Mots-clefs ‘deuxième guerre mondiale’

Le boxeur de Reinhard Kleist

09.01
2013

cop. Casterman/R. Kleist

Le mercredi, c’est bande dessinée

Sortie aujourd’hui, mercredi 9 janvier 2013

Miami, septembre 1963. Harry Haft, ancien boxeur d’origine polonaise, contraint son fils à l’accompagner chez quelqu’un. Sur le trajet, il est obligé de s’arrêter, fondant en larmes : « Un jour, je te raconterai tout. » lui répète-t-il. Le terrible passé de ce père colérique, le lecteur va le découvrir avant leur arrivée, chapitre deux :

Il ne fait plus bon vivre en Pologne quand on est Juif à partir de septembre 1939. Hertzko Haft, alors âgé de 14 ans, va vite devoir quitter l’école et, sous les coups de ses frères, faire de la contrebande pour pouvoir manger dans le ghetto. Alors qu’amoureux, il est sur le point de se fiancer avec Leah, il sauve son frère Aria et est envoyé en camp de travail à sa place. Là, pour survivre, il trouve la protection d’un de ses geôliers qui le forme à la boxe pour les divertir…

Troisième biographie de Reinhard Kleist, Le Boxeur retrace l’effroyable destin de Hertzko Haft, au moyen d’un dessin à l’encre de Chine. Elle aborde le thème du sport de combat dans les camps, au-delà de celui de l’horreur des camps. Très dure dès les premières pages, elle annonce d’emblée la couleur : si son père s’emporte si facilement contre ses enfants, explique sa mère au jeune garçon, c’est à cause de son passé. Et, en effet, Reinhard Kleist durcit et la carapace et les traits de son héros au fil des pages, lequel a la chance de survivre grâce à sa pugnacité, mais jouera de malchance tout au long de sa vie, illuminée par le seul espoir de retrouver un jour Leah.

Une BD extrêmement poignante.

 

 

 

KLEIST, Reinhard. – Le boxeur / trad. de l’allemand par Carline Dolmazon et Paul Derouet. – Casterman, 2013. – 197 p. : ill. n.b. et en coul. ; 25 cm. – (Ecritures). – EAN13 9782203063037 : 16 €.

 

Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB

02.01
2013

cop. Casterman/Tardi

René Tardi, à vingt ans, s’engage dans l’armée quand la seconde guerre mondiale devient imminente. Pilote de char, il est très vite capturé par les Allemands. Loin du fantasme de La grande évasion et de la convention de Genève, à quelques centaines de kilomètres du cauchemar d’une extermination systématique, le quotidien de ces prisonniers de guerre durant ces cinq années se résume à deux obsessions : manger et souffrir le moins possible…

Dans ce premier tome se déroulant pendant la seconde guerre mondiale, s’inspirant des souvenirs que son père a retranscrit à sa demande dans trois cahiers d’écolier, Jacques Tardi relate la débâche fulgurante des soldats français devant l’envahisseur allemand mieux préparé, puis le sort méconnu des simples prisonniers de guerre dans les Stalags. On reconnait sans peine son coup de crayon en dégradé de noir et de gris, rehaussé dans les deux premières pages, par un rouge sanglant apposé par sa fille, Rachel, tandis qu’il plante des décors réalistes, minutieusement reproduits d’après les recherches documentaires de son fils. Il a eu l’idée originale de se représenter enfant en culotte courte, un rien insolent, aux côtés de son père, mettant son grain de sel dans ce qu’il raconte, reproduisant ainsi fidèlement le type d’échanges qu’il pouvait avoir avec lui de son vivant. Un album très personnel, et  d’autant plus instructif qu’il m’interroge sur ces années de captivité que mon grand-père a toujours passées sous silence.

cop. Casterman/Tardi

TARDI, Jacques. - Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB : tome 1. – Casterman, 2012. – 188 p. : 24x32x3 cm. - (Univers d’auteurs). - EAN13 9782203048980 : 25 €.

Triangle rose

15.02
2012

Le mercredi, c’est bande dessinée…

cop. Quadrants

Scénario de Michel Dufranne

Dessin de Milorad Vicanovic – Maza

Couleurs de Milorad Vicanovic – Maza et de Christian Lerolle

Le triangle rose, vous en avez déjà entendu parler ? Et le paragraphe 175 qu’on pouvait encore lire jusqu’en 1988 dans le code pénal allemand ? Peut-être pas, ou très peu.

cop. Quadrants p61

C’est justement pour révéler ce pan méconnu de l’Histoire, mais aussi pourquoi aujourd’hui encore il reste tu, que Michel Dufranne imagine l’histoire d’Andreas, le grand-père d’un lycéen, lequel vient l’interroger avec ses amis sur son passé d’ancien détenu des camps. Ce sont des souvenirs douloureux qui ressurgissent alors à sa mémoire, un passé que sa femme et lui ont toujours gardé pour eux. Car Andreas, dans le Berlin des années 30, était homosexuel. Dessinateur de publicité et professeur de dessin, il vivait en toute insouciance avec ses amis et sa mère, n’hésitant pas à avoir une liaison avec Hans, un jeune apollon sous l’uniforme nazi. Mais l’accession des Nazis au pouvoir provoque un durcissement de la répression. Ignorant les mises en garde de Dieter, son ex-petit ami qui préfère l’exil, Andreas fait le choix de rester. Hélas, le paragraphe 175 condamne l’homosexualité masculine : en refusant de se reproduire, ces hommes deviendraient inutiles, des nuisibles qui entraveraient l’expansion de la race aryenne. Or son subterfuge de s’afficher en compagnie d’Angela, qui est lesbienne, échoue. Dénoncé par sa concierge, Andreas fait l’expérience de la prison puis du camp de concentration…

