Mots-clefs ‘Afrique subsaharienne’

Kossi Efoui (2004)

08.12
2005

Né en 1962 à Anfoin au Togo, il a étudié à l’université du Bénin au Togo avant de s’établir en France, exilé. Il a publié plusieurs pièces de théâtre et deux romans : La Polka, son premier roman, et La Fabrique des cérémonies. C’est ce que l’on pourrait appeler une « nouvelle voix d’Afrique » car, selon Bernard Magnier (directeur de la collection « Afriques » chez Actes Sud), il fait partie de ceux qui « ne se sentent plus chargés d’une mission ».
Qu’est-ce à dire ? Avant, l’écrivain en Afrique se devait d’être un porte-parole, il devait parler au nom des autres. Ce sont la quête d’identité et l’engagement social et politique qui nourrissaient alors son oeuvre.–A quand d’ailleurs l’écriture en langue peule, walof ou malinké ?– A présent, différents thèmes, différents genres sont exploités. De nouvelles écritures font leur apparition : l’écrivain africain a désormais son style propre, ainsi que ses thèmes propres. Il est écrivain. Point.

Au cours de cette intervention, c’est la passion pour sa vocation qui animera les longues mains et le discours de Kossi Efoui, cet homme au crâne nu qui  semble ne devoir jamais vieillir, paraissant facilement dix années de moins avec son « look de jeune » et sa soif des mots sonores :

Comment devient-on écrivain ?

C‘est une passion, une vocation. Beckett a répondu « C’est bon qu’à ça. » L’acte d’écrire est un acte de recherche. Etre chercheur en biologie ou poète, c’est la même chose. Cela demande la même curiosité.

La littérature, c’est un grenier où quiconque peut légitimement prendre cet héritage. C’est l’espace le plus vaste à habiter pour l’instant. C’est pour cela que j’écris. Ca m’aide à voir le monde. Ecrire pour moi c’est une lampe. Ca éclaire le monde. Et si subitement je m’arrêtais d’écrire, je serais comme un myope qui perd ses lunettes. Il y a quelque chose qui devient flou dans ma perception du monde.

« Bon qu’à ça », c’est une vraie fausse réponse car je ne pouvais pas le savoir avant de commencer. Aujourd’hui je peux dire cela. J’en ai l’expérience. Et je sais aujourd’hui que si je perds ça, je perds mes lunettes. C’est une façon pour moi de questionner le monde, de questionner ma pensée et mon rapport aux autres. Qu’est-ce qui a fait que j’ai commencé ? C’est l’appel. A force de découvrir des auteurs, cela finit par donner envie. J’utilise un vocabulaire mystique. Je parle d’appel, de vocation. On est appelé par des auteurs qui nous ont précédé ou qui sont nos contemporains, et qui nous ouvrent tout à coup des choses au-delà du livre que nous sommes en train de lire.

Enfant, je regardais à l’intérieur d’une montre comment tous ces mécanismes fabriquaient l’heure. Et, à un moment donné, je crois que les livres ont produit sur moi cet effet-là : ils m’ont donné envie de lire ce qui est sur le cadran, c’est-à-dire la page du livre, mais aussi tout le mécanisme qui est derrière. Ils m’ont appelé, comme certains entrent en religion, comme certains ne sont « bons qu’à cela », étaient faits pour cela.

Est-ce qu’il est difficile de commencer à écrire ?

Il faut d’abord une grande curiosité. Ensuite il faut avoir conscience de la difficulté.

Le disciple choisit ses maîtres, sa bibliothèque.

Choisir ses compagnons, c’est se connaître soi-même.

Personne ne devient Victor Hugo ou Beckett, mais on devient soi. Victor Hugo, lui, avait dit : « Je serai Chateaubriand ou rien. » Mais il est devenu pour tous Victor Hugo.

Quelles sont vos lectures ?

Ce fut Beckett à une époque. Antonio Lobo Antunes, un écrivain portugais, avec son Manuel des inquisiteurs et son Exhortation aux crocodiles. Claude Simon. Des poètes : Michaux, Francis Ponge, René Char. Italo Calvino. José Angel Valente. Tchékov. Novarina. Car ce sont des écrivains sonores.

