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L’ordre du jour ** d’Edlef Köppen (1930)

06.03
2011

Copyright éd. Tallandier

« Vous ne devriez pas lire ce livre.
Roman sans lecteurs, interdit par les nazis dès 1933, condamné au silence depuis soixante-treize ans, L’Ordre du jour figure en tête de la Liste des produits littéraires nocifs et indésirables établie par les services de propagande du Reich. » (note de l’éditeur en quatrième de couverture)

Censuré pendant la période nazie, perdant son auteur en 1939, mort des suites de ses blessures de guerre, L’Ordre du jour, qui fut pourtant salué par la critique à sa parution, tomba dans l’oubli jusque dans les années soixante-dix. Erreur que corrige cette présente édition française… datant de 2006. Or ce roman sur la première guerre mondiale, injustement méconnu à côté du succès extraordinaire que remporta A l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque (1929), mérite amplement qu’on s’y arrête :

Engagé volontaire, le canonnier Adolf Reisiger est envoyé dès octobre 1914 aux alentours d’Arras, commence par des corvées absurdes et répétitives, avant de partir à la bataille de Notre-Dame-de-Lorette. Au front, souvent, c’est l’attente des ordres sans pouvoir contre-attaquer les salves de l’ennemi. Soigné deux fois à l’hôpital de Douai, Adolf est transféré en 1916 à la bataille de la Somme, où une contusion pulmonaire le contraint à une nouvelle hospitalisation pendant deux mois. Fin 1916, le voilà en Russie, où un cessez-le-feu donne soudain un visage humain à l’ennemi en face, avec qui les soldats font du troc, avant de s’interrompre sans prévenir. A son grand soulagement, il repart au printemps 1918 pour l’ouest de la France où c’est la défaite…

Au tout début le narrateur se déclare extrêmement volontaire : il veut accomplir son devoir pour la patrie. Et, insidieusement, de fil en aiguille, à force de voir ses camarades se faire déchiqueter pour un ordre absurde, des gradés plus jeunes que lui perdent et la tête et la vie, découvrir des armes de plus en plus meurtrières, comme les tanks ou le gaz (description effroyable d’un bois mort qu’il traverse et dans lequel son camarade périt). De fait, au fur et à mesure, il met un visage connu sur les morts, jusqu’à reconnaître le sien sur celui d’un soldat en face, ou la voir planer sur les dormeurs dont la guerre a creusé les traits et fait ressortir les orbites. A un moment donné, il écrit deux poèmes pacifistes, sans vraiment s’en rendre compte, et qui, publiés, vont lui attirer des ennuis. Ce n’est que le signe avant-coureur d’une lente conversion vers le pacifisme, qui le mènera tout droit à un asile d’aliénés à la fin de la guerre.

« Le sol glaiseux est répugnant, on dirait du miel synthétique. Les hommes, dans leur trou, ne peuvent plus faire de mouvement normal, les membres dérapent dans une gelée visqueuse. Il n’est quasiment plus possible d’être assis. Un simple mouvement de tête suffit à mettre le corps en déséquilibre. Ils s’arc-boutent des deux mains sur le fond pour se soutenir.
L’ennemi marmite.
La pluie déverse.
L’eau monte lentement dans le trou.
Reisiger plonge dans sa poche de tunique, en ressort un carnet, déjà à moitié trempé. Il le place à travers tunique et chemise, contre la poitrine. Winkelmann veut sauver son pansement individuel. Il le tire de la poche : gonflé, graisseux comme une éponge usée. Il le laisse tomber à terre. Tous deux le voient nager comme un petit navire, puis sombrer.
L’ennemi marmite.
La pluie déverse.
Ils sont trempés jusqu’aux os. L’eau, dans le trou, est montée si haut qu’elle baigne leurs coudes.
L’ennemi marmite.
Quelle heure ?
Lorsque l’aviateur est revenu, il devait être minuit. Reisiger ressort une main de l’eau, retrousse la manche, la montre-bracelet fonctionne encore. Il la tend à Winkelmann. Sept heures du matin.
Depuis sept heures, l’ennemi marmite.
L’obus de 75 millimètres projette 508 éclats à la ronde, l’obus de 150 millimètres 2030, l’obus de 305 millimètres 8110. Profondeurs de pénétration : dans la terre  1,80 mètre, 4,10 mètres, 8,80 mètres.
L’ennemi marmite.
La pluie déverse. » (p. 227)

