Mots-clefs ‘1939-1945’

186 marches vers les nuages de Joseph Bialot (2009)

25.03
2009

copyright Métailié

Sorti de onze années d’internement dans un camp nazi, Bert Waldeck n’en a pas pour autant fini avec cette guerre. A Berlin, où ne l’attendent plus sa mère et sa femme, déportées, il est « recruté » par un officier américain pour l’aider à retrouver un certain Hans Steiner, recherché comme criminel de guerre…

A travers cette histoire d’espionnage c’est un Berlin trouble d’après-guerre, dévasté, que nous dépeint l’auteur, où personne n’est vraiment ce qu’il semble être, mais surtout un témoignage bouleversant des horreurs commises à partir du pogrom de la nuit de Cristal.

« Je n’existe plus. Bert Waldeck n’est plus un individu mais une parcelle de cette gigantesque terreur qui ravage les hommes. Ce n’est pas ma peau qui tremble en solo mais tout mon squelette, mes muscles, mes nerfs. Les squelettes, les muscles et les nerfs de mes compagnons ne forment plus que ce silence de deuil hurlé sans musique. » (p. 14)

BIALOT, Joseph. – 186 marches vers les nuages. – Métailié, 2009. – 171 p.. – ISBN 978-2-86424-685-5 : 15 €.

Voir le commentaire sur l’ancien blog

Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel

22.09
2007

copyright Stock

Dans un village isolé, peut-être en Alsace, vient d’être assassiné l’Anderer, l’autre, celui qui est arrivé un jour tout sourire sans jamais dire son nom. Alors les hommes du village, comme pour se disculper, chargent Brodeck d’une mission, celle de raconter comment tout cela s’est passé, depuis le début, dans un rapport. Mais en rappelant ses souvenirs à lui, Brodeck fait ressurgir aussi, malgré lui, tout un passé qui date de bien au-delà de l’arrivée de cet homme doux mais étrange, un passé ancré dans l’Histoire, dans ce qu’elle a connu de plus inhumain, et dans celle du village, qu’il ne faut surtout pas déterrer…
car

« L’homme est un animal qui toujours recommence. » (p. 185)

« N’oublie pas que c’est l’ignorance qui triomphe toujours, Brodeck, pas le savoir. » (p. 224)

Juste un bémol qui me faisait hésiter à mettre jusqu’à quatre étoiles (fait rarissime) à ce dernier roman de Philippe Claudel, un auteur dont j’apprécie à la fois l’oeuvre et l’homme, simple et discret, pour le peu que j’ai pu le rencontrer, à mon sens son meilleur roman, un roman remuant le passé que l’on repose, sa lecture achevée, triste et révolté :

à cette parfaite maîtrise de l’intrigue, savamment orchestrée, énonçant le meurtre d’un homme dès l’incipit, comme dans Chronique d’une mort annoncée de Gabriel Garcia Marquez, pour ensuite nous imprégner de l’atmosphère de ce village et de son passé dé-peint au grand jour, distillée à petites gouttes au moyen de va et vient temporels, d’hésitations du narrateur entre le réel et la fiction, de réflexions sur le pourquoi, sur ce mélange de peur et de bêtise collectives, sur le pardon, d’interrogations sur l’Histoire comme somme d’expériences particulières, alliant construction réfléchie et souci du détail,concision et justesse du style, il manque juste cette petite pointe d’originalité qui nous aurait fait crier au chef d’oeuvre… mais si vous ne deviez n’acheter qu’un roman français faisant l’actualité de cette année, ce serait bien celui-là ! C’est un bon et beau roman, que dis-je, c’est un très beau roman. Gageons, je l’espère, que Philippe Claudel ne se contentera pas cette fois de figurer parmi les concourables, mais qu’il verra son dernier roman s’orner d’un prix, lequel du coup retrouvera lui-même un peu de son prestige.

