Mots-clefs ‘autogestion’

LAP ! Un roman d’apprentissage d’Aurélia Aurita

29.12
2015
cop. Les Impressions Nouvelles

cop. Les Impressions Nouvelles

Hantée par l’examen du baccalauréat, Aurélia Aurita, auteur BD chez  Fluide glacial, décide de s’immerger un an dans un lycée très singulier, sans proviseur, sans  administration,  sans intendance,  sans CPE ni surveillants, le LAP, Lycée Autogéré de Paris… par les professeurs et les élèves. Car ici deux principes animent l’établissement : l’autogestion et la  libre fréquentation. Pour valider son année, il faut juste au minimum 12 à 15 U.V. dont au moins une dans chaque domaine : U.V. de cours, semaines de stage, U.V. de gestion, projets et ateliers.

Notre jeune dessinatrice s’attache vite aux différentes individualités qui fréquentent le bahut, lapiens et lapiennes, certains en révolte au fond du jardin, ce qui rend son reportage profondément humain. Cette pédagogie alternative proche de l’anarchisme, intéressante, mais qui me laisse dubitative, ne colle pas tout à fait à mes attentes d’une autre façon d’enseigner.

Les impressions nouvelles (coll. For intérieur), janvier 2014.
144 p.
ISBN 978-2-87449-185-6 : 15 euros.

Lip : des héros ordinaires de Galandon & Vidal

02.04
2014
cop. Dargaud

cop. Dargaud

1973. Le Parrain remporte des oscars. La guerre du Vietnam s’achève, celle du pétrole commence. Le Général Pinochet fait son putsch. Un C.E.S. Pailleron brûle, et avec lui 21 enfants. Pablo Picasso et Pablo Neruda meurent aussi. Ainsi que 300 Indiens lors du carnage de Wounded Knee. L’auteure de ce blog nait. Et une affaire captive toute la France, celle de Lip, où à Besançon, pour la première fois, des ouvriers décident de leur sort, s’opposent aux licenciements et occupent leur usine. Ils s’organisent, gèrent eux-mêmes l’entreprise

« On fabrique, on vend, on se paie ! »

et décident de prendre en otage le fruit de leur travail : 25 000 montres. Parmi ces hommes et surtout ces femmes, Solange, une ouvrière, mère de famille remariée, d’abord soumise à son époux réactionnaire, va couvrir l’événement par les clichés de l’appareil photographique que lui a prêté un journaliste.

Préfacé par Jean-Luc Mélenchon, ce roman graphique de 161 planches en noir et blanc se devait d’exister : il permet de faire découvrir aux plus jeunes cette lutte sans précédent de David contre Goliath, de ces ouvriers contre le capitalisme prompt aux licenciements. Pour couvrir ce bras de fer, Laurent Galandon a choisi comme protagoniste une ouvrière, Solange, que cette grande aventure humaine va émanciper : à l’instar de ces employés avec leur usine, Solange va elle aussi devenir autonome, s’affirmer individuellement et prendre en mains son destin. Cette trajectoire fictive permet au scénariste d’embrasser l’incroyable remise en cause collective des rouages du travail et de valoriser l’aspect documentaire du sujet.

Une BD indispensable.

En fin d’ouvrage, un cahier supplémentaire inédit ainsi qu’un mot de Claude Neuschwander, PDG de Lip de janvier 74 à février 76.

L’anarchisme *** de Daniel Guérin (1965)

04.02
2011

copyright Gallimard pour la couverture

Dans son avant-propos à L’Anarchisme : de la doctrine à la pratique, Daniel Guérin annonce tout de suite qu’il n’entend pas faire un travail biographique ou bibliographique, ni une énième démarche historique et chronologique, mais examiner les principaux thèmes constructifs de l’anarchisme.

