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Une chambre à soi ** de Virginia Woolf (1929)

23.01
2011

« (…) il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une fiction. » (p.8)

Avoir une chambre à soi, que l’on peut fermer à clé, sans être dérangé, et disposer de 500 livres de rente permettant d’évacuer tout souci d’argent, ce sont là deux conditions essentielles à la création d’oeuvres d’art.

Tout en méditant sur le sujet, Virginia Woolf se heurte à deux interdictions, la première de marcher sur le gazon, où seuls les professeurs et étudiants sont admis, la seconde de ne pouvoir entrer dans la bibliothèque, si elle n’est pas accompagnée d’un professeur.

Car les femmes manquent d’argent pour pourvoir à la création d’universités pour elles. Pourquoi sont-elles si pauvres ? Il n’y a qu’à lire tous les livres que les hommes ont pu écrire sur elles, et on comprendra à quel point elles sont peu considérées, étant décrites comme inférieures intellectuellement, physiquement et moralement. Elles vivent sous un régime patriarcal, ce que Virginia Woolf explique en ceci que les hommes ne peuvent garder une confiance absolue en eux que s’ils sentent la moitié du genre humain inférieure à eux. Or gagner un salaire délivre de toute dépendance à l’homme : maison, vêtements, nourritures, et de toute préoccupation financière, libérant l’esprit pour pouvoir penser aux choses en elles-mêmes.

Hélas, dans l’Histoire, la femme ne flamboie que dans les sonnets et les romans, car dans la vie quotidienne, elle vit cloîtrée chez elle, à élever ses enfants et à tenir sa maison. Virginia Woolf compare alors les possibilités d’écrire de Shakespeare et de sa soeur, et en conclut qu’il est impossible pour une femme, née au XVIe siècle, même de génie, d’écrire à l’époque, obligée de s’échapper d’un mariage arrangé et refusée au théâtre en tant qu’actrice, ou dans tout autre domaine artistique. La société était hostile à toute tentative de la part des femmes de vouloir écrire. Jamais on ne les encourageait à devenir artistes. Il n’est qu’à voir encore au XIXe siècle ces femmes qui signèrent leur oeuvre d’un nom d’homme pour pouvoir être publiées : Currer Bell, George Eliot, George Sand.

Le contexte leur est défavorable, et qu’écrivent-elles quand elles ont la chance de pouvoir écrire ? Forcément c’est leur indignation sur la condition des femmes qui éclate. Par ailleurs,

« Ajoutons que la seule formation littéraire que pût avoir une femme au début du XIXe siècle, était celle de l’observation des caractères, de l’analyse des émotions. » (p. 100)

Comment se traduit dans l’oeuvre la différence des sexes ? Se demande-t-elle encore. Par un jugement de valeurs encore. Car les valeurs portées par les hommes semblent tout de suite plus importantes que celles des femmes, jugées futiles, la guerre étant un sujet plus grave qu’une scène dans une boutique. Seules Jane Austen et Emily Brontë échappent à cet écueil et écrivent véritablement comme des femmes, selon elle.

Et de recommander : « Ecrivez ce que vous voulez écrire, c’est tout ce qui importe. », et « je voudrais vous demander d’écrire des livres de tout genre sans hésiter devant aucun sujet… quelle qu’en soit la banalité ou l’étendue. » avant de répéter les conditions sine qua non pour pouvoir écrire (avoir une chambre à soi et être en dehors du besoin) et de conclure que l’écrivain a la chance de vivre plus que tout autre en présence de la réalité, que « C’est son rôle de la découvrir, de la rassembler et de la communiquer. »

Cet essai pamphlétaire fut publié à l’issue de conférences de Virginia Woolf données en 1928 sur le thème « Les femmes et le roman ». Peu de femmes, hélas, ont laissé leur nom avant le XXe siècle dans les arts. En cherchant à comprendre pourquoi, Virigina Woolf dénonce les conditions de vie passées et présentes de la femme, et les discours masculins les entérinant. Elle pose les deux conditions matérielles indispensables à toute création artistique, et exhorte les femmes à cesser d’écrire comme des hommes, à écrire, sans entrave formelle ou thématique, selon leur vision des rapports humains à la réalité.

La longueur des notes prises suffit à prouver l’intérêt que j’ai pu prendre à la lecture de cet essai…

Une chambre à soi / par Virginia Woolf ; trad. de l’anglais par Clara Malraux. – Paris : 10-18, 2010 . – 171 p. : couv. ill. ; 18 cm. – (Bibliothèques 10-18). - Trad. de : A room of one’s own. – Collection principale : 10-18 ; 2801. - ISBN 2-264-02530-1 (br.) : 38 F.

Le mépris d’Alberto Moravia

10.08
2009

 

 

cop. GF

Il Disprezzo (1954)

Traduit de l’italien par Claude Poncet 

Porté à l’écran par Jean-Luc Godard en 1963, Le Mépris est précisément un roman sur la mise en scène, sur le cinéma, mais plus encore un roman psychologique adoptant le point de vue d’un narrateur, scénariste pour pouvoir payer à crédit son appartement de jeunes mariés à Rome, cherchant à comprendre pourquoi et comment son épouse Emilia a pu en venir après deux années de mariage vécues dans un bonheur parfait à ne plus l’aimer, et même à le mépriser.

 

« à dire vrai, je n’étais pas encore tout à fait convaincu qu’Emilia s’était définitivement éloignée de moi, ni que je trouverais la force de me séparer d’elle, de lâcher mon travail de scénariste et de vivre seul. En d’autres termes, j’éprouvais un sentiment d’incédulité d’une espèce douloureuse et nouvelle pour moi, en face d’un fait que mon esprit considérait déjà comme indubitable. Puisque Emilia avait cessé de m’aimer, comment en était-elle arrivée à cette indifférence ? » (p. 72)

Dans toute son oeuvre, Alberto Moravia dissèque les rapports amoureux mais aussi le rôle que la société et l’argent peuvent jouer dans une relation à autrui, a fortiori dans un couple. Ici le drame se noue à Capri dans la mise en abime d’une interprétation de l’Odyssée comme fuite d’Ulysse devant ses problèmes de couple à l’intérieur de cette interrogation perpétuelle d’un narrateur resté obstinément aveugle au pouvoir de séduction que pouvait représenter l’assurance d’un homme fortuné  sur sa femme.
C’est aussi une méditation sur l’incommunicabilité dans un couple. Quand tout se dit, il est déjà trop tard.
Comme une réflexion sur l’art, sur l’impossibilité souvent d’en vivre, sur l’énergie dépensée pour un travail alimentaire qui épuise celle nécessaire à une création personnelle, sur le prétexte aussi du temps dépensé pour cette autre activité pour ne pas avouer son impuissance, son absence d’idées neuves.
Tout se vend, tout s’achète, même les rêves. Du couple ou de soi, que privilégier ? En croyant assurer le confort et la pérennité de son couple en s’oubliant lui-même,  Riccardo perd et l’admiration et l’amour de sa femme et son amour-propre. A méditer.