Largement autobiographique, L’Ordre du jour retranscrit de manière romanesque toute l’horreur de la première guerre mondiale durant ses quatre longues années, un témoignage qui s’inscrit donc davantage dans la durée qu’A l’ouest rien de nouveau, et qui permet de nous faire vivre l’horreur côté allemand. Non seulement ce récit en devient plus fort, sans chercher ni beauté ni héroïsme dans le moindre acte, mais surtout il revêt une forme littéraire bien plus moderne que celle du roman d’Erich Maria Remarque, puisqu’à sa transcription romanesque du conflit, dans un style très sobre, Edlef Köppen a joint des documents historiques provenant des archives de Potsdam et des coupures de presse ou encarts publicitaires conservés par sa mère durant la guerre : entre les extraits du journal du canonnier sont ainsi intercalés avec à propos des messages de la direction générale de la censure, de la police des moeurs, du Vatican, des télégrammes aux généraux, etc. et ordres du jour. Et c’est ainsi qu’a posteriori Edlef Köppen découvre que tous les soldats envoyés à l’ouest en 1918 n’étaient finalement que de la chair à canon, donnés en sacrifice à l’ennemi pour en détourner les forces armées.

Un de ces romans puissants qui vaut tous les discours sur l’horreur de la guerre.



traduit de l’allemand par François Poncet
postface de Jens Malte Fischer
Paris  : Ed. Tallandier , 2006
365 p.  ; 22 cm
ISBN 978-284734-259-8 (br.)

Köln* – Brühl* – Bonn (2010)

09.12
2010

Köln : la ville de Cologne et ses alentours

Köln *

Cologne est la métropole rhénane et l’une des quatre plus grandes villes d’Allemagne. La ville nouvelle s’est construite autour de ses quartiers historiques, devenus des zones piétonnes, peuplés de commerces et de bars. Parmi ses nombreuses industries on compte la parfumerie et sa célèbre eau de Cologne.
La gare de Köln nous dessert en plein ville, en bas de la cathédrale gothique, presque menaçante, qui nous domine de toute sa hauteur.

La cathédrale ** : visite alors qu’un beau soleil rayonne. Elle jouxte la gare et le pont Hohenzollern, inondé de cadenas d’amoureux, le plus fréquenté du monde (un train toutes les deux minutes).
L’édification de cette cathédrale au gothique flamboyant a duré plus de 600 ans, de 1248 à 1880.
Un coffre est censé recueillir les cendres des Rois Mages.


La gastronomie allemande, à base de charcuterie et de pommes de terre surtout, paraît peu variée et élaborée, en comparaison des plats français. En revanche, les « brötchen » (petits pains aux goûts variés) sont délicieux, et dans toutes les villes on peut noter une profusion de boulangeries et de Eiskaffee (glaciers) qui font office de salons de thé ordinaires.

Le Musée Ludwig, hélas, était fermé. J’en avais gardé un excellent souvenir de jeunesse, avec l’œuvre pop-art  Bathtub 3 de Tom Wesselmann (1963).

La vieille ville

Altes Rathaus : « situé au milieu de l’ancien quartier juif, l’ancien hôtel de ville se caractérise par sa tour gothique de 61 m. de haut (1407-1414) et son porche, pavillon Renaissance (1569-1573). »

Les églises romanes
Douze églises de la période romane (milieu du 10e – milieu du 13e s.) subsistent en centre-ville. Hélas, la majorité étaient fermées durant le carnaval, mais le circuit pour aller les contempler permettait de parcourir ainsi toute la vieille ville.