Où puisez-vous l’inspiration ?

En vivant. En puisant dans ce qui m’est familier comme en partant ailleurs.

Pourquoi passer du théâtre au roman ?

Il ne s’agit pas d’une progression. Je jouais déjà dans une troupe. Avec la présence permanente de la censure sous la dictature du Congo, le Parti unique de l’Etat, le théâtre offrait la possibilité de contourner la dictature clandestinement.

Vos pièces ont-elles été représentées ?

Oui, l’avant-dernière dans le 18e arrondissement, et la dernière à New-York par une troupe à Harlem.

Sur quoi écrivez-vous ?

Sur mes obsessions : l’enfermement. Une prison de 100 000 m2 reste une prison. J’écris donc sur les multiples métaphores de l’enfermement.

Ecrivez-vous pour les Togolais ?

Mon premier amour à 17 ans, c’était Les Ames mortes de Gogol alors que c’était russe et que cela datait du 19e siècle.

Le lecteur n’a pas de visage. C’est une relation d’esprit à esprit.

Y a-t-il encore une place pour la parole ?

Avant, les aïeux véhiculaient la parole.

A présent, la transmission orale passe par la radio.

Existe-t-il un poids de la tradition africaine dans la littérature africaine ?

Le poids est très lourd. La littérature est très conservatrice.

Un écrivain africain ne se revendique pas comme écrivain. L’écriture africaine implique une conscience collective. Un écrivain africain ne peut être qu’un écrivain engagé. Il doit être le porte-parole de son peuple. C’est une sacrée pesanteur car c’est ça et rien d’autre, sinon on le désavoue. Or l’écriture est l’un des actes les plus individuels par excellence.

Vivez-vous de votre plume ?

On parle alors de droits d’auteur. Quelqu’un qui vit des retombées de sa plume a vraiment eu un succès d’estime. C’es rare. Je suis publié chez Le Seuil. Les éditions du Seuil créent un climat de confiance. On vit aussi d’ateliers d’écritures.

Comment écrivez-vous ?

Je convoque l’inspiration.

C’est à la fois une liberté et une discipline qu’on se fixe à soi-même. Par exemple, je me donne 4 heures par jour, même si je n’ai rien écrit au bout du compte.

Et l’écriture en elle-même ?

Je pars d’un noyau. La construction est quelque peu chaotique au début mais le chaos s’organise peu à peu. Parfois je commence par un chapitre qui n’a été qu’un catalyseur de tout le reste. J’ai plein d’images en vrac que je mets en place.

Avant, j’écrivais dans un grand cahier. A gauche, je jetais au brouillon mes idées. A droite, c’était le manuscrit. Je passais alors par une phase d’identification de ma propre écriture.

A présent, mon cahier, c’est le brouillon, le chaos. Et l’écran de l’ordinateur met tout de suite une distance entre moi et les caractères imprimés.

Bribes de son intervention retranscrites le jeudi 14 décembre 2004, à Orléans.

La mort du roi Tsongor *** de Laurent Gaudé (2002)

28.11
2005

Laurent Gaudé

Au cœur d’une Afrique ancestrale, le vieux Tsongor, roi de Massaba, souverain d’un empire immense, s’apprête à marier sa fille. Mais au jour des fiançailles, un deuxième prétendant surgit, ancien camarade de jeu des enfants Tsongor, ayant jadis emporté avec lui la promesse de cette même jeune fille de l’épouser. Le roi ne choisit d’autre issue que de demander à son fidèle serviteur Katabolonga de le ôter la vie. Avant de mourir, il charge son plus jeune fils d’une mission pouvant prendre toute une vie : celle de parcourir le continent pour y construire sept tombeaux à l’image de ce qu’il fut, roi vénéré après avoir été un belligérant sanguinaire…


Ce roman atemporel met au jour la honte au fond de chacun, l’orgueil vain, la concupiscence, la rivalité entre fratrie, et révèle surtout l’issue de toute guerre : la perte de vies humaines, la défaite. Une magnifique tragédie dont Laurent Gaudé a su donner la valeur d’un symbole.

