Mots-clefs ‘antisémitisme’

Ida (2013)

12.03
2014

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Scénaristes :
Rebecca Lenkiewicz, Pawel Pawlikowski

 

SYNOPSIS

Pologne, 1962. Quatre jours avant de prononcer ses voeux, Anna, jeune orpheline élevée au couvent, a ordre de rendre visite à sa tante Wanda, le seul membre de sa famille qu’il lui reste. Cette dernière révèle à Anna qu’elle est en fait juive et s’appelle Ida. Ensemble, elles partent revoir la maison où est née la jeune femme, et enquêter sur la mort de ses parents. En chemin, elles prennent Lis en stop. Comme Wanda l’espérait, Ida tombe sous le charme du séduisant jeune saxophoniste. Lorsqu’elles se présentent à la ferme, elles se heurtent au mauvais accueil de l’actuel propriétaire des lieux…

 

CRITIQUE

Nous n’évoquerons ici ni la beauté de la photographie, ni la musique, ni l’esthétisme du noir et blanc, ni le parti pris des cadrages, … mais uniquement, comme d’habitude, le scénario… Qu’en est-il ?

Deux personnages partent ensemble à la recherche de leur passé familial, quitte à déterrer leur pire cauchemar. L’une est la pureté faite jeune nonne, le regard vierge sur le monde, sur les autres et sur elle-même. L’autre, surnommée « Wanda la rouge », juge communiste intransigeante, est une femme seule et indépendante, qui fume, boit plus que de raison et finit ses soirées avec son dernier cavalier ou compagnon de beuverie.

Si les conséquences de la rencontre d’Ida avec Lis peuvent sembler trop prévisibles, de même que sa décision finale, il n’en demeure pas moins que le scénario ne révèle aucune faute de goût.

Ici il ne s’agit pas de montrer du doigt les atrocités nazies au sein des camps de concentration, mais d’exhumer le passé honteux des Polonais, qui ont formé le terreau de ces exactions, et en ont même profité pour leur intérêt personnel, n’hésitant pas à tuer homme, femme et enfant pour les dépouiller.

La question pour ces deux femmes est de savoir non seulement comment survivre, mais aussi comment vivre en sachant ce dont l’homme a pu et peut encore être capable, comment croire encore à l’Humanité ou en Dieu.

Chacune d’elles trouve sa propre réponse, dramatique.

Un bijou d’intelligence.

Young de Ducoudray & Vaccaro

18.12
2013
cop. Futuropolis

cop. Futuropolis

Young, c’est Young Pérez, de son vrai nom Victor Younki, né en 1911 à Tunis dans une famille modeste de la communauté juive. Suivant les traces de son frère dans le milieu de la boxe, il devient à Paris champion de France des poids mouches en battant Valentin Angelmann, puis celui de champion du monde, le plus jeune jamais connu, en se mesurant à Frankie Genaro dans la même catégorie. Accueilli en véritable héros à son retour à Tunis, ayant une idylle avec l’actrice française Mireille Balin, il ne va hélas pas savourer très longtemps sa victoire : arrêté et déporté à Auschwitz, il survit en divertissant le commandant du camp sur un ring…

Aurélien Ducoudray s’est attaqué à l’horrible destinée du boxeur Victor Young Pérez de manière non pas linéaire, mais en mettant intelligemment l’accent sur ses derniers mois passés dans le camp d’Auschwitz, en contrepoint d’une enfance à Tunis déjà marquée par l’antisémitisme puis de son ascension vers une gloire éclatante. Cette tragédie, où Young Pérez apparaît comme un homme d’une grande générosité, est admirablement servie par le coup de crayon charbonneux au modelé croisé d’Eddy Vaccaro. Un biopic très réussi pour un destin qui fait le buzz à l’image tant cinématographique qu’iconographique.

 

Les derniers jours de Stefan Zweig de Sorel & Seksik

31.07
2013
cop. Casterman

cop. Casterman

15 août 1941. Stefan Zweig, un des plus grands écrivains de la première moitié du XXe siècle, débarque pour vivre ses derniers jours au Brésil, ayant fui Dachau depuis février 1934, puis quitté Londres et maintenant New-York. Il souffre d’avoir trop bien prophétisé le grand massacre, d’être un trop fin analyste de l’âme humaine, d’être devenu un indésirable partout où il va. Il s’installe avec Lotte, sa deuxième jeune épouse asthmatique, non pas à Rio mais à Petropolis, un hâvre de paix dans la jungle, bâtie par des colons allemands. Mais Stefan Zweig, sexagénaire, ne peut goûter à ce paradis : ses pensées sans cesse partent outre-atlantique où le pire est en marche. Le 22 février 1942, il ne supporte plus les nouvelles qui lui arrivent d’Europe :

« Aucune histoire ne peut rivaliser avec le drame que vivent les nôtres. Hitler est l’auteur de millions d’insurpassables tragédies. » (p. 51)

Quand il apprend la solution finale, il choisit d’imiter Kleist, dont il a fait l’éloge dans son essai, et de se donner la mort avec Lotte, après avoir écrit son autobiographie, où il évoque davantage une Europe révolue que sa propre individualité.