Même les ballons du carnaval, fête païenne, ont leur place dans l’une des rares églises où l’on a pu entrer.

Belle vue des rives du Rhin de la vieille ville.

On peut passer entre deux sirènes dans la vieille ville, en franchissant une porte art nouveau.

Près du Neumarkt, une tour s’élève, avec à son sommet deux chevaux sur laquelle court la légendede Richmod d’Aducht : une femme qu’on avait crue morte et enterrée revient frapper à la porte de son époux, lequel refusa de lui ouvrir, croyant qu’il s’agissait d’un piège du Malin, lui dit que ses chevaux qui l’avaient reconnue, s’étaient détachés de leurs liens et avaient grimpé jusqu’en haut de la tour pour la saluer. Le mari alors lui ouvrit. La légende s’est transmise de génération en génération, et on y aperçoit toujours deux chevaux grossièrement taillés.

Profitez d’une escapade dans la nature en allant visiter le vieux cimetière arboré et enneigé et le parc municipal.


Autre possibilité : une demi-journée au zoo.

On a toujours l’impression de redevenir un peu des enfants qui s’émerveillent devant ces animaux, souvent en voie de disparition.

Des loutres jouent devant nous et nous font signe au-revoir.

Un petit kangourou essaie de manger son quignon de pain.

Des vers de sable marins font songer à un paysage lunaire.

De belles anémones nous fascinent.

Aux alentours

Le quartier étudiant est tout en briques, assez excentré du centre-ville, mais facilement accessible par le biais du tramway.

Brühl

Une visite à Brühl s’impose, petite bourgade allemande située au sud de Cologne, et de l’un de ses deux châteaux, inscrit par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’Humanité.

Schloss Augustusburg ** : la visite guidée dure 1 heure et permet de visiter une petite vingtaine de pièces. Les photographies y sont interdites. Le châteauroccocco d’Augustusburg fut élevé de 1725 à 1768 par Johann Conrad Schaun et par François Cuvilliés, pour Clément-Auguste, prince-archevêque de Cologne. Ce dernier s’y adonnait surtout à la chasse. Son escalier monumental, surtout, suscite l’admiration. Il est l’oeuvre de Balthasar Neumann, architecte officiel à la cour de Wurtzbourg. L’attention est attirée par son faux marbre aux tons gris-vert et jaune orangé, sa rampe en fer forgé, ses stucs et la fresque au plafond. On se croirait en Italie ! Les jardins classiques à la française, créés par un élève de Le Nôtre, étaient alors enneigés.
Il existe un autre château.

Bonn *

Visite de Bonn, ville moyenne et tranquille où est né et où a vécu Ludwig van Beethoven,, jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, et qui devint en 1949 la capitale de la RFA.

La maison où naquit Beethoven en décembre 1770 se situe dans la vieille ville.

Quelques maisons anciennes flamandes. Un reste de fortification avec porte.

Le carnaval de Köln **

Durant le Carnaval, tous les musées et les églises sont fermés au public, excepté le Musée municipal, le Zoo et la cathédrale le dernier jour. Nous avons assisté à quelques-uns des temps forts du Carnaval :

Jeudi 11h11

C’est le carnaval des femmes, qui peuvent couper la cravate des messieurs.

Les gens, tous déguisés, entrent dans les cafés pour y boire et danser sur des chansons populaires. J’avais choisi de m’identifier à Marge Simpson.

La plupart du temps, une file d’attente se crée devant les bars. En effet, à l’intérieur, les gens sont tellement entassés qu’il faut attendre que certains sortent pour pouvoir y pénétrer.

Da

ns le sud de Berlin, la tranche d’âge oscille entre 30 et 50 ans. Certains des déguisements font peur !