GAUDE, Laurent. – La Mort du roi Tsongor. – Arles : Actes Sud, 2002. – 204 p. ; 22 cm. – ISBN  2-7427-3924-6 : 15,90 €.

Sorti en poche.
Roman dédicacé le 15/03/2008 au Salon du Livre.

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La polka de Kossi Efoui

08.11
2005
Ce roman peut paraître un peu déroutant au premier abord. L’histoire se déroule dans la Capitale, ville sans nom mais riche en surnoms : Ville-Basse, Ville-Haute, Saint-Dallas. La Ville-Basse vivotait, elle vit maintenant avec le centre névralgique du Bar M.. Mais « les événements » mettent le chaos : les gens fuient, meurent. Et « La Polka » (Nahéma do Nacimiento) ne donne plus signe de vie malgré les appels à la radio du narrateur… Et pourtant, au dos de la carte postale la représentant, le narrateur avait noté pour l’avenir « Nous ne nous sommes plus quittés« …

Un roman qui porte en lui une voix singulière, sonore, vivante, pour donner une idée de tout simplement la difficulté à vivre, à se projeter dans un avenir, à aimer, parfois, dans certains pays… La thématique de Kossi Efoui ? La dictature, les massacres transformés en « rumeurs », l’Afrique fabriquée (cf. La Fabrique des cérémonies). Un roman qui peut sembler difficile d’accès tant la langue est mouvante, le style dense et foisonnant.

Sylvain Kodjo Mehoun : introduction (2004)

10.10
2005

C’est habillé en touareg que Kodjo Mehoun a franchi le seuil de la porte.

Qu’est-ce qu’un conte africain ? Nous expliqua Kodja Mehoun avec force d’exemples : c’est d’abord des leçons de vie ; que veut nous dire le narrateur ?

C’est ensuite un noyau d’histoire qu’il a pu entendre, qu’il a envie d’étoffer et de modifier comme il l’entend.

Ainsi ce conte d’une vache qui passe. Sa bouse tombe par inadvertance sur un petit oiseau posé là. Arrive un renard qui secoue l’oiseau pour retirer sa bouse… et le mange.

Trois moralités sont à tirer de cette histoire : la première, c’est que celui qui nous crée des ennuis ne nous veut pas forcément du mal ; la seconde, c’est que celui qui nous tire des ennuis ne nous veut pas forcément du bien ; la troisième, c’est que celui qui a des ennuis ne doit pas hésiter à appeler à l’aide. A partir de ce canevas initial, Kodjo Mehoun a tissé toute une trame, tout un contexte, une quantité de détails, donnant de l’épaisseur à ce si petit conte.

C’est aussi et surtout un choix intéressant de personnages permettant d’évoquer son entourage susceptible ou son gouvernement sans avoir à les nommer, à se justifier. Ainsi, le roi sera représenté par le roi des animaux, c’est-à-dire le lion, et ainsi de suite, prêtant aux animaux des caractères humains. Ainsi cette belle jeune femme qui dans le village ne voulait épouser personne. Un conteur, pour ne pas la heurter de front, choisit d’inventer une histoire où elle se reconnaîtrait forcément.

Une jeune femme très belle refusait sa main à tous les prétendants de son village jusqu’au jour où arriva un très beau jeune homme. Elle l’épousa et partit avec lui. Là, il se transforma en boa et d’un coup l’avala.

Pourquoi un serpent ? Parce qu’il est sournois. Que deviendrait cette histoire transposée de nos jours ? Une belle jeune fille sort avec un jeune lycéen qu’elle juge au moins aussi beau qu’elle, prévenant, galant, mais qui, une fois avec elle, la fait souffrir car par exemple il la trompe sans cesse avec d’autres filles. La morale de cette histoire, vous l’aurez compris, c’est qu’il faut se garder de ne se fier qu’à l’apparence extérieure…

La veille, nous explique Kodjo, il se trouvait avec d’autres intermittents du spectacle face à des députés et, endossant son rôle de conteur, avait inventé le conte suivant :

Un tigre apparemment content de lui cria au zèbre qui passait par là :

- « Profite bien de courir car tu figures sur ma liste.
- De quelle liste parles-tu donc ?
- Eh bien, regarde : je t’ai inscrit pour midi. Tu seras mangé
! »

Sylvain Kodjo Mehoun : « On te raconte une histoire et tu dis « Ouah ! C’est beau. » Tu fais appel à ta mémoire personnelle ensuite pour raconter ton histoire.

