Mots-clefs ‘cynisme’

Diogène et les cyniques ou la liberté dans la vie simple

09.02
2015

 

cop. Le passager clandestin

« Platon le voyant laver ses légumes s’approcha de lui et lui dit tranquillement :

- Si tu te mettais au service de Denys, tu ne laverais pas des légumes.

- Et toi, répondit Diogène tout aussi tranquillement, si tu avais su laver des légumes, tu ne serais pas au service de Denys. »

Figure centrale du cynisme antique, Diogène semble être celui qui a le mieux incarné cette pensée, qui l’a appliquée à son existence-même. Etienne Helmer souligne la radicalité des changements et des renoncements qu’implique le fait de devoir se suffire à soi-même pour accéder au bonheur par une vie simple, vertueuse, d’une frugalité extrême et un retour complet à la nature, en deçà de toutes les conventions et coutumes… quitte à créer le scandale en autorisant l’anthropophagie, l’inceste et le parricide, et en abolissant les rites funéraires. Précurseur de la décroissance, Diogène cherche ainsi à réduire au maximum la distance entre l’appétit et son objet, le besoin et sa satisfaction, et donc la dépendance sociale, créée par le travail et le commerce, pour parvenir à une espèce d’autarcie ou d’autosuffisance libératrice.  

« A cette question « Quelle est la chose la plus belle dans l’homme ? » Il répondit : « La liberté de parole ». »

Proche finalement de la pensée épicurienne, Diogène s’en démarque par son comportement volontairement provocateur, propre à éveiller les consciences, qui, de nos jours, semblerait inimaginable.

 

 

HELMER, Etienne.

Diogène et les cyniques ou la liberté dans la vie simple

Le passager clandestin (Les précurseurs de la décroissance ; 2014)

103 p.

EAN13 9782369350194 : 8 €.

 

Le grand écrivain de W. Somerset Maugham

22.09
2013
cop. La Table ronde

cop. La Table ronde

 

Alroy Kear, écrivain devenu connu à force d’ambition et de « réseautage », demande au narrateur, autre écrivain, William Ashenden, de lui raconter ses souvenirs d’un troisième, Edward Driffield, auteur majeur de la littérature victorienne, et de sa première épouse, Rosie Driffield, très « nature », ancienne maîtresse de celui-ci…

« Quand un ami, en votre absence, vous a téléphoné en insistant pour être rappelé, soyez sûr qu’il s’agit d’une affaire plus importante pour lui que pour vous. S’il pense à vous offrir un cadeau ou à vous rendre un service, il sait modérer son impatience. » (incipit)

D’emblée, William Somerset Maugham donne le ton – caustique – à cette comédie littéraire qui débute par le portrait d’un écrivain manipulateur et ambitieux qui a compris que le succès passait avant tout par la flatterie et la réclame caustique. Parallèlement se dessine l’histoire du couple formé par le « Grand » écrivain, au début sans le sou, avec sa première femme, en dehors de toute convenance, qui dissimule un secret. Plus vraie en tout cas que celle édulcorée que s’apprête à retranscrire Alroy Kear. Et plus vraie que ce bureau réaménagé de toutes pièces par la seconde épouse du Grand écrivain pour satisfaire la curiosité de ses fans.

SOMERSET MAUGHAM, William. – Le grand écrivain / trad. de l’ang. par E.-R. Blanchet. – La Table ronde, 2013.- 265 p. ; 18 cm. – (La petite vermillon ; 384). – EAN13 9782710370482.

 

Le vicomte pourfendu d’Italo Calvino

04.11
2009

cop. Biblio romans

Titre original : Il visconte dimezzato (1952)
traduit en France en 1955

Parti à la guerre contre les Turcs, le vicomte  Médard de Terralba se retrouve coupé en deux par un coup de canon. Guérie, sa moitié droite rentre au château et fait régner la terreur dans le village, n’ayant conservé que ses sentiments les plus cruels et mutilant faune et flore en deux. Mais voilà que revient également son autre moitié, faisant l’apologie du bien, bien trop altruiste au goût des habitants. Qu’est-ce qui peut donc sauver la population de ces deux moitiés, l’une et l’autre se révélant inhumaines car moralement situées aux extrêmes ? L’amour peut-être…