Samedi soir

Une toute autre ambiance dans un bar sur deux étages dans la vieille ville. La musique est des années 70-80, style discothèque. Ambiance recherche l’âme sœur  et baisodrome sur le côté. Toilettes mafieuses payantes, avec incitation à entrer à plusieurs dans un même cabinet.

Dimanche

Défilés de quartiers.

Rosenmontag (le lundi des roses)

Et en effet il a plu des roses ce jour-là, mais pas seulement ! Lors de ce  défilé de chars toute l’après-midi, de l’historique (bleu) au plus délirant (banane dans une acropole) ou sarcastique (Obama et un chinois dans le même lit, que décou
vre l’Europe),  de fanfares, de « Funkenmariechen » (à la fois majorettes et danseuses) et de caricatures, on nous lance des bouquets de roses, d’orchidées, d’œillets ou de jonquilles, de bonbons, de chocolats, de friandises. Ambiance joyeuse et festive. Tous sont déguisés. Les gradins pour les entreprises et associations, le reste pour le peuple.

Mardi soir

Dernier jour des festivités, la veillée du Mardi gras marque la fin des festivités. Lors d’une retraite aux flambeaux où tous les habitants du quartier entonnent des chants populaires, marqués de coups de grosse caisse, la procession grossit au fil des rues, avant d’aller brûler le « Nubbel », pantin de paille déguisé qui dominait le porche d’un café du quartier durant tout le carnaval.

Source :

L’Allemagne. Michelin et Cie, 2000. pp. 277-293.

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Galadio de Didier Daeninckx (2010)

25.09
2010

Galadio, c’est le prénom secret d’Ulrich, celui que sa mère qui l’élève seule ne prononce jamais. L’adolescent vit mal sa soudaine mise à l’écart de certaines activités comme la natation, et assiste, impuissant, à la confiscation des animaux de ses voisins Juifs, telle Takouze la tortue, puis à leur mise à mort. Un jour, c’est lui que les SA viennent chercher pour faire des « analyses » à l’hôpital, où il retrouve d’autres métis que l’on destine à être stérilisés. C’est alors qu’un couple le choisit comme figurant pour un film de propagande nazie pour son grain de peau, lui, le fruit des amours interdits entre un tirailleur Sénégalais recruté sous le drapeau français et une Allemande, qui fut tondue…

Entre les deux guerres mondiales, le narrateur assiste, dans les rangs des opprimés, à la montée du nazisme et à ses corollaires : l’antisémitisme et le racisme. Pour alimenter cette haine de l’autre, il joue lui-même en tant que figurant puis acteur tous les clichés de rumeurs et de préjugés racistes, de Noirs violeurs de femmes allemandes, de benêts « Y’a bon Banania » recensés dans les scénarii de films de propagande nazie. Il ne peut dès lors jouer que le rôle qu’on lui assigne, devenir que ce que l’on veut qu’il soit. De la même façon, il ne se révolte pas lorsqu’on lui interdit l’accès à la piscine, et d’ailleurs personne ne prend son parti ni ne désobéit. Le silence entoure son exclusion, la passivité permet l’injustice. Les seuls résistants, ce sont les voisins Juifs qui lisent entre les lignes de la presse écrite ennemie, pour se tenir informés, et abritent chez eux Galadio en fuite, et la mère de Galadio qui choisit de le mettre au monde malgré l’opprobre et de le garder… Les actes de résistance, ce sont la recherche d’informations, la lecture, l’esprit critique, la solidarité et l’amour.


DIDIER DAENINCKX GALADIO
envoyé par Backstreetprod. – Regardez plus de courts métrages.

Dans toute son oeuvre, Didier Daeninckx n’a de cesse de rappeler ces détails de l’Histoire qui ne figurent dans aucun manuel, aucun programme. Par le biais d’un destin individuel, il lève tout un pan d’une réalité vécue par des victimes de décisions politiques, exclus et opprimés. Ici encore, il a rassemblé une documentation fouillée pour donner jour à ce roman d’aventures dont le héros, persécuté en Allemagne nazie, partira en quête de son identité en Afrique subsaharienne. Une oeuvre militante écrite d’une plume simple mais efficace.

