. 14) que Michel Avray propose à notre lecture, des origines à mai 1983.

Même si la guerre ne nous a jamais semblé aussi lointaine (et pourtant nous sommes actuellement en guerre en Afghanistan), même si le service militaire sera aboli par la suite (non pas par Mitterrand), cet ouvrage datant de presque trente ans désormais dresse l’historique de ces Français qui ont su dire « non ». Qui, pour quelles raisons, de quelles manières, et avec quelles sanctions à la clé ?  Il a fallu du courage à ces hommes pour oser désobéir, alors que le plus facile aurait été d’obéir passivement, comme tout le monde. Un statut pour ces personnes, souvent pacifistes ou antimilitaristes, refusant d’accomplir certains actes allant à l’encontre de leurs principes religieux (Témoins de Jéhovah), moraux ou éthiques, fut créé en décembre 1963.

A lire une chronique détaillée sur leconflit.com.

Objecteurs, insoumis, déserteurs : histoire des réfractaires en France / Michel Auvray. – Paris : Stock 2, 1983. – 438 p. : couv. ill. ; 24 cm. - En appendice, texte du statut des objecteurs de conscience, 8 juillet 1983. – Bibliogr. p. 421-429. - ISBN 2-234-01652-5 (Br.) : 95 F.
Emprunté à la médiathèque

Seul dans le noir de Paul Auster

24.02
2009
Titre original : Man in the Dark (New York, 2008)


Second volet, semble-t-il d’un diptyque sur l’écrivain finissant, vieillissant, avec Dans le scriptorium **** dont j’avais tant dit de bien, ce nouveau roman de Paul Auster a forcément encore beaucoup fait parler de lui. Mais que dire de ses qualités ? L’idée initiale est extrêmement séduisante : Owen Brick, la trentaine, se réveille dans un trou, aux parois lisses et insurmontables, dans une Amérique parallèle, où les deux tours ne se sont pas effondrées et où la guerre en Irak n’a pas eu lieu, mais où une guerre civile fait rage, avec dans le camp adverse les Etats chapeautés par Georges W. Bush. Sa mission ? Tuer, à son retour à la vie « normale », August Brill, un vieil homme critique littéraire qui a imaginé toute cette histoire d’une guerre sans fin. On suit donc en parallèle les mésaventures fantastiques d’Owen, heureux avant que le ciel (l’écrivain) ne lui tombe sur la tête, et la vie de trois âmes endeuillées : ce veuf se rappelant sa chère Sonia, vivant avec sa fille Miriam, que son mari a quittée, et sa petite-fille, Katya, anéantie depuis la mort de son fiancé Titus en Irak.

Le plus jouissif, dans les romans de Paul Auster, c’est l’univers qu’il sait créer, ce suspens causé par les arcanes de l’écriture, par un autre personnage, double de l’écrivain lui-même, qui crée des vies, des personnages, un destin, pour d’un coup les laisser tomber sans crier gare. Mais on finit par se lasser de ce ressort romanesque, fréquemment utilisé. Et que reste-t-il alors ? Une écriture sobre et simple, mais pas du tout exceptionnelle, une mise en abime d’une histoire dans l’intrigue qui après nous avoir bien mis en haleine, finit en queue de poisson, nous laissant sur notre faim, un peu comme dans La nuit de l’oracle*** où le héros de l’écrivain se retrouvait enfermé, sans échappatoire. Ici, la solution offerte au personnage secondaire, quelle qu’elle soit, c’est la mort. Tout comme le peuple américain d’ailleurs, prisonnier de cette guerre meurtrière. Alors l’écrivain est-il un monstre ? Est-ce là le sentiment que nous livre Paul Auster ? Et à broder une histoire autour de cet autre monstre aux commandes du pays qui a engendré d’autres horreurs ? Evacuant son dégoût de la politique de Bush et l’horreur que lui inspirent ces films diffusés sur le net mettant en scène l’exécution de ses compatriotes. Le nouveau Paul Auster ? Plus engagé, certes, que tout autre. Plus allégorique aussi, fiction et réalité nous rappelant la nôtre. Mais pas au summum de son talent, il faut bien l’avouer. Le meilleur serait-il advenu ?


