Fabienne et Roland arrivent à Palavas pour une semaine de vacances d’été. Roland a tout réglé, tout réservé, tout planifié dans son carnet, tout sauf le fait d’être décapité par un auvent quelques minutes à peine après être arrivé. Fabienne, choquée, répond alors sur le portable de Roland qui sonne que tout va bien, et qu’ils sont bien arrivés…
Trondheim nous régale ici d’un scénario en demi-teinte, douce amère : le déni d’une mort absurde et le vide qu’elle laisse sur l’horizon d’une autre vie qui doit se reconstruire, et la chaleur d’une amitié pourtant éphémère avec un type que Fabienne n’aurait probablement jamais fréquenté auparavant. A ce scénario touchant aux planches souvent muettes, comme une focalisation interne de Fabienne par rapport à ce qui l’entoure, et qu’elle observe, en retrait, détachée de toute cette vie qui continue sans lui, sans eux, s’ajoute la qualité d’un dessin savoureux, au grain sépia. Une excellente BD.
Plutôt que de la placer en famille d’accueil, c’est le poissonnier, qui se révèle être un vieil ami de son père, qui prend Momo sous son aile, en attendant le retour de son père. Mais Momo fugue : elle a besoin de revoir la maison vide de sa grand-mère, et surtout son père. Françoise et « banane » vont la rattraper et l’accompagner…
La suite du premier tome continue à ressembler à une petite bulle de tendresse salée sucrée, avec cette petite boule de nerfs, qui réagit plutôt bien au deuil de sa grand-mère.
Cécile, mère célibataire, regarde un message vidéo laissé par son fils Benoît, parti faire le Djihad en Syrie auprès de ses « frères » de l’État Islamique. Elle tente de comprendre pourquoi lui, qui n’était même pas croyant, a pu se radicaliser à ce point, et espère, lors de leur prochain appel, pouvoir le récupérer.
La pertinence du récit commence par la polysémie de son titre, l’appel, celui qu’attend cette mère de son fils, celui avec qui tout commence, celui enfin avec qui tout se termine avec la radicalisation de sa foi en une autre cause. Le seul petit bémol que l’on pourrait faire à cette bande dessinée, c’est que le recours aux réseaux sociaux et aux témoignages contraignent les auteurs à favoriser le texte par rapport à l’image. Laurent Galandon ne tombe en effet dans aucun des pièges : de bout en bout, son histoire ne verse dans aucun cliché ni aucun préjugé, ni par le choix de son protagoniste (blanc et athée), ni par les raisons de sa radicalisation (forts sentiments d’amitié et d’injustice), ni par son issue. Il soulève justement les bonnes questions, à savoir les inégalités sociales et la violence des rapports entre les jeunes et la police. Néanmoins le choix du noir et blanc, parfois sépia, renforce la sobriété et la pudeur du propos : pas d’esclandre ici, pas de violence montrée, tout est (presque) suggéré.
Une excellente BD sur ce triste sujet d’actualité qui tourne déjà dans tous les C.D.I. de lycées de France, et qui constitue un excellent point de départ pour entamer un débat avec les adolescents.
Samuel ce soir n’est pas rentré dans leur appartement de Bordeaux. Sibylle passe la nuit à l’attendre. Et puis, un coup de fil. Samuel s’est laissé entraîner par ses mauvaises fréquentations à une fête, qui s’est mal finie. Les écouteurs sur les oreilles, Samuel reste dans sa bulle, ignore sa mère qui, des semaines durant, prépare un voyage de plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, pour l’empêcher de sombrer dans la haine et la délinquance. Mais c’est aussi son histoire à elle qui la rattrape, elle qui a eu un jour son destin brisé…
« Ce matin, Samuel ne parle pas de comment il a été agacé par les deux hommes la veille au soir, comment il a été surtout irrité par son comportement à elle, comment il n’a pas aimé voir sa mère en train de jouer le jeu de la séduction. » (p. 110)
Après avoir été enthousiasmée par Des hommes en 2009, Ce que j’appelle oubliet Loin d’eux, Autour du monde m’avait déçue, à tel point que je n’avais pas poursuivi ma lecture, mon temps étant désormais précieux. Si, ici, je me suis laissée davantage porter par le récit, je ne retrouve pourtant toujours pas la plume qui m’avait séduite. Continuer, oui, à écrire aussi pour Laurent Mauvignier, et son inspiration cherche un second souffle dans les faits divers et les drames qui ont parfois secoué les espaces publics français. Et pourtant, il y a dans cette relation entre une mère qui continue de vivre malgré ses cauchemars qui reviennent la hanter, et cet adolescent qui refuse le contact, l’échange, la parole, quelque chose de vrai, d’authentique, tout comme ce désir sensuel refoulé de part et d’autre, comme une résurgence de deux chairs qui se sont connues du moins les premiers mois de la vie.