Pour ce faire, il commence par rappeler le véritable sens du mot « anarchie », lequel est souvent perçu au sens péjoratif de chaos, de désordre et de désorganisation, alors que, dérivant étymologiquement du grec ancien, « anarchie » signifie littéralement avec le -an privatif « absence de chef », et par voie de conséquence de figure d’autorité ou de gouvernement. Aussi l’anarchisme constitue-t-il une branche de la pensée socialiste visant à abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, et entraînant un certain nombre d’idées – forces que sont la révolte viscérale, l’horreur de l’Etat, la duperie de la démocratie bourgeoise (d’où le refus des anarchistes de se présenter aux élections et leur abstentionnisme), la critique du socialisme « autoritaire », et surtout du communisme, la valeur de l’individu et la spontanéité des masses.

Cet examen permet ensuite à Daniel Guérin de traduire comment, dans la pratique, ces différents concepts permettraient de donner naissance à une nouvelle forme de société. L’autogestion constitue, à plus d’un titre, le concept le plus prometteur et le plus naturellement appliqué. Dans sa définition des principes de l’autogestion ouvrière, Proudhon maintient la libre concurrence entre les différentes associations agricoles et industrielles, stimulant irremplaçable et garde-fou pour que chacune d’entre elles s’engage à toujours fournir au meilleur prix les produits et services. A cette fédération d’entreprises autogérées pour l’économie se grefferait pour la politique un organisme fédératif national qui serait le liant des différentes fédérations provinciales des communes entre elles, décidant des taxes et propriétés entre autres choses, chaque commune étant elle-même administrée par un conseil, formé de délégués élus, investis de mandats impératifs, toujours responsables et toujours révocables. Partant, pour Proudhon, à son époque, il n’y aurait plus de colonies car ces dernières conduiraient à la rupture d’une nation qui s’étend et se rompt avec ses bases. Voilà donc la société future imaginée par les penseurs anarchistes du 19e siècle : une société décolonisée, sans chef, mais constituée d’un maillon de fédérations agricoles et industrielles autogérées, communales et régionales, dont les délégués mandatés sont révocables.

Enfin, Daniel Guérin relate comment dans l’Histoire les anarchistes ont pu s’exprimer ou pas, justement, évincés par exemple de l’Internationale par Marx et de la Révolution russe par Lénine et Trotsky. Il souligne les succès de l’autogestion agricole en Ukraine du sud, dans la Yougoslavie de Tito, dans les conseils d’usine italiens, et principalement en Espagne, avec les collectivités agricoles et industrielles, et la mise en place dans les communes de la gratuité du logement, de l’électricité, de la santé et de l’éducation… mais très vite supprimées par les dirigeants communistes.

Dans cet essai extrêmement clair, Daniel Guérin n’hésite ni à faire l’éloge de certaines idées et expériences réussies, ni à montrer les contradictions et incohérences de certains concepts ou mises en pratique.

Il est bien dommage que cet essai datant de 1965, et donc vieux déjà de 46 ans, n’ait pu être réactualisé à la lumière des années 68 et du renouveau d’une pensée de sensibilité anarchiste aux Etats-Unis, avec notamment le philosophe Noam Chomsky et Murray Bookchin.

Dans l’essai suivant, Anarchisme et marxisme, daté de 1976, Daniel Guérin compare les deux courants de pensée, puisant dans la même source de révolte, mais divergeant dans la conduite du mouvement puis dans la mise en place d’une nouvelle société. Il achève son exposé sur Stirner, individualiste anarchiste, grande figure de la pensée anarchiste, dont on a mal saisi les tenants et aboutissants.

Une lecture extrêmement stimulante de concepts séduisants.

L’Anarchisme : de la doctrine à la pratique… / Daniel Guérin. – Nouvelle éd. revue et augmentée. – Gallimard, 1981. – 286 p. : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Collection Idées ; 368. Sciences humaines).

En appendice, « Anarchisme et marxisme », texte remanié d’un exposé fait à New York, 6 novembre 1973, et « Compléments sur Stirner », du même auteur. – Bibliogr. p. 281-286
(Br.) : 10,60 F.