Mots-clefs ‘complexe d’Oedipe’

Le jour où j’ai tué mon père de Mario Sabino

10.04
2009

cop. Métailié

Titre original : O dia em que matei meu pai

« Le jour où j’ai tué mon père était un jour clair, d’une clarté diffuse, sans ombre et sans relief. Ou peut-être était-il gris. De cette grisaille qui teinte jusqu’aux âmes les moins enclines à la mélancolie. » (incipit)

Il a tué son père… et puis appelé la police, et tout raconté au psychiatre : ses motifs, sa haine, son enfance, son histoire, son roman inachevé, son amour, son complexe d’Oedipe et d’infériorité en face de ce séducteur richissime.
« Je n’avais jamais vu mes parents s’embrasser. Ni même s’enlacer. A l’adolescence, j’ai appris qu’ils s’étaient un peu éloignés l’un de l’autre après ma naissance. Personne ne connaissait la raison de cet éloignement, mais dans la mythologie familiale il y avait plusieurs versions : ma mère était devenue frigide, mon père s’était trouvé une maîtresse, l’extrême dévouement de sa femme pour son enfant le rendait jaloux et il se sentait comme un intrus, il avait souffert d’une profonde dépression à la suite de sa paternité. Que croire ? Il est possible que chacune de ces versions soit un fragment de vérité. Il n’existe peut-être même pas une vérité intégrale, solide, correspondant à la réalité. Il se peut aussi que la vérité ne soit rien d’autre qu’un amoncellement désordonné de demi-vérités. » (p. 15)
Etrange premier roman que voici, où le narrateur joue avec son lecteur et lui dévoile ses pensées et secrets, son enfance troublée, au moyen de la fiction, de la littérature, de la psychologie, du freudisme, de la philosophie. Noir, il l’est, assurément, mais pas comme on l’entend d’ordinaire, pas comme genre. Noir comme l’âme humaine qui vacille entre le Bien et le Mal, intelligente, machiavélique. Un auteur à découvrir et à suivre !
« (…) tu ne comprends donc pas que le Moi est en grande partie une construction faite à partir de l’Autre. Que le Moi n’existe pas seulement en soi, mais qu’il se construit aussi en fonction du regard extérieur. Comme j’ai fait et je fais encore partie de ton existence, ton Moi est incrusté dans mon Moi, et tu ne te libéreras jamais de cela. On ne peut jamais annuler cela. C’est l’enfer de tout le monde. » (p. 79) 

« Combien de questions inutiles nous posons-nous tout au long de notre vie… Serait-ce la mesure de notre nullité ? Il faut peut-être s’agrafer les doigts de la main, comme Hemistiquio, pour au moins sentir de la douleur, dans l’espoir que l’attente de la fin de la douleur ne donne un sens, même éphémère, à un minuscule segment de l’existence. Le sens de la vie : que de plaisanteries ont été faites sur cette sottise. Est-ce vraiment une sottise… Il faut peut-être avoir un enfant (Bernadete en aurait bien un, non ?) pour ressusciter une émotion quelconque. » (p. 91)


SABINO, Mario. – Le jour où j’ai tué mon père / trad. du portugais (Brésil) par Béatrice de Chavagnac. – Métailié, 2009. – 157 p.. – (Bibliothèque brésilienne). – ISBN 978-2-86424-681-7 : 17 €.


 

 

Agostino d’Alberto Moravia

01.08
2008

1944

Traduit par Marie Canavaggia

Agostino, âgé de treize ans, coule un bonheur innocent sur la plage aux côtés de sa mère, dont il est si fier. Un jour pourtant survient un jeune homme aux avances duquel, à la grande surprise de son fils jaloux, elle répond et, de mère, se métamorphose sous ses yeux en une femme, sensuelle. Oublié, délaissé, Agostino cherche à s’intégrer dans un groupe de jeunes garçons issus du milieu populaire, qui vont lui ouvrir les yeux sur sa différence sociale, la violence et surtout la sexualité. Bouleversé, Agostino ne peut plus considérer sa mère avec sa naïveté candide de jadis : pas encore un homme mais plus tout à fait un enfant, il a hâte de quitter cet âge difficile où la réalité se fait jour.