« (…) Ce n’est pas moi seul, Paméla, qui suis écartelé et pourfendu, mais toi aussi, nous tous. Et maintenant je sens une fraternité qu’avant, lorsque j’étais entier, je ne connaissais pas. Une fraternité qui me lie à toutes les mutilations, toutes les carences du monde. Si tu viens avec moi, Paméla, tu apprendras à souffrir des maux de tous et à soigner les tiens en soignant les leurs.
- C’est très bien, dit Paméla, mais moi je suis dans un beau guêpier avec votre autre morceau qui est amoureux de moi et dont on ne sait ce qu’il veut me faire
. » (p. 89)

Il ne fallut pas plus de trois mois à Italo Calvino pour écrire ce conte philosophique durant l’été 1951. Premier volume d’une trilogie dite « trilogie héraldique », il sera publié l’année suivante ; lui succéderont Le Baron perché (1957) et Le Chevalier inexistant (1959). Le narrateur n’est autre que le jeune neveu du vicomte avec qui il a partagé la même nourrice, Sébastienne.

Avec beaucoup d’humour, il nous raconte comment sur les hauteurs du village les Huguenots vivent repliés sur eux-mêmes, ayant perdu et oublié dans leur exil textes sacrés et croyances, mais ne voulant pas côtoyer les autres de peur qu’on cherche à les endoctriner en leur faisant croire qu’il s’agit de leur religion. Ceux-ci haïront la moitié malfaisante du vicomte tout comme ils repousseront  sa moitié bienfaisante lorsqu’elle leur demandera de ne plus chercher à tirer profit de leur récolte.
De même, le narrateur dépeint un tableau licencieux du village des lépreux, plus heureux semble-t-il que leurs donateurs placés sous la dépendance du château.
A chaque page sourd ainsi le cynisme, prenant pour cible les médecins, les parents intéressés, les groupes religieux,…
A travers cette fable sur ces deux moitiés  d’homme représentant l’un le  Mal et l’autre le Bien, l’auteur démontre qu’aucun des extrêmes n’est humain, et, comme le reproche sa nourrice Sébastienne à la moitié gauche, la bonne, croyant faire le bien, se trouve à faire le mal aussi. Ne reste donc qu’à accepter la dualité de nos pulsions et à les tempérer.

CALVINO, Italo. – Le Vicomte pourfendu /trad. de l’italien par Juliette Bertrand. – Paris : Librairie Générale Française, 2009. – 122 p.. – (Le livre de poche. Biblio roman ; 3004). – ISBN 978-2-253-02985-4 : 3,50 €.

Les morsures de l’amour ** à *** de Michel Monnereau (2009)

21.01
2009

Marre d’aller travailler chaque matin pour payer ses factures, marre de sa femme… Fuir, partir ? Non, Benjamin a une meilleure idée : il va se transformer tout bonnement… en chien ! Mais la vie de chien est-elle si facile ? C’est ce que l’on va découvrir avec lui, d’abord reparti habiter à l’essai chez ses parents dans leur pavillon banlieusard, puis devenu chien errant recherché pour morsures à la tendre cheville de toutes les jolies brunes trouvées sur son chemin lui rappelant Jacqueline, contre qui il doit bien avoir une dent. Après un passage à la fourrière et à la SPA, il croira son bonheur trouvé aux côtés de son pote routier lors de ses virées à travers la France avant d’être abandonné sur une station d’autoroute, comme un chien…

Après Carnet de déroute * et On s’embrasse pas ?***, voici le troisième roman écrit par ce publicitaire à l’ironie mordante. C’est bien le moins que l’on puisse dire de lui avec cette nouvelle histoire de vie de chien à la fois tendre et légère, pleine d’humour et de réflexions douces-amères. Tout y est imaginé dans les moindres détails, avec ce style qu’on lui connait si bien, aux phrases incisives et savoureuses, pleine d’une intelligence fine des gens et des choses. On dévore ce petit roman d’une traite, hésitant entre sourire et moquerie à toutes ses trouvailles ingénieuses et ses anecdotes croustillantes. A croquer ce mois-ci, pour passer un bon moment.
ici.
MONNEREAU, Michel. – Les morsures de l’amour. – La Table Ronde, 2009. – 231 p.. – ISBN 978-2-7103-3102-5 : 19,50 €.