 

A partir d’un fait historique, Michel Dufranne a imaginé cette histoire bouleversante d’un homme sensible et discret, qui, à partir du régime nazi, va devoir toute sa vie renier ce qu’il est fondamentalement, pour pouvoir vivre paisiblement : car l’homosexualité, si elle a été violemment stigmatisée durant le nazisme, au point de coûter la vie à bon nombre de détenus, continue bon an mal an à être difficilement acceptée dans notre société. Le changement des mentalités est lent et difficile, même s’il est rarement question de haine de nos jours, mais plutôt d’incompréhension. Difficile donc, et le scénariste le montre très bien dans la scène qui oppose le vieillard aux adolescents, de révéler au grand jour ce qu’on a dû taire toute sa vie, d’autant plus si la question de la filiation se pose. Tandis que la couleur du présent ouvre et ferme cet épisode sombre de la vie d’Andréas, ce dernier se traduit par un dessin en lavis impressionnant, montrant la métamorphose physique du personnage et celle, morale, de la société qui l’entoure.

Un coup de coeur pour cette bande dessinée didactique, qui révèle de manière particulièrement poignante la persécution dont les homosexuels ont fait l’objet durant le nazisme.

Beaucoup aimé

DUFRANNE, Michel, VICANOVIC, Milorad, LEROLLE, Christian. - Triangle rose. - Editions Quadrants, 2011. – 143 p. : ill. en coul. et lavis ; 24 cm. – EAN13 9782302017238 : 17 €.

Les enfants de l’envie ** de Gabrielle Piquet (2010)

03.10
2010

Basile est obsédé par les Etats-Unis et New-York, à tel point qu’il ne peint que cela, alors qu’il n’y a jamais mis les pieds. Sa mère, elle, s’adonne toute entière au piano. Depuis longtemps, ils se reprochent mutuellement leur obsession. Celle-ci n’est pas le fruit du hasard, elle s’explique par l’absence du père américain, Henry, soldat à la base américaine implantée près de la ville à la libération, que n’a jamais connu Basile, qui, après avoir fait les Beaux-Arts à Paris, est rentré à Laon, sans y trouver l’âme soeur. Le maire décide alors pour la Thanksgiving d’inviter à Laon les anciens vétérans américains…

Cette histoire de quête des origines permet également de rappeler l’importance que les Américains ont eu après des Français dans l’immédiat après-guerre. Entre symbole de réussite et réalité, le récit va faire le tri, pour révéler des drames familiaux. Le trait fin et délicat, tout en rondeur et douceur, où seuls le père et le fils prennent un peu plus de consistance dans ce dessin en noir et blanc, sert un roman graphique à l’histoire subtile et émouvante.

Casterman écritures, 2010. – 198 p. : ill. n.b. ; 24 cm. – ISBN 978-2-203-02217-1 : 14,95 euros.

Seul dans Berlin ** à *** de Hans Fallada (1947)

01.09
2010

Jeder stirbt für sich allein (1965)

« - Quel effet penses-tu que feront nos cartes ? demande Anna.

-    Tous commenceront par éprouver un choc en les voyant et en lisant les premiers mots. Car aujourd’hui tout le monde a peur.

- Oui, dit-elle. Tous.

« Presque tous ont peur, pense-t-elle… Nous, non. »

« - Ceux qui les trouveront, répète-t-il après y avoir réfléchi cent fois, auront peur d’être observés dans l’escalier. Ils dissimuleront vite les cartes et s’éloigneront rapidement… Ou bien, ils les déposeront de nouveau, et le suivant viendra.

- Ce sera comme ça », dit Anna.

Et elle se représente la cage d’escalier : une cage d’escalier mal éclairée, comme elles sont toutes à Berlin. Tous ceux qui liront ces cartes auront soudain l’impression d’être des criminels. Tous donneront raison à l’auteur ; mais on n’a pas le droit de penser ainsi, puisque la mort plane sur ceux qui ont de telles pensées. » (p. 165)

1940. Anna et Otto Quangel apprennent par courrier la mort de leur fils au front, alors que la France vient de capituler. Furieuse contre ce pays qui lui a arraché son fils unique, elle le reproche alors à son mari, resté comme indifférent « Toi et ton Führer ! ». L’insulte fait mouche plus qu’elle ne le croit. Un lent réveil secoue ce dernier, contremaître avare de ses mots et de ses marks, qui décide de réagir face à cette dictature qui terrorise tous ses concitoyens…

