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Scintillation de John Burnside

11.09
2011

 

cop. Métailié

Dans Une vie nulle part, John Burnside avait déjà suivi les errances d’une jeunesse cherchant à sortir de l’ombre de l’usine où avaient trimé ses parents. Dans ce nouveau roman, il plante l’intrigue dans un décor sans nom, l’Intraville, une ville ayant poussé à la périphérie d’une usine chimique désormais à l’abandon, qui fit vivre un temps ses habitants, avant de les empoisonner insidieusement, tout comme le bois aux arbres noircis. Il y campe un adolescent, Leonard, qui raconte cette histoire avant de l’oublier, on ignore pour quelle raison, une histoire qui commence par la mystérieuse disparition de cinq adolescents. Un mensonge de l’unique policier de la ville, corrompu, car aucun d’entre eux n’a en réalité réussi à fuir ce purgatoire, où tout végète avant de pourrir lentement. Il le sait bien, lui qui a découvert, dans le bois empoissonné, la première victime pendue par quelqu’un ou quelque chose…

John Burnside démarre son roman comme un thriller, mais déjoue ensuite notre horizon d’attente car ce n’est pas une enquête qu’il va ouvrir, avec ses indices, mais il va plutôt prendre son temps, s’intéresser à cette ville gangrénée par l’absence d’espoir à une vie meilleure, à sa jeunesse désoeuvrée et à ce jeune Leonard, qui découvre les plaisirs de la sexualité et les grands auteurs de la littérature, qui aime observer la nature, seul ou aux côtés de son ami l’Homme-Papillon, avant de s’arrêter sur le meurtre absurde d’un innocent. Un dérapage prévisible. Mais qui l’est vraiment, innocent, dans cette ville où l’on ne lit que des histoires d’amour, où l’on préfère regarder la télévision pour se vider la tête que de se soucier des sorties nocturnes de sa progéniture, et où chacun ferme les yeux sur ce qui le dérange ? Les coupables ne manquent pas, mais pas ceux auxquels on s’attend : John Burnside s’en prend à tous ceux qui, dans l’Extraville, ont pu s’enrichir grâce au fruit du travail des habitants de l’Intraville, qui les tue à petits feux, pour ensuite les abandonner, à celui qui a trouvé le moyen de faire fructifier son capital dans la ville, en étouffant la vérité sur les meurtres d’adolescents, à tous ces parents qui ne croient pas en un avenir meilleur pour leurs enfants, à tous ceux qui pour se divertir aiment à faire souffrir les autres, dans une vertigineuse spirale de violence. Seul Leonard déroge à cette inertie, même s’il se prend aussi dans les rets de la folie collective, lui qui pense qu’il faudrait raser cette ville et donner à ses habitants un lopin de terre à cultiver pour tout recommencer. Et lui seul semble connaître la lumière, la scintillation donnée en titre français à ce roman d’une incroyable noirceur poétique, et dont on ne pourra interpréter le sens qu’à la toute fin de son histoire.

« Au bout d’un moment, quand même, je commence à me sentir drôle, comme chaud à l’intérieur, mais pas fiévreux, et tout a l’air changé. Les arbres ont plus de détails, les couleurs sont plus subtiles, tout a l’air plus compliqué et, en même temps, plus cohérent, l’air d’être là pour une bonne raison. Je ne dis pas que c’est conçu intentionnellement je ne suis pas en train de parler de je ne sais quelle connerie du genre n’est-ce pas que la nature est merveilleuse. Mais bon… c’est là, et ça n’a pas besoin d’être expliqué. » (p. 149)

Un roman psychologique d’une noirceur inquiétante, née de l’oscillation entre l’étrange et le thriller.

A ne pas manquer.

 

Prix Lire et Virgin Megastore 2011.


Du même auteur, autres romans chroniqués dans Carnets de SeL :

Un mensonge sur mon père ** (2009)

Les empreintes du diable (2008)

Une vie nulle part *** (2005)

La maison muette *** (2003)

 

BURNSIDE, John. – Scintillation / trad. de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. – Métailié, 2011. – 282 p.. – EAN 978-2-86424-838-5 : 20 €.