Pourquoi ? Par exemple, un conteur africain te raconte l’histoire de deux femmes.

C‘est l’histoire d’un homme qui avait épousé deux femmes. L’une était très jalouse et l’autre ne l’était pas. C’est normal puisque certaines personnes n’aiment pas partager. Et les deux étaient bossues. La première était bossue, certes, mais c’est une légère bosse. La seconde avait une bien plus grosse bosse mais était très gentille. Une voisine, un jour, raconta à cette dernière qu’elle appréciait beaucoup « ce soir, des déesses viendront danser, va avec elles et demande à l’une d’entre elles : « Prenez mon bébé qui est derrière mon dos. » Alors elles prendront ton bébé et tu devras fuir. Après tu n’auras plus de bosse. »" Et cela a marché. Et le lendemain, quand l’autre voit que la gentille épouse n’a plus de bosse, elle est encore plus jalouse et elle veut savoir ce qu’elle a fait pour ne plus avoir de bosse. La deuxième femme est si gentille qu’elle lui dit la vérité. Du coup, la première femme retourne une nuit danser et dit à sa voisine surnaturelle : « Peux-tu prendre l’enfant qui est dans mon dos pour que je danse ? » « Non non non, cela fait un bon moment qu’il y en a une qui m’a passé son bébé sans revenir le chercher. C’est à mon tour de danser. » Et la déesse lui donne l’autre bosse sur son dos, si bien que l’épouse se retrouve avec deux bosses.

Cela, c’est l’histoire que je viens de raconter. Maintenant, si vous allez vérifier dans le livre, ce ne sera pas pareil. C’est différent car j’ai utilisé mes mots, j’ai utilisé un prénom qui n’existait pas dans le livre, et donc c’est à vous de vous approprier les contes pour les transformer.

Par exemple, vous allez voir un match de foot : vous rentrez chez vous raconter le match à quelqu’un. Vous n’allez pas commencer par le début, mais par les moments qui vous ont le plus plu : « au moment où il allait marquer un but, on aurait dit qu’il avait quatre pieds ! » On va peut-être te répondre que tu es marseillais, que tu mens, mais c’est toi qui ajoutes.

Quand on parle de conte africain, on s’imagine qu’on va parler des animaux de la brousse, que le conteur va arriver avec un jumbé, des clochettes. C’est beau mais il y a très longtemps que cela ne se passe plus ainsi. Ca évolue. Certains conteurs effectivement sont conservateurs et sont restés là-dessus car c’est leur formation, du genre des griots. Je ne suis pas un griot, je ne peux pas l’être. Il ne faut pas confondre griot et conteur : les griots sont conteurs, mais surtout ils sont la mémoire du peuple, ce sont des journalistes, ils sont tout, ils sont immenses. Moi, je ne suis qu’un conteur, donc je prends tout juste une fonction des griots qui racontaient des histoires.

Moi, je n’ai pas vécu dans la jungle. Même ceux qui parlent d’animaux dans leurs contes n’ont jamais vécu dans la jungle, ils ne comprennent pas le langage du lion, ils ne comprennent pas le langage des lièvres. Pourquoi utilisent-ils des animaux ? Souvent les histoires qu’ils racontent sont faites pour corriger des moeurs, pour donner des conseils. Elles proposent une morale. Si je dis à une adolescente « arrête de mâcher du chewing-gum », elle va se fâcher. Mais si je lui dis :  »Ecoute, je vais te raconter l’histoire d’une biche, très belle. A chaque fois que la biche accompagnait ses collègues pour ses randonnées, elle n’arrêtait pas de brouter. » Et je lui invente une histoire pour que cela la dégoûte de mâcher toute la journée, alors que cela reste l’histoire d’une biche.

