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La raconteuse de films de Hernan Rivera Letelier

06.10
2013

laraconteuse  »A la maison, comme l’argent courait toujours plus vite que nous, quand un film arrivait à la Compagnie et que mon père le trouvait à son goût – juste d’après le nom de l’actrice ou de l’acteur principal – on réunissait une à une les pièces de monnaie pour atteindre le prix du billet et on m’envoyait le voir.

Ensuite, en revenant du cinéma, je devais le raconter à la famille, réunie au grand complet au milieu de la salle à manger. » (incipit)

Comment faire quand on aime le cinéma mais que dans une famille de cinq enfants, on a tout juste de quoi acheter une seule entrée ? On vote pour celui des cinq enfants qui raconte le mieux un film : désormais c’est donc la seule fille, la cadette de la famille, qui a l’immense privilège d’aller au cinéma. Son talent de raconteuse de films lui taille une si belle réputation qu’elle prend un nom d’artiste, Fée Ducinée, et que bientôt toute la Compagnie vient payer son entrée pour aller la voir elle, se donnant en spectacle avec force mimiques, jeux d’acteurs et accessoires.

Tout commence par le regard naïf et fier d’une fillette heureuse d’être l’élue de la famille pour avoir le droit d’aller au cinéma et de devenir la starlette de la Communauté. Et puis, et puis, la réalité prend le dessus, d’abord avec les vices, la concupiscence des hommes, puis avec le monde extérieur qui arrive jusque là : comment une merveilleuse idée née des impératifs de la misère va finalement se tarir au contact des technologies nouvelles. Mais plus encore, ce sont les conditions de vie de toute la Communauté que le progrès va remettre en cause. C’est aussi et surtout le drame d’une famille, dont la mère a quitté le foyer, le père ayant un accident l’obligeant à être en fauteuil roulant. Une histoire tragique sur fond de salpêtrière dans le fin fond du désert.

 

RIVERA LETELIER, Hernan. – La raconteuse de films / trad. de l’esp. (Chili) par Bertille Hausberg. – Métailié, 2012. – 128 p..  - (Suites ; 168). – EAN13 9782864249368 : 9 €.

Histoires d’ici et d’ailleurs * à ** de Luis Sepulveda (2011)

19.06
2011

cop. Métailié

Titre original : Historias de aquí y de allá

Tout commence par l’histoire de deux photographies, les mêmes gosses de banlieue posant avant et après la dictature, quand Luis Sepulveda rentre de quatorze ans d’exil et part à la recherche de ces cinq gamins au sourire si pur et qu’il ne retrouve que quatre jeunes gens qui ont désappris à rêver… Vingt-cinq chroniques, à commencer par cette anecdote, jalonnent ce recueil, pour certaines publiées en 2009 dans La Montagne. Il en est certaines qui constituent en quelque sorte des hommages, faisant le récit de rencontres qui ont marqué sa carrière ou scellé des amitiés, telles celle avec un vieil ermite qui a donné naissance au Vieux qui lisait des romans d’amour, celle des frères Arancibia, imprimeurs, ou celle avec Anne-Marie Métailié, son éditrice. Si quelques-unes, bien rares, peuvent être tendres et amusantes, telles celle du chien libre Edward, ou celle de cette invention scatologique de la couche pour bébé qui permet la pousse d’un arbre (p. 57-58), la plupart sont virulentes : elles condamnent, sans appel et dans le désordre, un tourisme de masse peu soucieux de l’environnement, l’indifférence politique face à la fin des glaciers, les roueries du Vatican, l’incompétence de certains journalistes, la vision de la culture dans les programmes de télévision, les injustices sociales et l’exploitation des ressources de pays d’Amérique latine par l’Europe. Elles font l’éloge de tous ces exilés qui comme lui ont dû fuir une dictature, de tous ces résistants politiques, culturels ou intellectuels.

 

En 25 chroniques, Luis Sepulveda balance tout ce qu’il a sur le coeur. Un regard sans concession de l’écrivain sur la société contemporaine.

Luis Sepulveda au Salon du Livre de Paris


 

Autres textes de lui critiqués dans Carnets de Sel :

Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler * (1996)

La lampe d’Aladino * (2008)

L’Ombre de ce que nous avons été ** (2010)


 

SEPULVEDA, Luis. - Histoires d’ici et d’ailleurs / trad. de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg. – Paris : Métailié, 2011. – 147 p. ; 22 cm. – (Bibliothèque hispano-américaine). - EAN 9782864247784 : 17 €.