 

Sans emploi : 1. J’ferai ça demain… * de Jibé (2010)

02.02
2011

Sans emploi, ce sont, rassemblés en un livre, les comic strips du site internet : http://www.sansemploi.com. C’est l’histoire ou la non-histoire de Constantin, au chômage, qui ne fait rien de ses journées, ou si peu, les passant à dormir, à regarder la télévision. Parfois son co-locataire le remue un peu, l’oblige à participer aux travaux ménagers (sans succès) ou à postuler pour un emploi, à envoyer des CV, à passer à Pôle Emploi. Peine perdue. Jusqu’au jour où Constantin rencontre dans l’immeuble une jolie voisine, qu’il ne peut pas inviter à dîner ou au ciné, faute d’argent. Cela lui donne un coup de pouce pour relancer sa motivation pour trouver un emploi. Mais à Pôle Emploi ou dans les boîtes d’Interim, sans qualification, il enchaîne les petits boulots qu’il ne garde pas. Jusqu’au jour où il se réveille un lendemain de cuite aux côtés de la chef de son co-locataire…

Le dessin est réduit à l’essentiel, l’histoire aussi. On sent le vécu, même s’il n’est pas de l’auteur. On sourit un peu à ces petites anecdotes humoristiques à la façon d’un Gaston Lagaffe désinvolte, peu doué avec les filles, et allergique aux chats, aux fleurs et au boulot.

Tome 1… Parce qu’on peut encore broder comme ça longtemps, évidemment, autour de la vie quotidienne de jeunes chômeurs… Mais le prochain se fera sans moi, le premier m’a suffi.

J’ferai ça demain / Jibé. – [Paris] : Marabout, cop. 2010. – 171 p. : ill. en coul., couv. ill. en coul. ; 17 x 23 cm. – (Sans emploi ; tome 1) (Marabulles). - ISBN 978-2-501-06396-8 (rel.) : 9,90 EUR.


On dirait le Sud ** de Cédric Rassat et Raphaël Gauthey (2010)

03.11
2010
tome 1 : Une piscine pour l’été
Scénario : Cédric Rassat
Dessin et couleur : Raphaël Gauthey

On dirait le Sud… Ce sont les paroles d’une chanson de Nino Ferrer :

Le Sud

C’est un endroit qui ressemble à la Louisiane
A l’Italie
Il y a du linge étendu sur la terrasse
Et c’est joli
On dirait le Sud
Le temps dure longtemps
Et la vie sûrement
Plus d’un million d’années
Et toujours en été
Y’a plein d’enfants qui se roulent sur la pelouse
Y’a plein de chiens
Y’a même un chat, une tortue, des poissons rouges
Il ne manque rien
On dirait le Sud…
Un jour ou l’autre, il faudra qu’il y ait la guerre
On le sait bien
On n’aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire
On dit c’est le destin
Tant pis pour le Sud
C’était pourtant bien
On aurait pu vivre
Plus d’un million d’années
Et toujours en été

C’est l’été. C’est même un été caniculaire. Une fillette joue dans le jardin de sa tante, tandis que le corps d’une autre est recherchée activement par la gendarmerie dans les champs. Sa tante et son oncle font creuser une piscine, tandis que son grand-père expire son dernier souffle. Son père, Monsieur Plume, délégué syndical dans l’entreprise dans laquelle il travaille depuis dix-huit ans, se voit proposer un arrangement financier par son patron qui projette un plan de licenciement. Ce n’est pas la guerre, mais il y a quelque chose dans l’air qui nous prépare à un drame à venir dans le second tome.

Passée la surprise de ces planches colorisées, aux personnages anguleux, proches d’un traitement cinématographique, le scénario captive rapidement l’attention tant il porte en lui des questionnements éthiques sur les liens familiaux, sur le licenciement économique, sur l’identité :

“- Oh, c’est juste une impression mais, hier, en discutant avec eux, j’ai soudain eu le sentiment qu’ils étaient devenus très matérialistes.
- On parlait de leur piscine et je me suis mise à penser qu’ils n’étaient plus vraiment les Claude et Marie qui nous rejoignaient en 2CV sur le plateau du Larzac…
- Je ne sais pas, mais… Est-ce que tu crois vraiment que les gens peuvent changer ? Moi, j’ai surtout l’impression qu’au fond on ne devient jamais rien d’autre que ce qu’on est vraiment..
.”

A lire !

RASSAT, Cédric, GAUTHEY, Raphaël. – On dirait le Sud : 1- Une piscine pour l’été. – Delcourt, 2010. – 63 p. : ill. en coul. ; 32 cm. – ISBN 978-2-7560-0844-8.
Emprunté à la médiathèque.

Carnets de déroute * de Michel Monnereau (2008)

20.06
2008

Cadre quinquagénaire licencié d’une boîte de pub, quitté peu après par sa femme Françoise qui renaît à une seconde vie avec un autre, Michel a bien tenté durant ces 7 années de survivre sans elle et d’envoyer des lettres de motivation originales suivies de quelques rares entretiens, mais, abandonnant tout espoir, il finit par se couper du monde extérieur.