Et quand je parle du lion, au jour d’aujourd’hui, c’est le président de mon pays. C’est le roi des animaux. Je ne peux pas le nommer. Si je dis   »Mon président, il a tué quelqu’un. », il faut que j’apporte des preuves, que je prenne un avocat, etc… Or là, je parle du lion !
Quand Birago Diop parlait de la bosse, c’est juste pour matérialiser les défauts que nous avons.

Je puise beaucoup dans le répertoire du conte africain, que je raconte avec un regard de citadin parisien, puisque cela fait longtemps que j’habite Paris. Je peux par exemple raconter l’histoire d’un lion ou d’une hyène dans le métro. Vous allez me dire « Il est malade, il raconte n’importe quoi. » Mais si, car certaines personnes ont des comportements de hyène. Tu leur dis tout juste « Bonjour » dans le métro, c’est comme si tu les agressais. « Oh ! Un noir qui me dit bonjour ! » Ca, c’est une hyène, ce n’est pas une personne. Les gens disent : « Il nous a raconté une histoire. Il a parlé d’une hyène. » Alors que moi je parle d’une personne à qui j’ai dit « bonjour » dans le métro et qui n’a pas compris ! Elle est là dans son coin à lire un livre, je veux m’assoir à côté d’elle et je dis « Bonjour madame. », et elle de paniquer. Une hyène qui lit un livre, il vient d’où, lui ? Maintenant vous avez compris.

Les lendemains qui chantent de Maxime N’Debeka

24.09
2005

PIECE EN QUATRE ACTES

La première femme du village, épouse du Maître tout-puissant, apprend le retour de son neveu de la ville. Ce dernier, en pleine ascension politique, est chargé d’une mission par le gouvernement : celle de convaincre tous les habitants de la contrée, et donc le Maître et les Anciens, de couper les arbres au bois rare de leur forêt pour l’essor économique du pays. Le Maître disparaît, laissant les habitants perplexes. Son fils, qui devait un jour prendre sa succession, semble épouser les idées de son cousin. Seule la première femme reste fidèle à son mari au silence d’autant plus effrayant que d’abominables fléaux frappent le pays depuis.

Une pièce très engagée, aussi bien au niveau politique qu’écologique, marquant bien la division entre la ruralité attachée aux croyances, aux traditions et à la nature avec laquelle les villageois vivent en osmose, et la ville gagnée par le capitalisme colonisateur occidental. Un texte malgré tout très poétique et empreint d’un réalisme fantastique.

N’DEBEKA, Maxime.- Les lendemains qui chantent. – Présence Africaine, 1983. – 107 p.. – ISBN 2-7087-0417-6.

Une si longue lettre de Mariama Ba

05.09
2005

Une oeuvre majeure pour sa description de la condition des femmes. Au coeur de ce roman, la lettre que l’une d’elle adresse à sa meilleure amie, pendant la réclusion traditionnelle qui suit son veuvage. Tandis que sa belle-famille vient prestement reprendre les affaires du défunt, Ramatoulaye évoque avec douleur le jour où son mari prit une seconde épouse, ruinant 25 années de vie commune et d’amour.

J’ai lu les 60 premières pages. Le style est lent mais beau, mais l’histoire ne m’a pas séduite au point de poursuivre.

BA, Mariama.- Une si longue lettre.- Paris : LE SERPENT A PLUMES, 2003.- 164 p..- Motifs, 137.- ISBN 2-84261-289-2

Maxime N’Debeka (2004)

08.10
2004

Entrevue avec Maxime N’Débéka le mardi 19 mai 2004 sur le théâtre africain

En 1963 naît un grand mouvement culturel qui s’impose dans la cité en 1964 : Maxime N’Débéka, dramaturge, metteur en scène, conteur et poète congolais, organise alors un festival à Brazzaville. En 1969, on lui confie un local, un secrétaire et une salle annexe avec des comédiens. Le théâtre n’existe pas. Il ne dispose que de 1400 Francs ! Il produit alors du théâtre, de la danse, du chant, tout en français. Il propose un théâtre d’action, qu’il écrit pour les autres, sensiblement différent du théâtre fossilisé, à la forme imposée, jouant inlassablement des classiques comme La Comédie Française. Il ne s’agit pas de prendre Molière tel quel mais d’y introduire les jurons du pays, par exemple. Il réagit en créant un centre de recherche dramatique : « On ne peut pas être un artiste si on n’est pas soi-même. » Comme Peter Brook, il pense que dans la vie, les gens dans l’ensemble réagissent et rient de tout leur être. Maxime N’Debeka a ainsi participé activement depuis 1969 à la vie culturelle de son pays mais s’est aussi beaucoup engagé pour l’émancipation civique de ses concitoyens – il a été condamné à mort, déporté et placé en résidence surveillée. Il est habitué à intervenir en public scolaire et habite depuis 1999 à Blois.