« Ce qui l’offensait le plus n’était pas tellement le fait de s’être vu préférer le jeune homme, mais bien l’empressement joyeux d’un genre particulier que sa mère avait mis à accepter cette invitation. C’était comme s’il y avait eu préméditation, comme si elle avait depuis longtemps décidé en elle-même de ne pas laisser échapper pareille occasion, de s’en saisir sans hésitation le cas échéant, comme si pendant toutes leurs promenades ensemble elle s’était ennuyée, n’était allée avec lui que faute d’une compagnie meilleure. » (p. 40)

Très beau texte poétique que ce court roman d’apprentissage, où son jeune héros est tourmenté par sa vision nouvelle de sa mère, non plus immaculée mais chargée d’une forte tension érotique. S’inspirant de Marx pour dénoncer la différence de classes, Alberto Moravia se nourrit du complexe d’Oedipe analysé par Freud pour penser la relation de cet adolescent avec sa mère.

A lire, impérativement, en particulier en été, sur la plage, comme nos héros. C’est donc le moment !

Kafka sur le rivage d’Haruki Murakami

16.07
2006

copyright Belfond

Année de parution : 2006

Haruki Murakami a ici dénoué le fil de deux histoires se construisant en parallèle. La première suit le parcours d’un garçon de quinze ans qui fugue de chez son père, s’y étant préparé depuis plusieurs années en suivant les conseils de Corbeau, un ami imaginaire. La seconde semble quasiment relever du traumatisme post-Hiroshima puis du merveilleux puisqu’elle relate la mission d’un vieillard, rendu à jamais débile par un événement surnaturel survenu dans son enfance, mais qui possède cette particularité de savoir parler aux chats et de faire pleuvoir tout ce qu’il souhaite. A partir du mythe d’Oedipe qu’il transpose dans le Japon contemporain et revisite avec les croyances d’un Japon ancestral, Murakami brode la trame tragique de ce jeune garçon qui se fait maintenant appeler Kafka Tamura, poursuivi par cette malédiction proférée par son propre père. Or une nuit il se réveille bel et bien couvert du sang de son père, qui réside pourtant à des centaines de kilomètres de l’île où il s’est réfugié…

Le traitement original du mythe d’Oedipe ne constitue absolument pas selon moi la grande réussite de ce roman. Ce qui m’a envoûtée, dans Kafka sur le rivage, c’est d’y retrouver un univers très proche, tout en demeurant différent, de celui de Paul Auster, où l’inexpliquable, l’absurde, le surnaturel parfois, intervient dans le quotidien de ses personnages quittant leur foyer, s’enfonçant au plus profond de leur dénuement et de leur solitude, pour se trouver eux-mêmes. C’est là la clé de ce roman d’apprentissage du fugueur qu’adolescent nous avons tous rêvé d’être, où la vie retourne à sa plus simple expression, où l’âme s’épure lentement, au contact du vieillard puis de la musique classique pour Hoshino, ou, pour le jeune héros, de l’intimité d’une bibliothèque puis de l’austérité d’un refuge de montagne, rythmée par ses fantasmes et ses besoins naturels. C’est un grand roman, où sont distillées tout à la fois les essences du merveilleux, de la tragédie, du roman d’initiation et du roman d’aventures. Autant dire que ses 619 pages se lisent d’une traite !

Kafka sur le rivage / Haruki Murakami ; traduit du japonais par Corinne Atlan. – Paris : Belfond, 2006. – 1 vol. (618 p.) : jaquette et couv. ill. en coul. ; 23 cm. – (Littérature étrangère). . – Trad. de : Umibe no Kafuka. - ISBN 2-7144-4041-X (br.).
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