Mots-clefs ‘Afghanistan’

Burqa ! ** par S. Bassano di Tufillo et J. Mujahed (2008)

19.09
2010

Édition originale publiée en Italie en 2007.

Aux 24 illustrations en pleine page de droite, de Simona Bassano di Tufillo, dont l’ironie mordante croque à pleines dents les absurdités d’une vie quotidienne sous la burqa, répond le texte Ma vie à Kaboul de Jamila Mujahed, qui raconte l’arrivée des Talibans au pouvoir à Kaboul en Aghanistan, synonyme de descente aux enfers pour toutes les femmes du pays, obligées de rester cloîtrées chez elles ou risquant une sortie à l’extérieur dans cette autre prison, bien plus minuscule et suffocante, qu’est la Burqa.

On ne pouvait rêver meilleur biais pour dénoncer la condition faite aux femmes en leur imposant le port de la burqa. La complémentarité entre ce témoignage accablant de l’infantilisation et de l’humiliation faite aux femmes, et les illustrations cocasses, mais faisant passer instantanément un message tout aussi fort, laisse le lecteur partagé entre en rire ou en pleurer. Énorme !

Editions de la martinière, 2008. – n. p.. – ISBN 978-2-7324-3772-9 : 12 €.

Un clandestin aux Paradis * de Vincent Karle (2010)

22.05
2009

Au début Zaher, Matéo l’appelait le Taliban, en rigolant avec les autres, parce qu’il venait de l’Afghanistan.

« L’Afghanistan, c’est les potes à Ben Laden qui ont fait sauter les tours à New-York, alors nous on se méfiait, quoi, c’est normal. Je l’ai surnommé le Taliban. C’est un mot qu’on entend tout le temps à la télé. » (p. 8)

Et puis, peu à peu, ils ont appris à se connaître et sont devenus amis, jusqu’au jour où le chien de la brigade des stups, laquelle fait une descente en plein cours, vient renifler Matéo puis le pull de Zaher près duquel il a fumé. Tous deux sont alors emmenés pour être fouillés et interrogés…

Un récit engagé qui se veut le reflet d’un témoignage révoltant, celui d’un adolescent écœuré par le sort réservé à son ami, réfugié politique sans-papier. Mission réussie.

KARLE, Vincent. – Un clandestin aux Paradis. – Arles : Actes sud junior, 2009. – 91 p.. ; 18*11 cm. – (D’une seule voix). – ISBN 978-2-7427-8363-2 : 7,80 €.

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Les hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra

26.04
2009

Dans un Kaboul caniculaire où les talibans épient le moindre manquement aux lois établies, deux couples se déchirent. Tandis qu’Atiq, geôlier, fuit le domicile conjugal où son épouse Mussarat dépérit d’une maladie incurable, Zunaira, belle et brillante, interdite d’exercer son métier d’avocate, ne reconnait plus son mari, Mohsen, et ne se reconnait plus elle-même, emprisonnée sous son tchadri, à qui on a retiré toute liberté et toute dignité…

« Depuis cette altercation dans la rue de Kaboul, il ne distingue plus le jour de la nuit. Quelque chose d’irréversible a sanctionné cette maudite sortie. Si seulement il avait écouté sa femme ! Comment a-t-il pu croire que les promenades d’amour étaient encore possibles dans une ville aux allures de mouroir, infestée d’énergumènes rébarbatifs portant dans le regard la noirceur de la nuit des temps ? » (p. 121)

 

 

C’est une magnifique oraison funèbre que ce roman, celle de la liberté, de l’amour et de la vie, confisqués par l’extrémisme religieux, tout comme un hommage rendu à toutes ces femmes dont on bâillonne l’identité et la valeur, à la Femme et à leur Amour. Un miroir sans concession d’une situation intolérable. Lire Les Hirondelles de Kaboul suffit à faire naître un sourd sentiment de révolte. Quand la puissance d’évocation de la fiction devient plus forte et plus dure que tous les essais et documentaires…

Syngué Sabour d’Atiq Rahimi

10.08
2008
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2008
SÉLECTION GONCOURT

syngué sabour n.f. (du perse syngue ‘pierre‘, et sabour ‘patience‘). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s’agit d’une pierre magique que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères… On lui confie tout ce que l’on n’ose pas révéler aux autres… Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Et ce jour-là, on est délivré. (4e de couverture)


Cette pierre, c’est un homme à qui une femme afghane confie ses secrets. Il s’agit de son mari depuis plus de dix ans, le père de ses deux petites filles, un héros constamment au front aux yeux des autres, un inconnu pour elle qui ne l’a vu pour la première fois qu’au bout de trois ans de mariage. Un légume qui survit depuis trois semaines avec une balle dans la nuque, gisant immobile sur son lit, les yeux ouverts dans lesquels elle verse du collyre, la bouche alimentée par un goutte à goutte d’eau sucrée salée ; et qu’elle continue de soigner en pleine guerre civile, veillant au maintien de son existence, ayant trouvé en sa présence muette un exutoire de tout ce qu’elle a vécu et subi.

« Le grincement hésitant d’une porte qui s’ouvre, le bruit des pas prudents qui s’avancent dans le couloir, ne brisent pas ce silence de mort ; ils le soulignent.
Les pas s’arrêtent derrière la porte. Après une longue pause – quatre souffles de l’homme -, la porte s’ouvre. C’est la femme. Elle entre. Son regard ne se pose pas immédiatement sur lui, elle explore d’abord l’état de la pièce : les débris de vitres, la suie qui s’est déposée sur les oiseaux migrateurs des rideaux, sur les rayures éteintes du kilim, sur le Coran laissé ouvert, sur la poche de perfusion qui se vide de ses dernières gouttes sucrées-salées… Ensuite il balaye le drap couvrant les jambes cadavériques de l’homme, effleure sa barbe et finit par atteindre ses yeux. » (p. 47)

Fort, puissant, ciselé, épuré, ce court roman concentre en lui tous les non-dits d’une femme soumise à une religion, à un mari, à sa belle-famille, à sa famille, aux hommes. Hélas, aucune de ses confidences ne nous surprend vraiment : qu’il est dur d’être née femme quand l’endroit où l’on est né subit la loi et la religion d’hommes qui ont assis leur pouvoir sur les femmes musulmanes, sans daigner les respecter ni les écouter, où l’on subit l’intégrisme de plein fouet. Tour à tour sont ainsi dénoncés le mariage forcé, un islam liberticide et culpabilisant, le seul plaisir masculin, l’orgueil déplacé des hommes… Mais c’est la concision, la puissance de l’évocation de cette vie ramassée en ces 150 pages, la force de ces phrases syncopées, brèves, répétitives, égrenées comme son chapelet, comme la respiration de cet homme qui rythme désormais les journées de cette femme, comme le goutte à goutte qui coule entre ses lèvres, qui nous marquent plus profondément que n’importe quel autre roman ou documentaire sur le sujet, et ce par un homme, un Afghan, qui écrit pour la première fois en langue française … Un huis-clos que l’on pourrait facilement adapter au théâtre. C’est la prose dépouillée, mise à nu comme l’âme de cette femme, qui s’impose, belle et désespérée. Un excellent candidat au Goncourt, qui bouleversera ou perturbera sans aucun doute les lycéens qui auront à décerner leur propre lauréat.

Temps de lecture : 90 minutes environ

RAHIMI, Atiq. – Syngué sabour : pierre de patience. – P.O.L., 2008. –  154 p.. – ISBN 978-2-84682-277-0 : 15 €.

Dossier de presse :

- La République des livres, le blog de Pierre Assouline

- Télérama

- Evene

- La Croix

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