Il a été formé au Sénégal dans une école de formation des cadres de l’administration coloniale. Dans cette formation, il y avait le théâtre, théâtre voulu comme le véhicule de transmission de la culture française, …

« parce que, là-bas, c’était la barbarie. D’abord, là-bas, il n’y avait pas de civilisation, il n’y avait pas de culture. Parce qu’au niveau de la colonisation française, il fallait ASSIMILER, c’est-à-dire qu’il fallait transformer ce peuple colonisé, leur faire adopter la culture française, pour qu’ils deviennent des citoyens français, pour qu’ils n’aient plus rien d’eux-mêmes. D’ailleurs, à cette époque –là, dans leur formation, l’histoire africaine n’existait pas. La géographie n’existait pas. On apprenait l’histoire de France. On apprenait la géographie française, donc la France, nous, on la connaissait du bout des doigts. On avait chez nous un grand fleuve, le Congo, énorme, mais on le connaissait à peine. Le grand fleuve, dans nos têtes, c’était la Seine, la Loire. Figurez-vous alors que le jour où je débarque à Paris, à 16 ans, je vais tout de suite voir la Seine et que je suis très déçu ! Ça, un fleuve, mais c’est un cours d’eau !

On forme donc ces cadres au théâtre pour qu’ils puissent ensuite par le biais du théâtre combattre les idées archaïques, barbares. Donc le théâtre a un objectif, un but et une forme arrêtés ; c’est vraiment un recours éducatif. Il devait assurer une marche rapide et efficace de l’Afrique vers le modernisme et la sortir de l’archaïsme. Cette école a donc formé des lettrés, des enseignants, des médecins, qui allaient faire du théâtre. Là, le théâtre était pris comme au 19e siècle. Au 19e siècle, les gens de théâtre dominaient la société française, bien plus que les romanciers, plus confidentiels. Etre classe, c’était se rendre au théâtre, se montrer au théâtre.

Et je suis convaincu que pour faire bouger les choses, les liens communautaires, pour agir sur un groupe, cela passe par un rassemblement, une manifestation collective, la religion, les fêtes, et le théâtre rassemble les gens comme dans une église, et lance des messages.

Ensuite surviennent les Indépendances, d’abord avec la période de lutte pour les Indépendances et tout de suite après, les Indépendances. Et pendant cette période le théâtre va changer un peu sa thématique. Les écritures sont encore assez rigides (ce qui a été enseigné, ce qui vient de France, c’est ça ce qui est bien), mais maintenant, ce qui bouge, ce sont les contenus. Et là, c’est un retour vers les sources. On veut récupérer un petit peu les identités, les cultures qui ont été niées, bannies, rejetées, décriées, et c’est un mouvement qui démarre avec la négritude autour des années 48, avec Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, et puis Gontran de la Mas, le Guyanais. Un mouvement important apparaît donc pour parler de la culture noire. Nous sommes noirs, et chez nous, il y a aussi de belles choses, et ils vont commencer à écrire, à magnifier cette identité, cette culture africaine. Au théâtre aussi, il y a ce retour aux sources, et l’on commence alors à parler des figures emblématiques du passé. Comme Béatrice du Congo qui au 17e siècle va être brûlée vive par les Portugais, les curés, parce qu’elle avait osé soulever les gens, créer une église synthétique, et dire que Saint-Antoine, le Saint-Patron des Portugais, était noir. Elle a donc été brûlée vive comme Jeanne d’Arc. Et il y a des figures emblématiques comme Chacazoulou, grand guerrier qui va conquérir le Zimbabwe et va aller jusqu’en Afrique du sud.  Il y a Béanzin, une guerrière amazone, au Bénin. On fait donc passer ce message à travers le théâtre pour dire « nous avons été grands. On avait une histoire».  C’était extraordinaire de se découvrir, de se regarder, d’ailleurs c’est la fonction du théâtre. La différence entre les rassemblements religieux et le théâtre, c’est qu’à l’église, on ne se regarde pas, on regarde vers l’au-delà, on regarde celui qui prêche, le passeur, mais le théâtre, c’est un moment, un moyen de vous faire regarder le monde, les autres, et en regardant les autres, nous pouvons explorer le monde, la société, l’homme, les autres et nous-mêmes.  Le théâtre, dans toutes les sociétés, est important, d’autant plus que cette découverte, cette exploration se fait ensemble. Il y a ce que l’on reçoit ensemble, et il y a ce que chacun reçoit individuellement. Il y a quelque chose de profond et de magique dans le théâtre.