Il y a des jours où ce que l’on fuit vous poursuit : le coeur lourd, les idées noires, j’ai voulu me les changer précisément, ces idées, en savourant d’avance ma projection dans un futur plus ou moins proche orchestrée par Alain Damasio, dont j’avais apprécié La Zone du dehors. Las ! La première nouvelle m’a littéralement heurté de plein fouet là où cela faisait mal, la seconde a continué son ouvrage et la dernière achevé. Jugez-en par vous-même :
Dans Annah à travers la Harpe, un père vient trouver Le Trépasseur dans l’espoir de faire revenir des morts sa fillette de deux ans renversée par une voiture…
Dans So Phare away, Farrago perce la Nappe avec son phare pour communiquer avec Sofia, juchée en haut de son autre phare, à l’autre bout de la Ville. Parfois, tous les six mois, au péril de sa vie, le phartiste parvient à la rejoindre, à l’occasion d’une marée. Un jour, elle veut à tout prix annoncer à Farrago qu’elle est enceinte…
Dans Aucun souvenir assez solide, un père essaie de se souvenir de sa femme et de sa fillette de trois ans pour pouvoir refabriquer un monde avec elles…
Les deux nouvelles qui ouvrent et ferment ce recueil crient l’impossibilité du deuil, la douleur de perdre un être cher, qui plus est ce qu’il y a sûrement de plus attendrissant au monde : une fillette de deux-trois ans (soit l’âge de ma propre fille). Grâce aux souvenirs d’un père en souffrance, ces deux mondes du futur auraient le pouvoir de faire revenir d’entre les morts sa fille, bien vivante pour le premier, visible dans une réalité numérique pour le second. La plus longue, So phare away, et la plus intéressante, n’en est pas moins intimiste : dans une Ville minérale où deux amants ont choisi la verticalité et la solitude lumineuse des phares, grâce auxquels ils communiquent, la distance qui les sépare, cette horizontalité, cette asphalte tantôt fluide tantôt dure, traversée par un trafic incessant et par des poussées inopinées d’édifices, va finalement déchirer cet amour.
Trois belles nouvelles inventives, mais d’une tristesse !
D’autres n’ont pas paru en souffrir : des lectures plus détaillées et plus élogieuses sur les blogs Fin de partie et Systar.
« La dernière fois qu’on s’est causé, il a carrément dit qu’il ne comprenait pas comment il avait pu mettre au monde un raté et une petite bourgeoise psychorigide ! » (p. 10) :
Pas facile, dans ces conditions, d’accepter d’accompagner dans un tour du monde son père rendu veuf et infirme depuis un accident de voiture… si ce n’est avec la promesse d’être payé en compensation. Mais ce tour du monde, en l’occurrence, s’avère être non seulement un voyage dans le temps, vers un passé où il avait découvert ces pays et rencontré ces gens aux côtés de sa femme…. mais aussi une dernière chance pour renouer des liens avec lui, et mieux le comprendre.
Tant par le dessin que par le scénario, les auteurs ont réussi à tirer de ce thème rabattu des relations conflictuelles entre un père et un fils reposant sur l’absence de dialogue et de connaissance de l’autre, une belle histoire pleine de sensibilité.
Nous ne serons jamais des héros / [dessin de] Salsedo ; [scénario de] Jouvray ; [couleurs de] Salsedo. – le Lombard, 2010 . – 84 p. : ill. en coul., couv. ill. en coul ; 32 cm. – ISBN 978-2-8036-2705-9 : 15,50 EUR.
Avant d’être enthousiasmée par les cinq tomes des aventures de Julius Corentin Acquefacques (de 1991 à 2004), Mémoire morte ** (2000), Les sous-sols du révolu ** (2006) et Dieu en personne ** (2009), j’avais découvert Le Dessin de Marc-Antoine Mathieu en 2001. Je l’ai relu dernièrement, et il n’a rien perdu de son impact, croyez-moi !
En effet, avec cet album, ce n’est plus l’univers kafkaïen ni celui de Jacques Sternberg (qu’il ne connaît d’ailleurs pas) qui auraient pu l’inspirer, mais celui, davantage mystérieux et métaphysique, de Borges. Excusez du peu !
Jugez plutôt : Emile vient de perdre Edouard, son meilleur ami, peintre lui aussi, qui lui laisse une lettre et la clé d’un garde-meubles, plein d’oeuvres d’art, parmi lesquelles il choisit une petite gravure anodine, qui curieusement l’intrigue. A y regarder de plus près, à la loupe puis au microscope, Emile découvre une infinité de détails dans ce dessin qui le persuade que son ami lui a légué une énigme. Il n’a de cesse de reproduire chacun de ces détails, et d’oeuvre en oeuvre, devient célèbre. Mais le mystère reste insoluble…
Marc-Antoine Mathieu excelle là encore dans le noir et blanc, les personnages anguleux, la mise en abîme et l’effet de surprise. Mais cette fois, il met en exergue le face à face silencieux entre le peintre et le mystérieux dessin, à tel point que dans mon souvenir cette bande dessinée était sans aucune bulle. Erreur, mais du coup, l’effet voulu est atteint. Ici, pas de rencontre, pas d’aventure physique : tout est dans l’introspection et le travail de précision du dessin. Le thème qui ressort le plus de ce scénario, plus que ceux du deuil et de l’amitié, c’est celui du processus artistique, du tâtonnement, de la création : une vraie réussite !
Découvrez ici toutes les chroniques de ses BD dans Carnet de SeL.
MATHIEU, Marc-Antoine Mathieu. - Le dessin. – [Paris] : Delcourt , 2001.- 43 p. : ill., couv. ill. en coul. ; 32 cm. - ISBN 2-84055-785-1 : 82 F