»A la maison, comme l’argent courait toujours plus vite que nous, quand un film arrivait à la Compagnie et que mon père le trouvait à son goût – juste d’après le nom de l’actrice ou de l’acteur principal – on réunissait une à une les pièces de monnaie pour atteindre le prix du billet et on m’envoyait le voir.
Ensuite, en revenant du cinéma, je devais le raconter à la famille, réunie au grand complet au milieu de la salle à manger. » (incipit)
Comment faire quand on aime le cinéma mais que dans une famille de cinq enfants, on a tout juste de quoi acheter une seule entrée ? On vote pour celui des cinq enfants qui raconte le mieux un film : désormais c’est donc la seule fille, la cadette de la famille, qui a l’immense privilège d’aller au cinéma. Son talent de raconteuse de films lui taille une si belle réputation qu’elle prend un nom d’artiste, Fée Ducinée, et que bientôt toute la Compagnie vient payer son entrée pour aller la voir elle, se donnant en spectacle avec force mimiques, jeux d’acteurs et accessoires.
Tout commence par le regard naïf et fier d’une fillette heureuse d’être l’élue de la famille pour avoir le droit d’aller au cinéma et de devenir la starlette de la Communauté. Et puis, et puis, la réalité prend le dessus, d’abord avec les vices, la concupiscence des hommes, puis avec le monde extérieur qui arrive jusque là : comment une merveilleuse idée née des impératifs de la misère va finalement se tarir au contact des technologies nouvelles. Mais plus encore, ce sont les conditions de vie de toute la Communauté que le progrès va remettre en cause. C’est aussi et surtout le drame d’une famille, dont la mère a quitté le foyer, le père ayant un accident l’obligeant à être en fauteuil roulant. Une histoire tragique sur fond de salpêtrière dans le fin fond du désert.
RIVERA LETELIER, Hernan. – La raconteuse de films / trad. de l’esp. (Chili) par Bertille Hausberg. – Métailié, 2012. – 128 p.. - (Suites ; 168). – EAN13 9782864249368 : 9 €.