Achevé en 1947, l’année de la mort de son auteur, de son vrai nom Rudolf Ditzen, ce roman devra attendre 1965 pour être publié, sous le titre « Jeder stirbt für sich allein », converti en France deux ans après en un « Seul dans Berlin », beaucoup moins fort et universel. C’est en effet un véritable brûlot contre la corruption  et la délation allemandes sous le IIIe Reich, contre la violence profondément inhumaine perpétuée par la Gestapo, contre les méthodes des asiles et hôpitaux, contre une Justice haineuse à la solde du parti. Certes, il ne faisait pas bon vivre non plus quand on était allemand sous Hitler. Mais là ne réside pas seulement l’intérêt de ce roman, au style, il est vrai, plutôt quelconque, mais surtout dans son message d’espoir et d’incitation à la résistance. Primo Levi en parlait d’ailleurs comme étant « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie ». Car on parle peu de ces gens qui, étant parvenus à éviter les camps de concentration à cause de leur couleur politique, ont choisi de devenir des opposants de l’ombre, au sein d’une population effrayée ou endoctrinée. Se mentir à soi-même, taire son sentiment d’équité, pour survivre en obéissant à des lois injustes et haineuses, ou réagir en son âme et conscience, même seul face à des milliers, pour mourir sans un remords, sans honte de ce que l’on a été, de ce que l’on a fait ? Tel est le dilemme auquel se trouvèrent confrontés de nombreux peuples, et peut-être cet exemple aura-t-il encore besoin d’être relu car l’Histoire fonctionne hélas parfois par cycles, et il n’est meilleur terreau pour attiser la haine des minorités que l’indigence, et il n’est meilleure voie pour instaurer une dictature que la remise en cause de la liberté d’expression avec, pour commencer, le contrôle des médias.

« Il ne suffit pas de vouloir sauver quelqu’un, encore faut-il que ce quelqu’un vous aide. » (p. 148)

FALLADA, Hans. – Seul dans Berlin / trad. De l’all. Par A. Virelle et A. Vandevoorde. – Denoël, 2009. – 558 p.. – (Folio ; 3977). – ISBN 978-2-07-031296-2 : 8,20 euros.

Acheté fin juin 2010 à la librairie « Les Temps modernes » d’Orléans.

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La mort n’oublie personne de Didier Daeninckx (1989)

29.07
2010

Isolé dans un pensionnat pour apprentis, Lucien Ricouart est retrouvé noyé dans un bassin près duquel Marc Blingel, l’un des élèves parti à sa recherche avec un professeur, lit l’inscription tracée dans la terre « Mon père n’est pas un assassin ». Vingt-quatre ans après, Marc, devenu historien, interviewe Jean Ricouart, son père, sur son parcours de résistant…


Les histoires de Didier Daeninckx sont toujours d’autant plus révoltantes qu’elles s’inspirent de faits réels et dénoncent des pans de l’histoire que beaucoup préfèrent laisser dans l’ombre. Dénonciations de collaborateurs envieux, tortures, déportations, parodie de justice, suicide suite à des insultes calomnieuses injustifiées, tout concourt en effet à créer autant de monstres qu’il y a d’êtres humains capables de malfaisance. Miliciens, soldats, voisins, juges, tous, même des enfants, sont capables du pire.

La dénonciation des discriminations et des injustices est bien le fer de lance de l’inspiration de Didier Daeninckx. Et on ne peut qu’y applaudir. Nonobstant il y a comme une petite ambiguïté gênante dans ce choix de n’écrire que sur ce que l’humanité a pu faire de pire, de plus scandaleux, puisqu’on ne peut que réussir à émouvoir au plus haut point le lecteur avec un matériau aussi épouvantable que la torture, la calomnie ou la déportation.

DAENINCKX, Didier. – La mort n’oublie personne. – Denoël, 2009. – 189 p.. – (Folio policier ; 60). – ISBN 978-2-07-040807-8.
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186 marches vers les nuages de Joseph Bialot (2009)

25.03
2009

copyright Métailié

Sorti de onze années d’internement dans un camp nazi, Bert Waldeck n’en a pas pour autant fini avec cette guerre. A Berlin, où ne l’attendent plus sa mère et sa femme, déportées, il est « recruté » par un officier américain pour l’aider à retrouver un certain Hans Steiner, recherché comme criminel de guerre…

A travers cette histoire d’espionnage c’est un Berlin trouble d’après-guerre, dévasté, que nous dépeint l’auteur, où personne n’est vraiment ce qu’il semble être, mais surtout un témoignage bouleversant des horreurs commises à partir du pogrom de la nuit de Cristal.

« Je n’existe plus. Bert Waldeck n’est plus un individu mais une parcelle de cette gigantesque terreur qui ravage les hommes. Ce n’est pas ma peau qui tremble en solo mais tout mon squelette, mes muscles, mes nerfs. Les squelettes, les muscles et les nerfs de mes compagnons ne forment plus que ce silence de deuil hurlé sans musique. » (p. 14)

BIALOT, Joseph. – 186 marches vers les nuages. – Métailié, 2009. – 171 p.. – ISBN 978-2-86424-685-5 : 15 €.

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