Mots-clefs ‘exclusion sociale’

Cours, Bong-gu ! de Byun Byung Jun

18.05
2016
cop. Kana

cop. Kana

Au premier coup d’oeil, c’est le graphisme de ce petit manhwa qui séduit, doux et délicat, aux tendres couleurs pastel. Et puis, à la lecture de cette bande dessinée coréenne, qui se lit comme une BD franco-belge, il serait difficile de ne pas être attendri par cette histoire d’une mère et de son petit garçon partis de leur île à la recherche de leur époux et père disparu depuis quelques années dans la grande ville de Séoul, où ils se heurtent à l’indifférence de leurs contemporains. Seuls un grand-père réduit à mendier dans les transports en commun, avec sa petite-fille, leur porteront secours…

Trop choupinou !

 

Ce que j’appelle oubli ** de Laurent Mauvignier (2011)

18.09
2011

cop. Minuit

Quand on n’a que vingt-cinq ans, on est peut-être déjà assez vieux pour mourir. Mais mourir assassiné parce qu’on n’a ni toit ni revenus, et qu’on a juste bu quelques gorgées de bière dans une canette bon marché qu’on n’avait pas les moyens de payer, au supermarché, c’est encore moins normal. Et c’est pourtant ce qui arrive véritablement à Michaël Blaise, tué par quatre vigiles au supermarché Carrefour du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, en décembre 2009.

« (…) la surprise du sang sur ses doigts, il se répète, ils vont me casser la gueule et pourquoi ça tombe sur lui il ne sait pas, il a eu peur de ça depuis toujours et maintenant que c’est face à lui il n’a presque plus peur, seulement il ne comprend pas et ne peut pas imaginer comment les pompiers enlèveront son corps tout à l’heure, et comment, sur le ciment, on nettoiera le sang à l’eau de Javel et à la brosse, et puis le rire de celui qui a du gel sur les cheveux, ses dents qui se chevauchent (…) » (p. 22)

Une seule phrase longue de soixante pages, comme scandée d’un seul souffle, le dernier, pour décrire plus que l’innommable, l’inhumanité : c’est ainsi que Laurent Mauvignier choisit d’exprimer son indignation face à l’extrême violence de ce fait divers, qu’il tire de l’oubli.

Car celui qui ne pourra pas oublier, c’est le frère de la victime, en l’occurrence le narrateur. C’est en quelque sorte pour lui aussi que Laurent Mauvignier écrit cette histoire, pour celui qui reste, pour celui à qui cet homme va manquer, pour celui qui savait son frère vulnérable, sans logis, et qui surtout le connaissait en tant qu’être humain, avec ses espoirs et  ses peines. Pas comme les vigiles qui lui ont dénié sa qualité d’être humain, d’individu, pour ne plus voir en lui qu’un bouc-émissaire de tous ceux que les temples de la consommation leur demandent de surveiller et d’appréhender, un gars de leur âge, inoffensif, qui prendra pour tous les autres… peut-être parce qu’ils ont failli se retrouver à sa place, s’ils n’avaient pas obtenu ce travail, peut-être pour tout ce qu’il représente… Le narrateur imagine tout, le hasard qui a mené son frère jusqu’au rayon des bières, sa docilité quand il se fait surprendre, sa stupeur quand il s’aperçoit du lieu où ils l’emmènent – la réserve-, l’incompréhension, la douleur sous les coups… Meurtre avec préméditation ? Qu’est-ce qui peut bien conduire ces quatre jeunes hommes à vouloir la mort d’un inconnu ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Que la vie de cet homme démuni vaut moins à leurs yeux qu’une canette volée ? Qu’on ne pourra leur en vouloir de l’avoir éliminé, puisqu’il ne sert à rien, puisqu’il n’est qu’un déchet de la société dont ils peuvent se débarrasser ? Chaque jour, dans la rue, dans le métro, des hommes, des femmes, des enfants mendient dans l’indifférence générale. Chaque soir des passants enjambent, pour aller se divertir au théâtre, un homme assoupi sous ses cartons, qui peut-être demain sera mort de froid. Nul besoin d’assassiner un homme dans la misère pour comprendre que c’est tous les jours que l’exclusion sociale fait peser la vie d’un homme moins chère. Elle se fait en silence, comme les coups qui ont plu sur cet homme, mais pas sans témoins. C’est à nous qui passons chaque jour devant eux, c’est à Laurent Mauvignier de crier, de se révolter. Nul besoin d’aller courir au Burkina Faso se donner bonne conscience quand au coin de la rue, un homme meurt de faim et de froid, pour qui personne ne fait rien…

Un puissant cri de colère, un texte coup de poing, à lire absolument.