AUSTER, Paul. – Seul dans le noir / trad. de l’américain par Christine Le Boeuf. – Actes Sud, 2009. – 181 p.. - ISBN 978-2-7609-2887-9 : 19,50 €.
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Nous commençons notre descente de James Meek

29.08
2008

cop. Métailié

Titre de l’édition originale : We are now beginning our descent (2007)
Traduit de l’anglais (Ecosse) par David Fauquemberg (2008)

RENTRÉE LITTÉRAIRE 2008
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
« (…) le voyageur (…) devient un autre homme, qui appartient un peu aux lieux dans lesquels il se rend. C’est justement cet aspect-là, cette appartenance, que je ne parviens jamais à rendre quand je m’adresse aux gens qui sont restés à la maison. Peut-être parce que je n’arrive pas à l’exprimer clairement. Ou peut-être parce qu’ils ne veulent pas savoir. »
« (…) Un seul d’entre nous est incapable de faire comprendre tout un pays à un autre pays. » (p. 82) 

Fuyant ses échecs dans sa vie amoureuse comme dans le monde littéraire, Adam Kellas accepte de devenir grand reporter britannique en Afghanistan. Il y croise la mort mais aussi l’amour en la personne d’Astrid, journaliste américaine très indépendante. Alors, quand il reçoit un  jour un mail d’elle à Londres, il saute dans le premier avion à destination de New-York signer un contrat avec une grande maison d’édition pour son futur best-seller et retrouver en pleine tempête de neige, sur une île, Astrid…

L’incommunicabilité entre les humains semble être le thème principal de ce roman, à la croisée entre le journalisme documentaire et l’histoire d’amour. D’abord entre les journalistes étrangers et les guides et interprètes afghans qui les côtoient : en constituent des exemples la discussion entre Kellas et Mohammed sur ce qu’est être libre, leur expérience de la mort. Ensuite entre ces mêmes journalistes et tous ceux qui ne connaissent de la situation que ce qu’ils en lisent dans la presse : la scène du dîner  londonien qui tourne à la catastrophe en est l’acmé. Enfin entre un homme et une femme, entre Kellas et Sophie puis Astrid, l’image qu’il s’est créé d’elles ne correspondant pas à une réalité plus ordinaire ou imparfaite.

« Si seulement il avait eu ce genre de téléphone capable de prendre des photos, un an plus tôt en Afghanistan, il aurait eu un portrait d’Astrid. Peut-être était-il préférable pour lui de ne pas en avoir. Astrid n’aurait pas vieilli. Elle avait trente-quatre ans alors. Mais la nature d’un être humain n’apparaissait que dans le mouvement, le changement, ce qui faisait de l’immobilité propre aux photographies une sorte de mensonge. » (p. 35)
Un bon roman parmi cette rentrée littéraire, qui jette un regard ironique et désillusionné sur les relations humaines et internationales.
Du même auteur : Un acte d’amour (2007).
MEEK, James. – Nous commençons notre descente / trad. De l’ang. (Ecosse) par David Fauquemberg. – Métailié, 2008. – 334 p.. – (Bibliothèque écossaise). – ISBN 978-2-86424-657-2 : 21 €.

L’empreinte de l’ange ** de Nancy Huston (1998)

28.07
2008

cop. Actes sud

Paris, mai 1957. Quand Raphaël Lepage, grand flûtiste, embauche comme bonne à tout faire Saffie, une jeune allemande au visage impassible, il sait déjà qu’il en est profondément épris. Un mois après, il l’a épousée. Cependant, mariée, puis mère, Saffie ne change pas d’attitude à son égard, comme détachée de la vie et du monde. Mais le jour où il l’envoie donner à réparer sa flûte chez un luthier, dès qu’elle pose ses grands yeux verts sur ce Juif hongrois prénommé Andras, elle se retrouve métamorphosée par un amour fou  et c’est à ce dernier qu’elle va ouvrir son coeur et confier son passé auquel elle survit avec difficulté. Quant au sien, Andras s’en souvient pour mieux comprendre les enjeux présents et s’engager aux côtés des Algériens…

« Saffie ne se sent-elle jamais coupable ? Comment fait-elle pour supporter cette duplicité, jour après jour, mois après mois ? C’est le même corps qu’elle donne à l’un et à l’autre homme ; n’y a-t-il jamais d’interférence dans sa tête ?
Non : pour la simple raison qu’elle est amoureuse d’Andras, alors qu’elle n’a jamais été amoureuse de Raphaël. » (p. 229-230).
« Lorsque deux amants ne disposent pour se parler que d’une langue à l’un et à l’autre étrangère, c’est… comment dire, c’est… ah non, si vous ne connaissez pas, je crains de ne pouvoir vous l’expliquer » (p. 230)

 

Ces deux passages, qui témoignent de l’intrusion du narrateur et la prise à témoin du lecteur dans l’histoire, reflètent à eux seuls l’atmosphère de cette bouleversante histoire d’amour, avec pour toile de fond les crimes de guerre, viols, meurtres et tortures, que ce soient ceux des soldats russes sur les allemandes restées seules ou ceux des soldats ou des policiers français sur les algériens. Un très beau roman.

Actes Sud, 1998. – 328 p.. – (Babel ; 431).