Après avoir revisité l’histoire, après avoir donné l’occasion aux gens de se regarder, de s’interroger, d’explorer leur société, leur propre moi, il va y avoir une autre phase vers la fin des années 60, le début des années 70. Et là, dans certains pays et particulièrement le Congo Brazzaville, le théâtre devient un instrument de la critique, de la dénonciation. Ce regard avant sur l’Afrique était idéalisé. On est malheureux aujourd’hui parce qu’on a été colonisé par des étrangers, mais depuis les Indépendances, c’est nous qui dirigeons, donc cela va aller mieux, et 10 ans après, il apparaît que le pouvoir en place donne une impression de désastre plus insupportable encore quand c’est un frère qui a soudain un poste et qui agit comme un colonialiste. A cette époque d’ailleurs j’ai écrit un texte qu’on a aimé ou pour lequel on m’en a voulu énormément. Après ces Indépendances, on n’a fait que noircir les fauteuils. Et bien évidemment, ceux qui étaient sur ces fauteuils m’en voulaient à mort. Ce théâtre va donc être un théâtre de la désillusion, du désenchantement, qui va se mettre à critiquer, à dénoncer, et va atteindre le roman. Et selon les théoriciens, le texte qui inaugure cette période, c’est le texte du Président que j’ai écrit en 68. Et à l’époque, quand j’écrivais, j’étais loin de penser que j’allais marquer un moment. Je constatais que la situation politique de mon pauvre pays était de plus en plus difficile. Et j’avais fait trois versions de ce texte, dont une comique, et finalement c’est la version dramatique que j’ai choisi de publier.  Et tout de suite après, il y a eu beaucoup de textes. Et quand ce texte est paru, il y a eu des articles dans Le Monde ou Le Monde diplomatique où on mettait en parallèle ce texte avec celui de l’écrivain sud-américain Asturias, El presidente, à un moment donné où il y avait aussi des dictatures.

Je citerai pour la toute première génération qui relance le théâtre africain : Bernard Dadié, Massam Ka Dian Diabaté, Jean Pliat.
Pour le théâtre du désenchantement, il y a des noms qui s’imposent : d’abord Bernard Dadier, qui est de Côte d’Ivoire, Bernard Zaïzaou avec L’Oeil, moi-même, Maxime N’Debeka, et beaucoup d’autres qui vont venir après.

Notre mouvement, dans les années 80, va venir s’imposer. Le théâtre est en train de naître. Le théâtre, ce n’est pas seulement le texte, mais aussi la dramaturgie, la mise en scène. Qu’est-ce que le théâtre africain ? Comment le jouer ? Par exemple, Bernard Zaïzaou n’a pas forcément de texte, mais incorpore le corps, entraîné par la musique, le chant. Le théâtre, c’est du spectacle, ce n’est pas seulement les mots, ce qui réduirait le théâtre au verbe, et on resterait à la conception du théâtre au 18e siècle français.
Ainsi, avant je pouvais écrire du théâtre sans penser à la scène. Mais aujourd’hui je ne peux pas démarrer les premiers mots si je n’ai pas les béquilles, si je n’ai pas dans ma tête déjà toute une composition, tout l’aspect physique.»