Autant la presse avait boudé On s’embrasse pas ?***, paru l’an dernier, autant elle avait salué ce premier roman de Michel Monnereau, acheté à l’occasion de notre rencontre au dernier Salon du Livre. Voilà encore une saute d’humeur que je ne m’explique pas, car Carnets de déroute n’est que le brouillon du second, l’un et l’autre animés du même humour corrosif et de la même langue venimeuse. Mais Carnets de déroute n’a pas d’intrigue, ou si peu. Ce qui est normal, vu le sujet, certes. Journal d’un quinquagénaire, se retrouvant sans occupation et sans personne pour meubler son existence, rien ne s’y passe, ou presque : une tentative de coexistence avec un sans-abri puis avec une chienne, baptisée Françoise pour se venger, se soldant par un échec, la rencontre invraisemblable avec une baronne, qui l’oublie aussitôt, quelques entretiens où il se prend à espérer… inutilement. Le monde est féroce et broie ses déchets. Pour Michel Monnereau, c’est un terreau sur lequel il fait pousser un chant vain et désespéré.

Du même auteur :

- On s’embrasse pas ? (2007)

- Les morsures de l’amour (2009)

Nous l’avons rencontré : vous pouvez lire son interview ici.

MONNEREAU, Michel. – Carnets de déroute. – La Table Ronde, 2008. – 199 p.. – ISBN : 2-7103-2809-7 : 16 €.

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Rien, plus rien au monde de Massimo Carlotto

20.03
2006

cop. Métailié

 

Abrutie par l’alcool, aigrie par ses désillusions, une femme monologue sur son triste quotidien qui l’incite à compter au centime près et à repérer les soldes de magasins discount, une vie qu’elle compare sans cesse à celle ô combien différente que mènent les femmes aisées de son âge chez qui elle fait le ménage. Aussi c’est vers sa fille qu’elle a reporté tous ses espoirs d’une vie meilleure, une fille qui l’a déçue, ingrate, dépensière, dépourvue d’ambition, jolie mais sans aucune coquetterie ni féminité, qui a même fréquenté un jeune tunisien, avant que sa mère ne le dénonce. Une fille dont le sang macule sa robe, ses bas et ses chaussures…

Grâce à ce monologue intérieur, Massimo Carlotto rend avec un réalisme particulièrement cru la vision implacable d’un monde où les gens dans le besoin, confrontés au chômage, accusent les immigrés de prendre leur pain tandis que la société de consommation leur offre en ville les vitrines d’un désir inassouvi. Un portrait social et psychologique percutant par le jeu du monologue intérieur qui dans un autre domaine et à un degré moindre peut faire songer à la correspondance d’Inconnu à cette adresse.

 

CARLOTTO, Massimo. - Rien, plus rien au monde : monologue pour un crime / proposé et traduit de l’italien par Laurent Lombard. – Métailié, 2006. – 61 p.. – (Suites ; 116. Noir). – ISBN : 2-86424-571-X : 6 €.

Rien, plus rien au monde de Massimo Carlotto

20.03
2006

Abrutie par l’alcool, aigrie par ses désillusions, une femme monologue sur son triste quotidien qui l’incite à compter au centime près et à repérer les soldes de magasins discount, une vie qu’elle compare sans cesse à celle ô combien différente que mènent les femmes aisées de son âge chez qui elle fait le ménage. Aussi c’est vers sa fille qu’elle a reporté tous ses espoirs d’une vie meilleure, une fille qui l’a déçue, ingrate, dépensière, dépourvue d’ambition, jolie mais sans aucune coquetterie ni féminité, qui a même fréquenté un jeune tunisien, avant que sa mère ne le dénonce. Une fille dont le sang macule sa robe, ses bas et ses chaussures…

Grâce à ce monologue intérieur, Massimo Carlotto rend avec un réalisme particulièrement cru la vision implacable d’un monde où les gens dans le besoin, confrontés au chômage, accusent les immigrés de prendre leur pain tandis que la société de consommation leur offre en ville les vitrines d’un désir inassouvi. Un portrait social et psychologique percutant par le jeu du monologue intérieur qui dans un autre domaine et à un degré moindre peut faire songer à la correspondance d’Inconnu à cette adresse.

CARLOTTO, Massimo. – Rien, plus rien au monde : monologue pour un crime. – Métailié, 2006. – 61 p.. – (Suites ; 116. Noir). – ISBN : 2-86424-571-X : 6 €.