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La tour des damnés de Brian Aldiss

12.05
2013

cop. Le passager clandestin

« Il aimait ces images. Il se plaisait à contempler la folie du monde extérieur. Et quel monde c’était ! Toute cette chaleur, toute cette énergie ! La nécessité de travailler ! Et les dimensions du monde… Jamais il n’aurait supporté une telle vie. Pour rien au monde il n’en aurait voulu. Il ne comprenait pas la moitié de ce qu’il voyait. Il était né ici, après tout. Peut-être son père, quel qu’ait été celui qui avait été son père, était-il né à l’extérieur. Tout ce qu’il connaissait, lui, de l’extérieur, c’était par ouïe-dire. Ou par les écrans. Mais à tout prendre, il n’y avait plus tellement de gens qui s’intéressaient aux écrans. Pas même lui. » (p. 32)

Construite en Inde pour servir d’expérience contre la surpopulation avec des volontaires, la tour des damnés continue à exister 25 ans plus tard, dans un monde qui semble depuis longtemps avoir trouvé la solution au problème. Thomas Dixit fait partie de ceux qui pensent que l’expérience n’a plus lieu d’être et qu’il est temps de rendre leur liberté à ces quelques 75 000 personnes qui survivent dans les 10 niveaux de cette tour. Mais cela signifierait également pour l’administrateur du CERGAFD – Centre ethnographique de recherche sur les groupes à forte densité -, fermer la tour, et donc admettre le gâchis financier du projet. Thomas Dixit est alors introduit dans la tour pour espionner les différents chefs de niveaux, soupçonnés d’avoir développé des pouvoirs extrasensoriels, et pour rendre un rapport sur le bien-fondé de l’expérience…

Apprécié

Apprécié

Je me souviens avoir étudié en maîtrise, de ce grand auteur de la science-fiction des années 60-70, le roman L’autre île du Dr Moreau, totale réécriture du chef-d’oeuvre de Wells. Cette nouvelle, publiée en 1968, fleure bon son époque : s’inquiétant déjà des risques de surpopulation, Brian Aldiss imagine ici des individus enfermés dans une tour donnant libre cours à l’usage de stupéfiants – on pense au LSD – et ayant une vie sexuelle dès l’âge d’une dizaine d’années, ce qui raccourcit considérablement leur cycle de vie. Il s’interroge surtout sur la perception qu’ont ces derniers de leur propre isolement, et sur les ressources d’un peuple qui s’accommode de tout, semble-t-il…

ALDISS, Brian. – La Tour des damnés / trad. par Guy Abadia. – Le passager clandestin, 2013. – 106 p. ; 17 cm. – (Dyschroniques). – EAN13 9782916952789 : 8 €.

Jocaste de Brian Aldiss

14.04
2006

cop. Métailié

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Catherine de Léobardy

Œdipe règne sur Thèbes, entouré de la Sphinge, enceinte, qu’il retient prisonnière, de ses deux fils et deux filles, Antigone étant sa préférée, et de leur mère Jocaste, dont la grand-mère Sémélé, vieille sorcière, chasse les harpies, avec pour animal de compagnie un griffon. Mais Thèbes vit sous le poids d’une malédiction. Les Dieux semblent attendre l’expiation d’un péché, d’un crime : Oedipe lance alors un appel pour retrouver et punir le meurtrier de son prédécesseur, le roi Laïos, dont il a épousé la séduisante femme, Jocaste. Cette dernière l’a pourtant supplié de n’en rien faire, perturbée par les prédictions de Sophocle lui-même, rencontré dans une autre dimension, puis du devin Tiresias. Que cache Jocaste à son époux ? Qui est vraiment Œdipe ?

Brian Aldiss propose ici sa version romanesque de la tragédie d’
Œdipe, fils de roi ayant, sans le savoir, assassiné son véritable père et épousé sa mère, devenant doublement coupable de parricide et d’inceste. Il offre cette fois à Jocaste le premier rôle, celui de la mère et épouse qui sait tout mais ne lui avouera jamais rien, et donc la véritable responsable de sa tragédie.

J’avoue avoir failli reposer ce roman au bout des vingt premières pages : Brian Aldiss semblait au début vouloir revisiter le mythe d’Œdipe de façon déconcertante, avec tout un bestiaire mythologique proche de l’héroïc-fantasy et avec d’innombrables anecdotes salaces. Puis le récit prend forme, et, une première intrusion de Sophocle dans la narration nous surprend et perturbe Jocaste, à qui il affirme qu’elle n’est qu’un personnage secondaire dans cette tragédie grecque qu’il a écrite pour mettre en exergue l’inéluctabilité du destin et de la fatalité. D’autres incursions suivront, dont celle, finale, de ce jeune Karimov prêt à être exécuté pour avoir osé présenter à son Président Œdipe roi et Antigone, qui apparaîtra à son tour aux yeux de la jeune femme prête à enterrer son frère, encourant la mort, préférant accomplir son devoir moral que respecter la loi d’un seul homme, fusse-t-il Roi de Thèbes.

Une version troublante, dont la violence et la sexualité incestueuse à peine contenue mettent le lecteur plus mal à l’aise que dans la tragédie de Sophocle.

 

ALDISS, Brian. – Jocaste. – Métailié, mars 2006. – 213 p.. – (Bibliothèque anglo-saxonne). – ISBN : 2-86424-575-2 : 17 €.