L’envie me démangeait depuis longtemps de me replonger aux sources des premiers récits d’enfance, ces contes populaires transmis de siècle en siècle qui furent complètement transformés et édulcorés par Walt Disney.
Que transmettre à son enfant, comment aujourd’hui peut-on encore sans sourciller lui conter telle histoire sans réfléchir à sa moralité, à son message sous-jacent ?
Je commence donc par les contes les plus célèbres de Charles Perrault :
Ces contes oraux furent publiés sous la forme d’un recueil en 1697, sous le règne de Louis XIV, souvent imaginés par des femmes, qui souhaitaient le « meilleur » pour l’époque pour leurs filles.
Il s’agit ici non seulement de distraire mais surtout d’instruire.
Car contrairement à ce qui se dit, les contes ne sont pas atemporels : ils portent les valeurs et la langue du monde dans lequel ils sont nés. Il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agissait de transmettre au travers de ces contes les valeurs de l’aristocratie ou de la bourgeoisie aisée de l’époque :
- la noblesse et la richesse y sont toujours valorisées.
- les femmes doivent être jolies, modestes et soumises. Avant d’être fées, elles sont surtout des fées du logis. Les hommes sont au contraire intelligents, rusés et nobles. Ainsi, les personnages les plus futés des Contes sont masculins (Le Petit Poucet et Le Chat botté). Les seules créatures féminines un peu actives sont des ogresses ou des fées, et sont donc surnaturelles. Riquet à la houppe est aussi laid et spirituel que la princesse est belle et bête. Les filles doivent être sages et disciplinées. Ainsi, le Petit chaperon rouge et la femme de Barbe bleue sont punies l’une pour folâtrer au lieu de prendre un chemin direct, l’autre pour sa curiosité. Perrault était ainsi en phase avec son époque où l’éducation des filles était très limitée.
Charles Perrault a gardé des contes oraux ces phrases rituelles, répétées comme un refrain : « tire la bobinette, et la chevillette cherra. »
Dans un souci pédagogique, il leur a ajouté une à deux moralités plus ou moins heureuses (plutôt moins que plus), à la manière de La Fontaine, mais sans jamais l’égaler.
La Belle au bois dormant
L’incipit pourrait être traduit de manière moderne de la manière suivante : des parents (Roi et Reine), après avoir longtemps désiré leur fille, l’ont eue après xxxxx FIV. Ils veulent donc le meilleur pour elle.
Mais à partir de là, ça dérape. Les dons des 6 premières fées : beauté, esprit, grâce, danse, chant, musique (parfaite petite épouse), la 7e (fée se voyant méprisée) prédisant qu’elle mourra de la piqûre d’un fuseau, et la 8e essayant de réparer le coup, mais pas assez puissante, rassurant en annonçant qu’elle dormira 100 ans et sera réveillée par un fils de roi (et donc riche et puissant), pas forcément un homme bon et intelligent. Le Roi publie un édit pour éliminer tous les fuseaux. Le bébé n’a pas de prénom, il ne part pas non plus dans une chaumière avec les trois fées, comme dans le Walt Disney.
Une pauvre vieille (pas informée) file la quenouille. La princesse se pique (pas informée). C’est peu dire qu’il y a un problème de communication.
La 8e fée arrive et décide d’endormir tout le château pour que le jeune fille ne soit pas seule à son réveil, sauf le Roi et la Reine, car ils ont un royaume à gérer, qui publient des défenses (ils ont donc finalement perdu leur fille ; ils ne la reverront plus vivants). Des ronces s’élèvent autour pour défendre le château, sur l’ordre de la méchante fée.
100 ans plus tard, le prince (pas informé) croit une rumeur parmi d’autres qui dit qu’il y aurait une princesse endormie derrière toutes ces ronces. Il ne peut être suivi par personne : les ronces se referment derrière lui.
La Belle se réveille sans avoir besoin d’un baiser. S’ensuit un festin où la Belle porte une vieille tenue et où l’on joue de vieux airs.
Le prince retourne auprès de son père et lui ment. Pendant deux ans il cache la vérité à ses parents et fait à Belle deux enfants (l’Aurore, 4 ans, et le Jour, 3 ans).
En l’absence de son fils et à la mort de son mari, la belle-mère (ogresse) veut manger ses petits enfants. Un gentilhomme les cache et donne un agneau à la place. Rebelote pour la reine Belle, à qui le gentilhomme apprend que ses enfants sont saufs. Mais l’ogresse découvre la supercherie : elle veut les tuer tous, eux trois et leurs sauveurs. Heureusement, le jeune roi rentre et l’ogresse se suicide.
Moralités :
- Il faut savoir patienter pour obtenir l’époux parfait, beau et riche.
- Il faut se méfier de sa belle-mère.
- Evitons la sexualité avec le mariage.
Si vous vous avez envie de transmettre ces valeurs à vos enfants, eh bien pas moi ! Donc pas de Belle au bois dormant. Au suivant !
Le Petit chaperon rouge
Contrairement aux livres pour la jeunesse actuels, il n’y a absolument pas de happy end, pas l’ombre d’un chasseur à la fin : le petit Chaperon rouge se fait dévorer, tout comme sa grand-mère ! Gare aux petites filles qui folâtrent !
Moralité : il ne faut pas écouter les « loups », qu’ils paraissent doucereux ou dangereux.
C’est un conte d’avertissement pour faire peur aux fillettes et les mettre en garde contre les inconnus.
Admettons. Je garde.
Barbe bleue
Finalement c’est l’histoire d’un mariage forcé adouci par le fait que la jeune femme soit attirée par les richesses de son époux. Sa curiosité est punie par la violence conjugale.
Je rejette.
Le Maître-Chat ou le Chat botté
Dans ce conte, le but ultime est de faire épouser au cadet désargenté une princesse pour devenir puissant. Au passage, Perrault souligne la dure vie du cadet qui n’a pas grand’chose en héritage.
Finalement, cela met en valeur le mensonge et la manipulation pour parvenir à ses fins.
Je rejette.
Les Fées
C’est encore l’argent qui plait le plus : l’happy end pour récompenser la pauvre fille bien gentille, c’est de lui faire épouser un prince.
Je rejette.
Cendrillon
Ah cette histoire qui a fait naître la sacro-sainte permission de minuit (pour sortir en boîte et non plus au bal), comme si là encore le but ultime pour une fille était d’épouser un prince, et ses qualités d’aimer faire le ménage, coiffer, repasser,…
Je rejette.
Riquet à la houppe
C’est encore quand même la princesse qui est bête et belle alors que le prince est intelligent et laid…
Je rejette.
Le Petit Poucet
C’est hyper-violent : des enfants abandonnés par leurs parents qui craignent la famine, un ogre qui tranche la gorge de ses propres filles,… Mais on retient la ruse de ce petit dernier qui se tire d’affaire des plus mauvais pas…
Admettons. Je garde.
Et encore, Perrault a édulcoré ces contes populaires : le loup faisait manger au petit Chaperon la viande de sa grand-mère avant de la dévorer après l’avoir mise dans son lit !
Au final, sur 8 contes célèbres, j’en garde à la limite 2… Tiens, ces deux-là n’ont justement jamais été interprétés par Walt Disney…
Aux contes de Grimm à présent…