Mots-clefs ‘19e siècle’

Les naufragés de la méduse de Bordas & Deveney

02.06
2020

IMG_20200601_171959Théodore Géricault entreprend, deux ans après, de peindre le drame qui s’est joué après le naufrage de la Méduse près du Sénégal le 2 juillet 1816, et qui fit scandale en France. Contre l’avis de son oncle royaliste, avec la femme duquel il a une liaison, il consulte les archives, écoute les témoignages des rescapés, fait revivre le procès de son commandant, le royaliste Hugues Duroy de Chaumareys, dont l’incompétence envoya à la mort 160 personnes, dont 147 hommes abandonnés sans vivres sur un radeau de fortune. Décidant de rompre avec sa tante Alexandrine, il laisse le sujet le dévorer tout entier et expose son gigantesque tableau en 1819.

Pour relater l’histoire de ce chef d’œuvre de la peinture romantique, Jean-Christophe Deveney choisit d’entremêler le récit biographique du jeune peintre Théodore Géricault, cherchant à s’éloigner d’un amour interdit et à marquer les esprits par son tableau, avec celui des rescapés du radeau, réchappant de peu à la mort et à la folie en se livrant à des actes d’anthropophagie. Le résultat est brillant : son histoire tout comme les dessins de Jean-Sébastien Bordas nous transportent à cette époque et nous tiennent en haleine durant 170 pages. Un album superbe, qui peut toutefois heurter les sensibilités.

Les naufragés de la méduse de Jean-Sébastien Bordas & Jean-Christophe Deveney
Casterman, 2020
170 p. : ill. en coul. ; 29*22 cm
EAN13 9782203132429 : 26 €
Théodore Géricault / drame / 19e siècle

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Ni Dieu ni maître : Auguste Blanqui, l’enfermé

12.03
2014
cop. Casterman

cop. Casterman

Sur ses 76 années d’existence, Auguste Blanqui (1805-1881) en vécut plus de 43 emprisonné, privé de sa liberté de mouvement, mais pas de sa liberté de penser. Pour dépeindre la biographie de cet homme engagé, Maximilien Le Roy a choisi de faire revivre le parcours de ce grand révolutionnaire républicain socialiste non marxiste par l’intermédiaire du journaliste Aurélien Marcadet qui vient lui rendre visite chaque vendredi dans sa cellule. Enfermé, Blanqui le fut, lui qui ne mâchait pas ses mots en s’adressant à la foule ou à ses lecteurs, par l’intermédiaire de journaux, lui qui prônait la révolution des prolétaires par la violence pour renverser le pouvoir, sous le règne de Charles X, de Louis-Philippe puis de Napoléon III. Il fait d’ailleurs tellement peur au gouvernement que durant la Commune, Thiers, ayant peur de relâcher ce révolutionnaire qui pourrait prendre la tête des Communards, refuse de l’échanger contre 74 otages, dont un archevêque. A la fin de sa vie, enfin libéré, Blanqui fonde le journal au titre désormais célèbre Ni Dieu ni maître.

Pari gagné que cette biographie de Blanqui qui fut pourtant plus de la moitié de sa vie contraint à l’inactivité, en utilisant la mise en abime du protagoniste se prêtant à l’exercice de ses mémoires. Loïc Locatelli Kournwsky aide à la compréhension de ses va-et-vients en alternant pour ses traits simples et directs les tons chauds des flash-back avec les tons froids du présent. Un rappel révoltant d’un grand homme au fort sentiment de Justice et d’Egalité injustement mis au ban de la Société et de sa propre vie.

 

LOCATELLI KOURNWSKY, Loïc, LE ROY, Maximilien. - Ni Dieu ni maître : Auguste Blanqui, l’enfermé. – Casterman, 2014. – 208 p. : ill. en coul. ; 28 cm. – EAN13 9782203051577 : 23 €.