Carnets de déroute * de Michel Monnereau (2008)

20.06
2008

Cadre quinquagénaire licencié d’une boîte de pub, quitté peu après par sa femme Françoise qui renaît à une seconde vie avec un autre, Michel a bien tenté durant ces 7 années de survivre sans elle et d’envoyer des lettres de motivation originales suivies de quelques rares entretiens, mais, abandonnant tout espoir, il finit par se couper du monde extérieur.

Autant la presse avait boudé On s’embrasse pas ?***, paru l’an dernier, autant elle avait salué ce premier roman de Michel Monnereau, acheté à l’occasion de notre rencontre au dernier Salon du Livre. Voilà encore une saute d’humeur que je ne m’explique pas, car Carnets de déroute n’est que le brouillon du second, l’un et l’autre animés du même humour corrosif et de la même langue venimeuse. Mais Carnets de déroute n’a pas d’intrigue, ou si peu. Ce qui est normal, vu le sujet, certes. Journal d’un quinquagénaire, se retrouvant sans occupation et sans personne pour meubler son existence, rien ne s’y passe, ou presque : une tentative de coexistence avec un sans-abri puis avec une chienne, baptisée Françoise pour se venger, se soldant par un échec, la rencontre invraisemblable avec une baronne, qui l’oublie aussitôt, quelques entretiens où il se prend à espérer… inutilement. Le monde est féroce et broie ses déchets. Pour Michel Monnereau, c’est un terreau sur lequel il fait pousser un chant vain et désespéré.

Du même auteur :

- On s’embrasse pas ? (2007)

- Les morsures de l’amour (2009)

Nous l’avons rencontré : vous pouvez lire son interview ici.

MONNEREAU, Michel. – Carnets de déroute. – La Table Ronde, 2008. – 199 p.. – ISBN : 2-7103-2809-7 : 16 €.

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On s’embrasse pas ? *** de Michel Monnereau (2007)

02.10
2007

« Bernard, la quarantaine sonnée, la clope au bec et la bière facile, est pris d’une envie soudaine de rentrer au pays, charentais, revoir ses vieux et sa sœur qu’il a quittés voici quinze ans pour fuir ses 37 ans 1/2 de vie laborieuse à venir, un village étouffant et un amour déçu, pour courir le monde et vivre comme il l’entend, drapé dans la certitude de l’inutilité de toute acquisition, de tout entassement, de toute construction, de toute procréation » (p. 93)

Comme on le comprend cet homme désenchanté, même si parfois il peut nous être antipathique ! L’ironie est mordante, l’humour incisif, les phrases ramassées pour être plus corrosives, les portraits de ces anciens visages, qui n’ont guère évolué ou si peu, bien croqués. Pourtant, l’émotion sourd de ces rencontres manquées, du choc entre ces personnalités que rien ne prédispose à se comprendre, entre ces gens qui poursuivent leur vie tranquille et sans surprise et ce quadra cynique. Le passif est trop lourd pour pouvoir recommencer :

« Je ne parvins pas à dire maman. Trop simple et trop compliqué. Trop différent de ce que nous avions été l’un pour l’autre. » (p. 38)

 » – Vous ne m’avez jamais aimé.

Son regard heurta le mien, à l’instant même où m’apparaissait toute l’impudeur de ma réflexion. J’avais eu besoin de quinze ans d’éloignement pour prononcer cette phrase.


- Si, à notre manière, qui en valait bien une autre. Il n’y a jamais eu de grandes manifestations de tendresse dans la famille, si c’est ça que tu nous reproches. On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas reçu. » (p. 84-85)

Et puis, tout sonne tellement vrai, pour notre malheur. Cela remue en nous certains faux espoirs ou certaines désillusions.

Ce second roman de Michel Monnereau a bien peu fait parler de lui… à tort. Si vous aussi, vous jetez parfois un regard plus que critique sur la vie quotidienne, ne passez pas à côté de cette prose piquante à souhait !

Du même auteur :

- Carnets de déroute (2008)

- Les morsures de l’amour (2009)

Nous l’avons rencontré : vous pouvez lire son interview ici.

MONNEREAU, Michel. – On s’embrasse pas ?. – La Table Ronde, 2007. – 204 p.. – ISBN : 978-2-7103-2913-8 : 16 €