Dans la même veine, on songera au sort réservé aux Canaques lors de l’Exposition Coloniale de 1931 dans son roman Cannibale, publié en 1998, dans lequel intervient un homme de l’entretien dans un métro, ancien tirailleur sénégalais, et aux esclaves africains au 17e siècle, dans Zumbi de Jean-Paul Delfino.

Du même auteur dans Carnets de SeL :

Meurtres pour mémoire ** (1984),

La mort n’oublie personne ** (1989),

Cannibale ** (Verdier, 1998),

Ceinture rouge précédé de Corvée de bois ** (2001-2002),

Itinéraire d’un salaud ordinaire ** (2006).

DAENINCKX, Didier. – Galadio. – Larousse, 2010. – 175 p. ; 18 cm. – (Les Contemporains, classiques de demain). – ISBN 978-2- : 3,95 euros.

ou Gallimard, 2010. – 139 p.. – ISBN 978-2-07-012953-9 : 15,50 euros.

Seul dans Berlin ** à *** de Hans Fallada (1947)

01.09
2010

Jeder stirbt für sich allein (1965)

« - Quel effet penses-tu que feront nos cartes ? demande Anna.

-    Tous commenceront par éprouver un choc en les voyant et en lisant les premiers mots. Car aujourd’hui tout le monde a peur.

- Oui, dit-elle. Tous.

« Presque tous ont peur, pense-t-elle… Nous, non. »

« - Ceux qui les trouveront, répète-t-il après y avoir réfléchi cent fois, auront peur d’être observés dans l’escalier. Ils dissimuleront vite les cartes et s’éloigneront rapidement… Ou bien, ils les déposeront de nouveau, et le suivant viendra.

- Ce sera comme ça », dit Anna.

Et elle se représente la cage d’escalier : une cage d’escalier mal éclairée, comme elles sont toutes à Berlin. Tous ceux qui liront ces cartes auront soudain l’impression d’être des criminels. Tous donneront raison à l’auteur ; mais on n’a pas le droit de penser ainsi, puisque la mort plane sur ceux qui ont de telles pensées. » (p. 165)

1940. Anna et Otto Quangel apprennent par courrier la mort de leur fils au front, alors que la France vient de capituler. Furieuse contre ce pays qui lui a arraché son fils unique, elle le reproche alors à son mari, resté comme indifférent « Toi et ton Führer ! ». L’insulte fait mouche plus qu’elle ne le croit. Un lent réveil secoue ce dernier, contremaître avare de ses mots et de ses marks, qui décide de réagir face à cette dictature qui terrorise tous ses concitoyens…

Achevé en 1947, l’année de la mort de son auteur, de son vrai nom Rudolf Ditzen, ce roman devra attendre 1965 pour être publié, sous le titre « Jeder stirbt für sich allein », converti en France deux ans après en un « Seul dans Berlin », beaucoup moins fort et universel. C’est en effet un véritable brûlot contre la corruption  et la délation allemandes sous le IIIe Reich, contre la violence profondément inhumaine perpétuée par la Gestapo, contre les méthodes des asiles et hôpitaux, contre une Justice haineuse à la solde du parti. Certes, il ne faisait pas bon vivre non plus quand on était allemand sous Hitler. Mais là ne réside pas seulement l’intérêt de ce roman, au style, il est vrai, plutôt quelconque, mais surtout dans son message d’espoir et d’incitation à la résistance. Primo Levi en parlait d’ailleurs comme étant « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie ». Car on parle peu de ces gens qui, étant parvenus à éviter les camps de concentration à cause de leur couleur politique, ont choisi de devenir des opposants de l’ombre, au sein d’une population effrayée ou endoctrinée. Se mentir à soi-même, taire son sentiment d’équité, pour survivre en obéissant à des lois injustes et haineuses, ou réagir en son âme et conscience, même seul face à des milliers, pour mourir sans un remords, sans honte de ce que l’on a été, de ce que l’on a fait ? Tel est le dilemme auquel se trouvèrent confrontés de nombreux peuples, et peut-être cet exemple aura-t-il encore besoin d’être relu car l’Histoire fonctionne hélas parfois par cycles, et il n’est meilleur terreau pour attiser la haine des minorités que l’indigence, et il n’est meilleure voie pour instaurer une dictature que la remise en cause de la liberté d’expression avec, pour commencer, le contrôle des médias.