Le droit à la paresse ** de Paul Lafargue (1893)

28.01
2011

Le droit à la paresse… Tout de suite d’aucuns songent à Epicure, et ne croient pas si bien penser, car voici les paroles d’Adolphe Tiers contre lesquelles Paul Lafargue va s’élever dès la première phrase de son pamphlet, écrit en 1893 alors qu’il se trouvait en prison : « Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : « Jouis » » (Discours prononcé au sein de la Commission sur l’instruction primaire de 1849). Car cette volonté politique prouve à quel point « la parole capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d’anathème la chair du travailleur ; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci. » (p. 8) Or, vous l’avez compris, Paul Lafargue, gendre de Marx, va condamner cette forme de folie qui est l’aliénation du travail, « l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. » (p. 11)

Pour ce faire, il ne cesse de se référer aux sociétés antiques et passées, comme en Grèce, où les hommes libres méprisaient le travail, qu’ils laissaient aux esclaves, et ne s’adonnaient qu’aux exercices corporels et aux jeux de l’intelligence.

Au lieu de ça, « à la fatigue d’une journée démesurément longue, puisqu’elle a au moins quinze heures, vient se joindre pour ces malheureux celle des allées et venues si fréquentes, si pénibles. Il résulte que le soir ils arrivent chez eux accablés par le besoin de dormir, et que le lendemain ils sortent avant d’être complètement reposés pour se trouver à l’atelier à l’heure de l’ouverture. » (p. 21). 120 ans après, l’amplitude horaire d’une journée a certes diminué, mais on y reconnaît encore sans peine le schéma « métro-boulot-dodo ».

De même, nous vivons toujours dans une société de surproduction, dont les travailleurs ne sont pas souvent les plus gros consommateurs, et où l’industrie profite de la menace du chômage pour fabriquer à meilleur marché et embaucher à moindre prix, pour engranger de plus gros bénéfices : son constat n’a pas changé.

Alors quelle solution propose-t-il ? Tout bonnement de ne faire travailler les ouvriers que trois heures par jour, afin que ces derniers aient tout loisir de bien se reposer, d’aller au spectacle, au théâtre, et de consommer les fruits de son travail. Trois heures ! Il y va un peu fort, tout de même, même pour aujourd’hui, plus d’un siècle après. Nous qui, en France, ne sommes qu’aux 35 heures, il propose ni plus ni moins une semaine de 18 à 21 heures. Belle perspective, pour arriver au plein emploi de la population active, mais, dans les mentalités, pas pour tout de suite, ni proportionnellement aux salaires actuels.

Ce pamphlet est d’une brûlante actualité : « Travailler plus pour gagner… plus ? » Ce que Paul Lafargue déplorait alors n’a pas changé : ce sont les victimes elles-mêmes qui réclament toujours leur droit au travail, leur droit à travailler plus, à faire des heures supplémentaires… Pourquoi ? Parce que leur salaire reste réellement insuffisant pour vivre correctement (ne faut-il pas plutôt valoriser le taux horaire ? Est-ce normal que le travail d’un mois suffise à peine à payer loyer, factures, transports et nourriture ?) ou pour s’offrir de nouveaux besoins dictés par ces mêmes commerces et industries qui les exploitent (fashion victim, course aux soldes, aux nouveaux produits technologiques, durée de vie moindre du petit et gros électroménager,…).

A lire et à relire tant qu’il paraîtra hélas toujours utopique aux yeux du plus grand nombre.

Vous pouvez le lire en ligne gratuitement dans son édition originale.
Le droit à la paresse / Lafargue ; avec une postf. de Gigi Bergamin ; ill. de Frantz Rey. – [Paris] : Mille et une nuits, 1994 (Impr. en Italie). – 79 p. : ill., couv. ill. en coul. ; 15 cm. – (Mille et une nuits ; 30). - Bibliogr. p. 79. - ISBN 2-910233-30-8 (br.) : 10 F.

Lafargue, Paul (1842-1911), de nationalité française, né à Santiago de Cuba le 15 janvier 1842, mort à Draveil (Essonne) le 25 novembre 1911 : Homme politique, médecin et journaliste. – Théoricien marxiste. – Fondateur du parti ouvrier français (1880)

De la différence des sexes * (2010)

18.12
2010

A l’aune de leur expertise sur ces périodes et à l’encontre de notre vision progressiste de l’Histoire, huit historiennes et historiens s’interrogent sur le statut et la place des femmes dans la démocratie athénienne, dans la culture romaine ou byzantine, au Moyen Âge, sous l’Ancien Régime, au XIXe ou XXe siècles.