L’adaptation des derniers mois de vie du grand écrivain est amplement réussie. Le dessin, les couleurs, les angles de vue rendent admirablement bien compte des pensées sombres et tourments de Stefan Zweig, qui ne parvient plus à profiter de la vie aux couleurs éclatantes du Brésil ni à croire en la beauté de l’âme humaine. A quoi bon survivre pour vivre en exilé ? Le personnage de Lotte n’est pas en reste : fragile car asthmatique, jalouse de la première femme de Zweig, elle aime du haut de ses trente printemps avidement la vie, mais moins que Stefan Zweig, dont la lucidité la fait vite redescendre vers une réalité plus dure. Plus qu’une biographie d’écrivain, la fin belle et tragique d’une histoire d’amour célèbre.

Le boxeur de Reinhard Kleist

09.01
2013

cop. Casterman/R. Kleist

Le mercredi, c’est bande dessinée

Sortie aujourd’hui, mercredi 9 janvier 2013

Miami, septembre 1963. Harry Haft, ancien boxeur d’origine polonaise, contraint son fils à l’accompagner chez quelqu’un. Sur le trajet, il est obligé de s’arrêter, fondant en larmes : « Un jour, je te raconterai tout. » lui répète-t-il. Le terrible passé de ce père colérique, le lecteur va le découvrir avant leur arrivée, chapitre deux :

Il ne fait plus bon vivre en Pologne quand on est Juif à partir de septembre 1939. Hertzko Haft, alors âgé de 14 ans, va vite devoir quitter l’école et, sous les coups de ses frères, faire de la contrebande pour pouvoir manger dans le ghetto. Alors qu’amoureux, il est sur le point de se fiancer avec Leah, il sauve son frère Aria et est envoyé en camp de travail à sa place. Là, pour survivre, il trouve la protection d’un de ses geôliers qui le forme à la boxe pour les divertir…

Troisième biographie de Reinhard Kleist, Le Boxeur retrace l’effroyable destin de Hertzko Haft, au moyen d’un dessin à l’encre de Chine. Elle aborde le thème du sport de combat dans les camps, au-delà de celui de l’horreur des camps. Très dure dès les premières pages, elle annonce d’emblée la couleur : si son père s’emporte si facilement contre ses enfants, explique sa mère au jeune garçon, c’est à cause de son passé. Et, en effet, Reinhard Kleist durcit et la carapace et les traits de son héros au fil des pages, lequel a la chance de survivre grâce à sa pugnacité, mais jouera de malchance tout au long de sa vie, illuminée par le seul espoir de retrouver un jour Leah.

Une BD extrêmement poignante.

 

 

 

KLEIST, Reinhard. – Le boxeur / trad. de l’allemand par Carline Dolmazon et Paul Derouet. – Casterman, 2013. – 197 p. : ill. n.b. et en coul. ; 25 cm. – (Ecritures). – EAN13 9782203063037 : 16 €.

 

Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB

02.01
2013

cop. Casterman/Tardi

René Tardi, à vingt ans, s’engage dans l’armée quand la seconde guerre mondiale devient imminente. Pilote de char, il est très vite capturé par les Allemands. Loin du fantasme de La grande évasion et de la convention de Genève, à quelques centaines de kilomètres du cauchemar d’une extermination systématique, le quotidien de ces prisonniers de guerre durant ces cinq années se résume à deux obsessions : manger et souffrir le moins possible…

Dans ce premier tome se déroulant pendant la seconde guerre mondiale, s’inspirant des souvenirs que son père a retranscrit à sa demande dans trois cahiers d’écolier, Jacques Tardi relate la débâche fulgurante des soldats français devant l’envahisseur allemand mieux préparé, puis le sort méconnu des simples prisonniers de guerre dans les Stalags. On reconnait sans peine son coup de crayon en dégradé de noir et de gris, rehaussé dans les deux premières pages, par un rouge sanglant apposé par sa fille, Rachel, tandis qu’il plante des décors réalistes, minutieusement reproduits d’après les recherches documentaires de son fils. Il a eu l’idée originale de se représenter enfant en culotte courte, un rien insolent, aux côtés de son père, mettant son grain de sel dans ce qu’il raconte, reproduisant ainsi fidèlement le type d’échanges qu’il pouvait avoir avec lui de son vivant. Un album très personnel, et  d’autant plus instructif qu’il m’interroge sur ces années de captivité que mon grand-père a toujours passées sous silence.

cop. Casterman/Tardi

TARDI, Jacques. - Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB : tome 1. – Casterman, 2012. – 188 p. : 24x32x3 cm. - (Univers d’auteurs). - EAN13 9782203048980 : 25 €.

Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx (1984)

23.07
2010


Sortant tout excité par sa découverte faite dans les archives de la Préfecture de Toulouse, Bernard Thiraud se fait assassiner. Parisien, il avait fait cette halte avec sa compagne pour ses recherches, avant de partir ensemble en vacances au Maroc. Un témoin oculaire affirme à l’inspecteur Cadin chargé de l’enquête, avoir vu le suivre une rutilante Renault 30TX, immatriculée 75. Sans piste à suivre pour élucider ce meurtre sans mobile apparent, l’inspecteur se décide à enquêter sur le meurtre tout aussi inexpliqué du père de la victime, Roger Thiraud, professeur d’histoire apparemment sans histoire, assassiné d’une balle  à bout portant dans la tête lors de la manifestation algérienne du mardi soir 17 octobre 1961.

Avec ce polar qui le fit connaître, Didier Daeninckx établit un parallèle habile entre deux traumatismes, tous deux liés à l’obéissance aveugle de fonctionnaires, doublée d’un racisme latent, entretenu par une propagande médiatique de l’Etat.

On peut reprocher quelques faiblesses à ce premier roman, comme le cliché de la relation amoureuse entre le flic et l’endeuillée, ou être déçu par la prépondérance des dialogues propre au roman noir, et surtout par une écriture simple et donc peu identifiable.

Nonobstant, le message passe clairement, et c’est là peut-être le plus important pour cet écrivain engagé. Didier Daeninckx dénonce ainsi l’omniprésence du racisme dans la police, à la préfecture, dans le bavardage des chauffeurs de taxi, voire des simples passants, rendus complices du massacre des manifestants en les dénonçant dans les cafés, dans les cinémas. Il évoque aussi la sur- médiatisation des incidents commis en banlieue pour stigmatiser des tranches entières de population, souvent immigrées, au travers du personnage de la jeune historienne, la seule femme d’ailleurs à être présentée de manière positive, contrairement aux autres qui ne trouvent un sens à leur existence qu’au travers des hommes, recluses à la mort de leur mari, reconnues pour leur seule qualité de cordon bleu ou corvéables à merci.

 

Il met surtout l’accent sur la disproportion des forces en présence, dans un sens comme dans l’autre, d’abord entre les manifestants désarmés et les CRS, puis entre les Juifs en transit à Drancy, surveillés par quatre soldats allemands seulement, secondés par des Français, et enfin entre les milliers d’enfants Juifs de moins de deux ans déportés et les fonctionnaires signant leur arrêt de mort. Le point fort de ce roman, c’est d’avoir été l’un des premiers à décrire les exactions de la police française en 1961, qui s’étaient produites avec le soutien du gouvernement, en les rapprochant de celles commises durant la collaboration, sous couvert de l’occupation allemande.

Une lecture édifiante, pour inciter à la vigilance.

 

Grand prix de littérature policière 1985.

 

DAENINCKX, Didier. – Meurtres pour mémoire : une enquête de l’inspecteur Cadin. – Gallimard, 2009. – 215 p.. – (Folio policier ; 15). – ISBN 978-2-07-040649-4.
emprunté

Au coeur de la tempête ** de Will Eisner (2009)

29.12
2009

To the heart of the storm / trad. par Anne Capuron

1942. A bord d’un train militaire qui l’emmène dans un camp d’entraînement pour partir ensuite en guerre, Will Eisner repense à l’installation laborieuse de sa famille à New-York…

J’avais précédemment découvert sa trilogie New-Yorkaise, hymne à la Grosse Pomme ou au Flatiron Building, dont j’avais beaucoup apprécié les petites histoires de gens, de lieux, épinglés par un regard à la fois lucide et poétique.

Près de cinquante ans après, Will Eisner établit ici un parallèle entre cette seconde guerre mondiale qui, avec la solution finale, poussait à son point le plus extrême l’antisémitisme, et l’accueil que son quartier de New-York avait réservé à sa famille immigrée. Pour ce faire, il fait défiler à l’encre noire l’enfance misérable de sa mère, les désillusions de son père, sa jeunesse à travers laquelle il dénonce les préjugés dont il fut victime. Un témoignage fort.

Paris : Delcourt, 2009. – 206 p. : couv. ill. en coul.. – ISBN 978-2-7560-1682-5: 17,50 €.
Voir le commentaire sur l’ancien blog.