Son site personnel : http://www.laurent-mauvignier.net/bibliographie/ce-que-j-appelle-oubli.html

Ce que j’appelle oubli / Laurent Mauvignier. – [Paris] : les Éd. de Minuit, 2011. – 61 p. ; 19 cm. –  EAN 9782707321534 : 7 €.

 


Kyoko de Ryû Murakami

28.12
2005

cop. Picquier

Kyoko, c’est une jeune japonaise de 21 ans qui débarque à New York à la recherche de José qui, il y a 12 ans, lui a appris à danser puis est reparti en lui laissant cette adresse lointaine. Dès lors, elle n’aura de cesse de le retrouver, croisant sur son passage les parias de la société, noirs, immigrés et homosexuels, qui tomberont sous son charme lumineux. Quand elle le retrouvera au dernier stade du sida, elle décidera naturellement de réaliser son dernier rêve : parcourir des milliers de kilomètres vers le sud, dans une Amérique profonde intolérante, à bord d’un bus rouge, pour rejoindre une mère qui ignore et son homosexualité et son état.

Un très beau roman redonnant vie et espoir à tous ceux que le personnage rencontre, qui croient, comme nous lecteurs, la société à jamais gangrénée par l’individualisme et l’intolérance. Un personnage créé comme une bouffée d’oxygène, que d’aucuns pourraient qualifier de trop beau pour être réel.

Farrago de Yann Apperry

21.09
2005

Copyright Grasset

Homer Idlewilde, c’est tout un poème. Cet espèce d’Huckleberry Finn est le vagabond sédentaire de la petite ville de Farrago du fin fond de l’Amérique : il dort dans le tambour de la fonderie de son ami Elijah, évite le shérif, refuse de se laisser corrompre par le Révérend Poach, qui lui ne veut surtout pas le voir assister à sa messe, reste tétanisé à la vue des seins d’Ophélia au bordel, va boire un whisky à la décharge, chez son copain Duke, qui dit avoir vu un jour la lumière. Homer, sa lumière, il la voit lorsqu’il va consulter Fausto l’épicier, « le sage » du village, une première fois en l’entendant énoncer la phrase la plus belle qu’il ait jamais entendue : « La droite est le chemin le plus court entre deux points. » ; la seconde fois, après avoir écouté le drame de l’épicier, et avoir formulé un vœu, pressé par Fausto, en voyant passer une étoile filante : lui aussi veut vivre une histoire qui fasse de sa vie un destin…

On s’immerge avec délice dans cette atmophère d’Amérique profonde aux personnages pittoresques à la simplicité désarmante, aux histoires pleines de rebondissements et on ne peut plus invraisemblables. On sourit, on rit de ce conte du vilain petit canard, on pousse un ouf de soulagement pour son happy end après avoir cru que Cendrillon était définitivement partie à Hollywood à bord de la superbe limoursine du grand méchant loup. Bref, c’est un régal de suivre la transfiguration épique de ce héros à travers sa vision naïve et ahurie, mais pourtant si lucide de la vie. Ne passez donc surtout pas à côté de ce roman de Yann Apperry, un jeune auteur qui, s’étant vu récompenser par le Prix Médicis en 2000 pour « Diabolus in musica », avait fui le cirque médiatique en se réfugiant comme barman à Honolulu !

Prix Goncourt des lycéens 2003 (12 novembre 2003)

APPERRY, Yann. – Farrago. – Paris : Bernard Grasset, 2003. – 460 p. ; 23 cm.. – ISBN 2-246-61481-3 : 20 €.