Selon Violaine Sebillotte Cuchet, même si la fonction première de ces dernières restait l’enfantement, le principe de filiation politique prévalait dans la démocratie athénienne, intégrait ainsi du féminin et des femmes. Aussi le critère fondamental de distinction dans la cité démocratique, plus que la catégorisation sexiste, départageait les individus inscrits dans une maison citoyenne des étrangers et des esclaves.

Thomas Späth ne se prononce pas sur la dichotomie homme-femme dans la Rome antique, l’état des recherches sur la question ne le lui permettant pas, mais affirme d’ores et déjà que celle-ci est inapte à représenter le système symbolique du genre.

Georges Sidéris constate que la trisexuation modèle toute la société byzantine : « Conçus comme un contre-pouvoir face aux ambitions des militaires et une institution de limitation de la violence, chargés de garantir la pudeur des femmes de la famille impériale, les eunuques ont su dépasser leur fonction première qui les confinait au palais et à ses alentours pour apparaître comme une composante constitutive de la société, aux côtés des hommes et des femmes. » (p. 100)

Durant le Moyen-Âge, Anne-Marie Helvétius observe combien « la montée en puissance du clergé, fermé aux femmes, correspond à une dégradation de la position des laïcs en général et des femmes en particulier dans l’Eglise et dans le société. » (p. 103), auxquelles on ne concède plus que la fonction de dévôte ou le rôle de bonne épouse et mère, exclue du lit du prêtre à partir du XIe siècle.

Sylvie Steinberg souligne que la conception très hiérarchisante sous l’Ancien Régime permet certes à quelques grandes dames à dominer des hommes de rang inférieur, à des femmes au « tempérament viril » de devenir chef de famille, mais tout ceci ne reste que très théorique et utopique.

Alice Primi critique l’apparition, au XIXe siècle, du concept d’ »éternel féminin », ô combien réducteur et destructeur pour la femme, dont la nature la prédisposerait à telle ou telle humeur et à tel ou tel fonction sociale. Alors que l’homme vit pour lui-même, paraît neutre, la femme apparaît conditionnée par sa faiblesse déguisée en fragilité, et son rôle maternel. Pour se faire entendre, les femmes se heurtent toujours aux mêmes obstacles : elles se trouvent exclues de tous les débats politiques et de tous les droits civiques, et elles sont intégrées dans un système prônant une « identité féminine » qui les infériorise en prétendant les valoriser.

Françoise Thébaut dresse l’historique des avancées civiques et sociales des femmes au XXe siècle, concluant sur les élections présidentielles de 2007 où, pour une fois, une candidate, Ségolène Royale, a osé mettre en avant sa féminité, et non l’occulter.

Un ouvrage passionnant et érudit qui resitue la notion de genre à travers l’Histoire dans une longue série de contributions, et s’achève par l’analyse qu’en a fait Foucault.

De la différence des sexes : le genre en histoire / sous la dir. de Michèle Riot-Sarcey. – Larousse, 2010. – 287 p. ; 22 cm. – (Bibliothèque historique Larousse). – ISBN 978-2-03-583983-1 : 18 €.
Service de presse.

Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde *** de Stanislas Gros (2008)

23.12
2009

« Oui, ce tableau est beau… Et il le restera éternellement, tandis que moi, je vais devenir vieux et laid… Si seulement on pouvait être le contraire… Pour cela je donnerais mon âme ! » (p. 8).

Basil Hallesarb peint un magnifique tableau de son ami Dorian Gray, inspiré par sa grande beauté. Lord Henry, son autre ami fortuné, dont le cynisme attire ou scandalise dans les cercles mondains, lequel « ne dit jamais rien de moral et ne fait jamais rien d’immoral« , va alors fortement et durablement influencer Dorian Gray : « Pourtant, le seul moyen de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y céder. (…) Vivez ! Osez pleinement la vie merveilleuse qui est en vous ! » (p. 7).