« Il ne suffit pas de vouloir sauver quelqu’un, encore faut-il que ce quelqu’un vous aide. » (p. 148)

FALLADA, Hans. – Seul dans Berlin / trad. De l’all. Par A. Virelle et A. Vandevoorde. – Denoël, 2009. – 558 p.. – (Folio ; 3977). – ISBN 978-2-07-031296-2 : 8,20 euros.

Acheté fin juin 2010 à la librairie « Les Temps modernes » d’Orléans.

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Paula T. une femme allemande *** de Christoph Hein

14.05
2010

Paula T. une  femme allemande

Titre original : Frau Paula Trousseau

Pour quitter au plus vite son père qui terrorise sa famille et une mère et un frère alcooliques, Paula se jette dans les bras d’un mari qui ne la veut qu’au foyer et n’hésite pas, pour arriver à ses fins, à substituer un placebo à ses pilules. Mais Paula, qui a arrêté sa formation d’infirmière et a été reçue à l’examen d’entrée de l’école des Beaux-Arts de Berlin, est fermement décidée à poursuivre ses études, même enceinte, et à devenir peintre…

Christoph Hein (Prise de territoire) signe là un magnifique roman d’apprentissage, moins par la qualité de son écriture que par les thèmes exploités et l’émotion suscitée. Il brosse en effet le portrait d’un personnage endurci par l’égocentrisme d’un père puis d’un mari de la « vieille école », qui, à son tour, va être taxé d’égoïste pour ses choix allant à l’encontre de sa nature de femme et de mère, se méfiant à jamais des hommes (p. 209), mais aussi d’artiste de l’Allemagne de l’Est. En mettant l’accent sur la non-représentation publique de sa grande toile blanche et l’impossibilité pour Paula de suivre sa tendance à l’abstrait, le roman souligne la difficulté d’être créateur dans certains pays et à certaines époques (p. 199).

« Je sentais que la nouvelle toile était enfin sur la bonne voie. J’étais soulagée, car lorsque la toile refusait de me laisser pénétrer en elle, quand elle ne me forçait pas à travailler, il y avait quelque chose qui clochait dans mon travail. Ou en moi. J’avais déjà fait cette expérience. Le matin lorsque j’étais impatiente de me trouver devant mon chevalet, ou énervée parce que j’avais des rendez-vous dont je voulais me débarrasser le plus rapidement possible pour pouvoir enfin me mettre au travail, je savais que j’étais sur le bon chemin et que je n’allais pas au-devant d’un échec, comme c’était si souvent le cas. » (p. 258)

Il évoque aussi le dilemme entre sa vocation d’artiste et ses renoncements pour des travaux alimentaires, les méthodes d’enseignement (p. 202), la beauté  de la Nature qui se dérobe comme motif (p. 330), les périodes d’inspiration et de désillusion (p. 258). Un beau roman.

HEIN, Christoph. – Paula T. une femme allemande / trad. de l’allemand par Nicole Bary. – Paris : Métailié, 2010. – 417 p. : couv. ill. en coul. ; 22*14 cm.. – (Bibliothèque allemande). – ISBN 978-2-86424-722-7 : 22 €.