 

L’Ombre de ce que nous avons été de Luis Sepulveda (2010)

13.01
2010

cop. Métailié

Titre original : La sombra de lo que fuimos

« Je suis l’ombre de ce que nous avons été et nous existerons aussi longtemps qu’il y aura de la lumière. » (p. 19)

Au cours d’une scène de ménage, à Santiago, Conception Garcia fait tomber par la fenêtre le vieux tourne-disque de son mari. Erreur fatale puisque l’objet tue sur le coup un passant, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de Pedro Nolasco Gonzalès, plus connu sous  le nom de l’Ombre dans le milieu clandestin des opposants au régime dictatorial. Ce soir-là ce dernier était attendu pour organiser un gros coup par trois vétérans, trois anciens militants contraints à l’exil par le coup d’état de Pinochet et revenus, réunis de nouveau pour la première fois, trente-cinq ans après, dans un hangar désaffecté…L’incipit démarre avec des références musicales, deux chanteurs compositeurs, deux Carlitos : Santana et Gardel. Nous sommes au Chili et un homme, quelques pages plus loin, sera tué par accident par un tourne-disque qui sûrement aura permis d’écouter les chansons ou tangos de l’un et l’autre. Premier clin d’oeil, suivi de beaucoup d’autres.  Car on rit beaucoup dans ce nouveau roman de Luis Sepulveda rendu célèbre par son Vieux qui lisait des romans d’amour, et du même coup sa maison d’édition indépendante, Métailié, un message délivré au cours de cette histoire de vieux de la vieille,  car c’est tout ce qu’il reste quand on nous a tout pris, c’est ce qui permet de continuer à vivre.« Le vendeur lui indiqua une des trois tables recouvertes de toile cirée et abandonna son comptoir pour apporter une bouteille de vin et deux verres. Il les remplit, les deux hommes se regardèrent brièvement dans les yeux et y découvrirent les mêmes ombres, les mêmes cernes, le même glaucome historique qui leur permettait de voir des réalités parallèles ou de lire l’existence résumée en deux lignes narratives condamnées à ne pas coïncider : celle de la réalité et celle des désirs. » (p. 23)

Les ombres, ce sont aussi bien sûr ces vétérans dont on apprend l’histoire au fur et à mesure, ces célibataires sexagénaires, au crâne chauve ou dégarni, revenant au « pays de la mémoire ». L’Ombre, c’est enfin cet homme mystérieux qui connait toutes les ruses pour déjouer la surveillance, ce petit-fils d’anarchiste qui avec trois autres à visage découvert, un 16 juillet 1925, fit la « première attaque de banque dans l’histoire de Santiago« , un hold-up à la Robin des bois, contre le capitalisme et pour le « bonheur des damnés de la terre« . Car L’ombre de ce que nous avons été, c’est avant tout le roman d’un autre sexuagénaire en exil, Luis Sepulveda, un roman engagé qui dénonce les dictatures de toute tendance politique et rappelle l’existence de certains mouvements comme le MIR (Movimiento de Izquierda Revolucionaria). C’est ce qui en fait un bon roman, cette capacité à nous faire sourire et réagir, penser et réfléchir, et à nous faire rester vigilants : nous ne sommes pas à l’abri nous non plus de devenir un jour l’ombre de ce que nous avons été…

Ce roman a reçu en Espagne le PRIX PRIMAVERA 2009.

SEPULVEDA, Luis. – L’ombre de ce que nous avons été / trad. de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg. - Paris : Métailié, 2010. – 149 p. : couv. ill. en coul.. – (Bilbiothèque hispano-américaine). – ISBN 978-2-86424-710-4 : 17 euros.

Une ardente patience ** d’Antonio Skarmeta (1985)

10.09
2005

Ardente Paciencia, traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero

Mario Jimenez n’est pas bien courageux, il faut bien le dire, mais quand il s’agit de grimper à bicyclette la colline pour aller porter une montagne de lettres à son unique client, le fameux poète Pablo Neruda, il n’hésite pas une seconde. Pourtant, il n’a encore jamais lu un seul vers, mais bientôt son maigre salaire lui sert à faire l’acquisition d’un premier recueil. Il tente alors de briser l’indifférence de Neruda à son égard, qui l’initie à l’art poétique. Une amitié peu à peu naît entre le grand poète et le petit facteur. Et quand Mario tombe fou amoureux de Béatrice, la fille de l’aubergiste, il pense tout naturellement demander l’aide de Pablo Neruda pour pouvoir lui susurrer de douces métaphores…

1973. Le Chili espère beaucoup d’Allende, est fier de son poète, Pablo Neruda. La mort va frapper l’un et l’autre. Antonio Skarmeta a choisi de centrer son récit non pas sur les dernières années du grand poète mais sur son impact sur son jeune lecteur en la personne d’un adolescent amoureux d’une fille du coin, fils de marin, que rien ne prédestine à cet engouement, à cette adoration du verbe qui lui vient, à la mise en mots de la beauté de sa bien-aimée.

Dans cette peinture naïve d’une vie paisible sur l’île Noire, c’est la brillante démonstration de la force du Verbe qui séduit son auditrice, c’est la preuve que «La poésie n’appartient pas à celui qui l’écrit, mais à celui qui s’en sert.»

Aussi ce roman est tour à tour nourri de passages poétiques, d’odes à la nature, aux bruits familiers (les mouettes, l’écume des vagues), de figures familières plus vraies que nature, telle cette belle-mère dont les phrasés deviennent à eux seuls des morceaux d’anthologie, un roman plein de cette simplicité, de cette naïveté, de cette ode à la vie, à la poésie, à l’amour et à l’humour. Un livre lumineux à découvrir cet été.

Vous avez certainement déjà vu le film que Michael Redford a réalisé à partir de ce roman, intitulé Le Facteur, transposé en Italie, qui a connu un succès mondial, avec Philippe Noiret dans le rôle de Neruda et Massimo Troisi dans celui du facteur.



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