Porté par sa curiosité et son égoïsme, Dorian Gray va donc devenir cruel, alors que seul son portrait, soigneusement dissimulé aux regards, va porter le poids de tous ses péchés, la beauté et la jeunesse de son visage, elles, ne s’en trouvent pas altérées : »Vous avez excité en moi, Harry, une curiosité qui croit à mesure qu’elle trouve à se satisfaire… Plus j’en sais, plus je désire en savoir : mes appétits sont furieux, et en s’assouvissant deviennent plus voraces encore ! » (p. 32)…

Stanislas Gros, dans la préface, énumère un certain nombre de citations sur l’artiste et sur le XIXe siècle, comme celle de ne pas confondre l’art et son sujet. Car en effet, l’auteur  adapte ici librement un roman fantastique célèbre, celui d’Oscar Wilde, où le personnage principal atteint le paroxysme de l’immoralité, sans pour autant que son auteur ait voulu en faire l’apologie, bien au contraire. En rendantl’intrigue plus concise, en offrant un raccourci saisissant du destin de Dorian Gray, le scénariste rend plus frappante encore la déchéance morale du protagoniste. D’ailleurs, il n’y a qu’à feuilleter rapidement la bande dessinée, et l’on verra son portrait, sur la vignette au bas de chaque planche à droite, s’enlaidir et vieillir en quelques secondes.

Enfin, à l’aide  de bulles et d’illustrations assez proches de l’horizon d’attente du lecteur, Stanislas Gros insère dans le scénario, avec beaucoup de goût et d’à propos, d’innombrables références intertextuelles : à Friedrich Nietzsche (Lord Henry), aux traits de Greta Garbo, au poème Les Bijoux de Charles Baudelaire, aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos,  à Huysmans (tortue incrustée de pierres précieuses), aux préraphaélites (Ophélie),  à Audrey Beardsley, et aux photographies de Lewis Hine. Sincèrement, à lire cette bande dessinée, on en vient à prendre des distances avec les préceptes hédonistes et individualistes de Nietsche repris par Michel Onfray, dont on perçoit ici à quelles extrémités ils peuvent aboutir.

Un vrai coup de coeur.
Une bande dessinée pour adultes et adolescents aimant la littérature ou l’époque de la fin du 19e siècle, qui constitue une excellente idée cadeau !

« Et puis j’aime le secret. La chose la plus banale devient délicieuse dès l’instant où on la dissimule… » (p. 4)

« Eh bien, les gens d’aujourd’hui sont charitables, ils nourrissent les affamés, vêtent les mendiants, mais ils ont oublié le plus important des devoirs : l’épanouissement de soi. Ils ont peur d’eux-mêmes, de Dieu, de la société… » (p. 7)

« la société civilisée n’est jamais portée à rien croire de négatif sur le compte des gens riches et séduisants. Elle sent d’instinct que les manières comptent plus que la moralité. » (p. 38)

Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde / sc. et dessin de Stanislas Gros, coul. de Laurence Lacroix. – Delcourt, 2008. – 63 p.. – (Ex Libris). – ISBN  978-2-7560-1120-2.

La coulée de feu de Valerio Evangelisti

17.05
2009

 

cop. Métailié et Carnets de SeL

A Brownsville, en 1859, à  l’arrivée des rangers, la veuve Marion Gillepsie décide de partir avec ses deux enfants, Christine et Ruppert, aux côtés de Don José San Ramon, tandis que la petite Mexicaine Margarita Magon échappe des griffes du sudiste William Henry pour se placer sous la protection de Carvajal, dans les tumultes de trente ans de guerre dont surgira la nation mexicaine.

Valerio Evangelisti nous transporte avec talent dans une grande fresque historique, dont on suit le destin d’une galerie de portraits, souvent tragique. En filigrane, il y dénonce les discriminations raciales, le sort réservé à ces indiennes et mexicaines considérées au mieux comme de petits animaux, et le massacre des Indiens. Un roman-fleuve qui nous permet d’appréhender un sujet que maîtrise bien l’auteur, ancien professeur d’histoire.

« La dame chez qui, à quatre heures du matin de ce 16 septembre 1859, William Robertson Henry, dit « Big Bill », se trouvait, n’était nullement mexicaine. Marion Salstreet Gillepsie, veuve quadragénaire d’un sous-officier de Fort Brown tombé deux ans plus tôt dans un guet-apens des Comanches, avait du mal à cohabiter avec les quatre esclaves nègres qui la servaient. Et pourtant, elle trouvait encore plus repoussants les Mexicains qui s’obstinaient à vivre à Brownsville (…). » (incipit, p. 19)

 

EVANGELISTI, Valerio. – La coulée de feu / trad. de l’italien par Serge Quadruppani. – Métailié, 2009. – 413 p.. – (Bibliothèque italienne). – ISBN 978-2-86424-645-9 : 22 €.