Le goût de Berlin ** (2008)

07.09
2008

Affaiblie par une première guerre mondiale, ravagée par la seconde, Berlin s’est vue ensuite coupée en deux par un mur liberticide, symbole de la guerre froide. Elle est seulement depuis deux décennies devenue un véritable hâvre de paix, une capitale culturelle attractive. Ce petit recueil propose de revivre son histoire contemporaine, de l’Empire à aujourd’hui, à travers une petite trentaine d’extraits de romans, aussi bien de Céline que l’exemplaire Acte de résistance d’Hans Fallada.

Ce petit recueil est parfait pour se replonger dans l’histoire de cette ville pas comme les autres, redevenue capitale en 1991. Il rappelle les innombrables visages qui l’ont composée,  tous ceux surtout qu’elle veut oublier, les noms de places (l’actuelle Rosa-Luxembourg Platz) et de rues (Danziger Strasse) qui se sont succédés, et le visage  calme qu’elle offre aujourd’hui, avec ses grands parcs, ses gratte-ciel aux façades en verre d’un capitalisme triomphant et ses quartiers bohèmes avec ses squats et sa scène underground. Les  commentaires, à la suite des extraits, sur les vestiges visibles du passé évoqué de la ville contribuent à faire de cette anthologie un guide parfait pour préparer mentalement un premier séjour à Berlin (vous le retrouverez d’ailleurs cité dans le carnet de voyage à Berlin).

Mes extraits préférés ? Deux récits en pleine période nazie, l’un faisant preuve d’Acte de résistance, tiré de Seul dans Berlin de Hans Fallada, chroniqué depuis dans Carnets de SeL, l’autre témoignant de la propagande liberticide, extrait de L’été de cristal de Philip Kerr. Un troisième, issu de Was bleibt de Christa Wolf, largement autobiographique, témoigne de la surveillance omniprésente de la Stasi.

Mercure de France, 2008. – (le petit mercure). – ISBN 978-2-7152-2493-3.

Prise de territoire ** de Christoph Hein (2004)

08.01
2007

Titre original : Landnahme
Publié en 2004 en Allemagne, et chez Métailié en 2006.

C’est jour de carnaval à Guldenberg, quand Thomas Nicolas y revient, quelques dizaines d’années après, et y interpelle celui qu’on appelait alors perce-bois derrière son dos car son père, manchot, était menuisier. A l’époque, il devait avoir 10 ans et s’était retrouvé sur le même banc à l’école que ce Bernhard Haber qui ne déserrait jamais les dents et quepersonne, pas même le directeur, n’osait jamais affronter. Un jour, l’atelier du père Haber avait brûlé : un incendie criminel, avait-il affirmé, un incendie volontaire avaient rétorqué les mauvaises langues, qui ne manquaient pas, les habitants de Guldenberg ayant vu arriver d’un très mauvais oeil les familles de réfugiés et de sinistrés de Silésie, qu’il leur fallait loger et avec lesquelles il fallaitdésormais compter. Parmi lesquelles  la famille Haber, dont on retrouve bientôt le chien du garçon, son seul ami, étranglé…

Il s’agit d’un roman à plusieurs voix, dont la première s’ouvre et se referme sur cette étrange rencontre du Berlinois avec cet ancien réfugié sans le sou qui, quarante ans après, semble être devenu l’un des hommes les plus importants de la ville. A travers les digressions de leur propre histoire, quatre autre narrateurs vont donc à sa suite combler cette parenthèse, de l’écolier taciturne au militant communiste, puis du passeur de clandestins vers Berlin ouest jusqu’au bourgeois prospère en ce jour de carnaval. Et à travers ces multiples visions d’un même homme prêt à tout pour montrer ce dont il est capable à cette ville xénophobe et à ses habitants hostiles, c’est le visage tourmenté d’une Allemagne de l’est d’après-guerre, d’avant puis d’après le mur de Berlin, que nous montre en filigrane Christoph Hein.

Lire aussi, mais seulement après votre lecture, la critique du Matricule des Anges.

trad. de l’allemand par Nicole Bary- Métailié, 2006. – 315 p.. – (Bibliothèque allemande). – ISBN : 2-86424-592-2 : 22 €.
Service de presse
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