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Trois femmes puissantes de Marie NDiaye (2009)

09.09
2009

Qu’il est ténu le fil qui relie ces trois récits  mis bout à bout pour constituer ce qui ne pourrait être un roman mais se dit tel, tant le genre de la nouvelle reste largement déprécié en France. Publiée en tant que recueil de nouvelles, jamais cette oeuvre n’aurait pu avoir le Goncourt, ou même un prix équivalent.

Ce fil, ce sont ces menus détails tout juste effleurés, la brève évocation d’un lien de parenté, d’un village, du nom d’une prison, d’un emploi de domestique chez le père d’une autre, mais c’est surtout un thème qui soude ces trois histoires en un « recueil » romanesque. Ici, la force des femmes, c’est de vouloir s’élever au-dessus de leur héritage familial, c’est de décider de leur destin, jusqu’à ce qu’un homme, père, mari ou amant, le fasse vaciller voire sombrer, par son égoïsme, sa lâcheté, son inconséquence ou sa trahison.

C’est l’histoire de Norah, de Fanta, de Khady Sambra, toutes trois parties ou voulant partir du Sénégal. La première, devenue avocate en France, retourne au pays sur la demande de son père, qu’elle retrouve juché en tongs sur un flamboyant, pour sauver son frère, Sony, bardé de diplômes, accusé du meurtre de sa jeune belle-mère. Fanta, devenue professeure d’université alors qu’issue d’un milieu très modeste, se retrouve en Gironde mère au foyer, par la faute de son époux qui n’a pas su un jour faire taire les démons de son père et a été déchu de ses fonctions. Khady, enfin, cousine de Fanta, elle a été la domestique du père de Norah. Veuve, devenue inutile, elle est confiée par sa belle-famille à un passeur. Commence un périple dangereux semé d’embûches mais accepté avec dignité…

« Il percevait près de lui un autre souffle que le sien, une autre présence dans les branches. Depuis quelques semaines il savait qu’il n’était plus seul dans son repaire et il attendait sans hâte ni courroux que l’étranger se révélât bien  qu’il sût déjà de qui il s’agissait, parce que ce ne pouvait être nul autre. Il n’en éprouvait pas d’irritation car dans l’obscure quiétude du flamboyant son coeur battait alangui et son esprit était indolent. Mais il n’en éprouvait pas d’irritation : sa fille Norah était là, près de lui, perchée parmi les branches défleuries dans l’odeur sure des petites feuilles, elle était là sombre dans sa robe vert tilleul, à distance prudente de la phosphorescence de son père, et pourquoi serait-elle venue se nicher dans le flamboyant si ce n’était pour établir une concorde définitive ? Il entendait le souffle de sa fille et n’en éprouvait pas d’irritation. » (p. 93-94)

La prose de Marie NDaye s’étire sur de longues phrases, scandées par des rimes ou la juxtaposition d’épithètes ou d’adverbes. Il peut paraître difficile, au tout début, de s’adapter à ce style, très travaillé. De même, chaque nouveau chapitre exige une attention nouvelle, la plongée dans une autre histoire, opérant autant de cassures entre chaque récit. Enfin, on referme ce roman puis on le reprend avec un certain malaise, relativement séduit par cette plume ensorcelante, mais dérouté par le portrait psychologique extrêmement négatif fait aux hommes et les affres de l’humiliation de ses personnages.

Vous l’aurez compris, malgré la finesse de ses descriptions psychologiques, mon avis reste partagé, et je lui ai préféré la simplicité et la justesse des Hommes de Laurent Mauvignier qui, hélas, n’a été distingué que par un prix méconnu.

NDIAYE, Marie. – Trois femmes puissantes. – Paris : Gallimard, 2009. – 316 p.. – (Nrf). – ISBN 978-2-07-078654-1 : 19 euros.

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Vie et mort en quatre rimes d’Amos Oz (2008)

09.09
2005
Publié en Israël en 2007


Dérision et autodérision

Invité dans un centre culturel lors du soirée organisée en son honneur, un auteur laisse son esprit battre la campagne et imagine la biographie banale de ceux et celles qui attirent son attention : une serveuse, le délégué à la culture, la lectrice vivant seule avec son chat, l’adolescent poète tourmenté, la grosse femme assoiffée de culture,… 

L’excellente critique qu’en avait fait Pierre Assouline sur son blog m’a incitée à lire ce roman, d’autant que le prochain Salon du Livre mettra à l’honneur la littérature israélienne. Peut-être aurait-il dû être moins élogieux sur ce roman tournant en dérision ce que l’on pourrait appeler le service après-vente des auteurs, savoureux et si juste selon lui, car le roman m’a déçue :
Pourquoi ? Le texte d’abord, sans finesse ou subtilité particulière. L’exploitation du sujet ensuite, réduite à un simple épisode, à une soirée décrite de manière assez sordide, certes peuplée de personnages confrontés à leur solitude, chacun à leur manière, (et même l’auteur n’échappe pas à sa critique acerbe), mais sans creuser plus loin, sans en tirer quoi que ce soit, sinon le dégoût de ces simulacres de rencontres qui, au mieux, permettent à l’auteur de se retrouver au plumard avec la fan du coin. Pour tout imaginaire, il me semble que l’auteur nous a brossé le portrait d’une galerie de stéréotypes.

L’entrée en matière m’avait mise en appétit. Ensuite, il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat.

« Impossible de savoir si elle tient ou pas à ce que l’auteur, ce personnage connu, un peu trop gentil, courtois, voire paternaliste, à un point que c’en est pénible, monte avec elle. Il a une idée derrière la tête, mais laquelle exactement ? Désire-t-elle ou redoute-t-elle sa présence ? Maintenant ? En sortant, a-t-elle ou non oublié son soutien-gorge noir sur le dossier de sa chaise ? Et si oui, de quel côté ? Pourvu qu’on ne puisse pas voir les baleines ! » (p. 55)

 

 

OZ, Amos. – Vie et mort en quatre rimes / trad. de l’hébreu par Sylvie Cohen. – Gallimard, 2008. – 131 p.. – ISBN 978-2-07-078535-3 : 13,50 €.

Critique du Dimanche 10 février 2008 7 10 /02 /2008 09:00

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