Au dernier salon du livre, lors de la matinée professionnelle, un entretien était proposé sur le métier d’éditeur indépendant. Thierry Boizet (qui tenait avec sa compagne une librairie de livres anciens où ils s’ennuyaient avant de devenir éditeurs depuis 2002 avec Finitude), Benoit Virot (Attila) et Frantz Olivié (Anacharsis) témoignaient de la réalité de ce métier-passion :
Le rapport à l’objet-livre est-il encore vrai ?
Oui, cela va de soi. Il faut de la créativité pour faire exister un livre. Cela suppose de savoir ce qu’est une bibliothèque personnelle aujourd’hui.
Cela ressemble à quoi, la journée d’un éditeur ?
Cela consiste en de la recherche de textes, d’illustrateurs, de représentants, de la fouille en bibliothèque, des corrections, des contacts avec les libraires, l’imprimeur, l’organisation de signatures. On manque de temps. Pour fonctionner idéalement, une maison d’édition doit sortir 2 à 3 textes par an pour pouvoir bien les suivre de la conception à la dédicace.
Pour faire partie du paysage éditorial, il faut bien 10 ans, et quelques petits succès.
Quel est l’un des dangers pour ne pas durer ?
Vouloir devenir éditeur pour gagner de l’argent. Les questions d’argent sont d’une importance capitale. On est une petite quinzaine de petits éditeurs et on commence à avoir un poids. Quand Finitude a le prix Flore, cela signifie que Gallimard en a un de moins. Le problème, c’est quand un écrivain devient connu, alors qu’il avait été refusé dans les grandes maisons d’édition : on essaie de faire en sorte qu’il soit médiatisé, que ses autres livres soient vendus.
Est-ce que c’est ça qui fait durer une maison d’édition ?
Oui, qu’un auteur soit une sorte de locomotive.
L’avenir du numérique, ça vous concerne ?
Qu’on le veuille ou non, ça nous concerne. Le numérique a un lien avec les éditeurs indépendants qui ont du mal à exister avec les loyers en ville. Les enjeux sont à la fois sociaux, financiers et culturels. Mais ce n’est pas au centre de nos préoccupations. On aura bien le temps de prendre la locomotive en marche.
Quel est votre tirage ?
Pour une petite maison d’édition, les premiers romans en France, en moyenne, c’est 1200 exemplaires vendus. Mon tout premier livre (Attila) a été imprimé à 1000 exemplaires, puis réimprimé.
Anacharsis : On est sur des moyennes de 1200-1500. On a un diffuseur, les Belles Lettres. N’importe quelle maison d’édition peut tourner les deux premières années en auto-diffusion. Le diffuseur est celui qui est en contact avec les libraires.
La meilleure vente, ça tourne autour de 5000 exemplaires.
Y a-t-il des aides pour les maisons d’édition ?
Il existe des aides régionales. Il y a les Centres régionaux du livre qui proposent des orientations en direction des écrivains, des éditeurs et des libraires. Il y a une volonté politique marquée dans certaines régions (Lyon, Aquitaine). Il y a des salons littéraires qui se créent en province.
Qu’est-ce qui manquerait dans le paysage éditorial ?
L’enthousiasme, l’envie. Mais nous ne sommes pas inquiets.
Comment détermine-t-on le prix du livre ?
On est des amoureux du beau papier et donc le bât blesse car le prix de revient est double par rapport aux autres éditions, alors qu’il faut s’aligner sur les autres prix. Normalement c’est le prix de fabrication multiplié par trois ou quatre, et finalement, ce n’est pas possible car le prix moyen d’un livre est de 15 €. Donc notre marge par rapport à une grande maison est divisée par deux : on en vend moins et on a une marge moins grande.
Pourtant de jeunes maisons d’édition se créent constamment.
C’est beaucoup plus facile qu’avant. Il suffit de 2000 €, d’un PC et d’une chambre. C’est facile de créer mais difficile de perdurer car le marché est saturé.
Une pleine page dans Télérama, ça aide.
Le contexte est crispé. On est en pleine agressivité médiatique et commerciale car être visible, c’est rendre les autres invisibles. L’écart se creuse entre les grosses ventes et les petites. 80% du C.A. se fait sur 20% des titres. Il n’existe pas d’association formelle d’éditeurs indépendants, mais on se connait, on se croise.
Le rôle du libraire est important aussi.
C’est lui qui met en avant ou pas les livres. Il y a un rapport de connivence. La relève des libraires constitue une vraie question. Il faudrait mettre en place des politiques de la ville. Après il y a le rapport entre un libraire et un éditeur. La librairie peut être la vitrine de ce que l’on fait, physiquement.
Comment les trouve-t-on, ces écrivains ? Vous recevez des manuscrits ou vous allez à leur rencontre ?
Ca dépend. On reçoit entre 1000 et 1200 manuscrits et on en a publié quatre en 10 ans… Nous, on fait plutôt dans les auteurs morts depuis longtemps. Mais oui, en règle général, on les trouve pas par la Poste. L’impératif pour les maisons d’édition, c’est de faire une marge bénéficiaire, donc il faut qu’on se dise que ça va marcher. Pour nous, souvent, on sait que cela ne marchera pas.
On arrive à se faire un salaire ?
Oui, on dégage un salaire, mais c’est un SMIC pendant 10 ans quand tout va bien.
Que pensez-vous d’Amazon ?
Le distributeur met à disposition les livres sur Amazon, qui est le premier en termes de clients. Sans Amazon, on aurait du mal à survivre. Ce n’est pas une librairie physique. Amazon prend 50% de marge, c’est-à-dire 15% de plus qu’un libraire (qui tourne entre 35-38%). Si je veux boycotter Amazon, c’est mon premier client que je perdrais.
Et de l’Autre Livre ?
C’est une association qui s’est dévolue à la promotion des petits éditeurs, d’où un salon en novembre chaque année.
Où trouve-t-on vos maisons d’édition dans le salon ?
Dans les régions respectives.
Que diriez-vous aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le métier ?
Qu’être éditeur, c’est avoir envie de découvrir des auteurs et de faire partager cette découverte. Que c’est un métier de passion, de conviction.