Quelques perles au milieu de tant d’autres dont la poésie apaise la noirceur du roman :

« J’ai toujours eu un peu de mal à parler et à dire le fond de ma pensée. Je préfère écrire. Il me semble alors que les mots deviennent très dociles, à venir me manger dans la main comme des petits oiseaux, et j’en fais presque ce que je veux, tandis que lorsque j’essaie de les assembler dans l’air, ils se dérobent. » (p. 47-48)

« Elle avait de grands yeux verts, très beaux, avec des paillettes d’or sur le pourtour de leur iris. Je me souviens d’avoir pensé que les yeux n’ont pas d’âge, et que l’on meurt avec ses yeux d’enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l’ont plus lâché. » (p. 60)

CLAUDEL, Philippe. - Le rapport de Brodeck. - Stock, 2007. - 400 p.. – ISBN : 978-2-234-05773-9 :21,50 €.
Voir les 8 commentaires sur l’ancien blog

P.S. : Il a effectivement reçu un prix, celui du Goncourt des Lycéens, le plus cher à mes yeux.
P.S. 2 : Roman dédicacé lors du Salon du livre de Paris le samedi 15 mars 2008.

Lignes de faille *** de Nancy Huston (2006)

15.10
2006

cop. Actes Sud

Nancy Huston part de ces dernières années en Californie – le 11 septembre, le président Bush, le gouverneur Schwarzy – vues à travers le prisme d’un garçon de six ans, Sol, dorloté par sa maman, et partant en voyage en Allemagne avec sa grand-mère juive pratiquante et son arrière-grand-mère allemande pour des raisons qui lui échappent totalement. Elle remonte ensuite une génération, en 1982, par les yeux du père cette fois, Randall, alors âgé de six ans, dont la mère, future docteur « du Mal », poursuit des recherches sur le passé de sa propre mère d’abord en Allemagne puis en Israël. 1962 : c’est l’enfance de Sadie, sa mère, au même âge, vouant une admiration sans borne pour sa mère chanteuse, Kristina, et trouve un père en son beau-père, Peter Silbermann qui, lui, est juif. 1944-1945 : Kristina adore sa famille, jusqu’à ce qu’un jeune garçon y entre et lui confirme ses soupçons…

Forte ! Elle est vraiment très forte, cette Nancy Huston. D’abord d’avoir eu cette idée particulièrement originale de remonter le temps dans cette famille américaine-type sur quatre générations, jusqu’au dévoilement du secret, mais surtout, surtout, d’avoir su montrer un univers familial à travers les yeux de ces enfants de six ans, recevant au fil des générations une éducation différente, ces père ou mère, grand-mère ou arrière-grand-mère redevenant tour à tour les enfants qu’ils avaient été, découvrant des vérités ou intrigués par des secrets, dans une chaîne sans fin portant néanmoins un signe de reconnaissance qui prouve leur appartenance à une même lignée. Le premier univers des années 2000 est d’ailleurs déconcertant de cruauté et d’humour : ce petit Dieu vivant, égoïste, ne semble plus rien n’avoir d’innocent. Est-ce donc ainsi que Nancy Huston perçoit le nouveau règne de l’enfant-roi dans cette famille américaine de base, applaudissant les exploits de l’armée de Bush en Irak ? Les univers suivants nous détrompent peu à peu de cette première mauvaise impression, et laissent progressivement entrevoir l’absurdité d’une Histoire qui ne connaît que l’aveuglement et l’égoïsme, et non l’amour et le partage.

Un excellent roman, au procédé ingénieux, dont je continue à penser que l’on en a trop peu parlé lors de cette rentrée.

HUSTON, Nancy. - Lignes de faille. – Actes Sud, 2006. – 487 p.. – ISBN : 2-7427-6259-0 : 21,60 €.

10 jours en Espagne d’Elsa Triolet

01.10
2006

10 jours en Espagne  fut écrit et publié (avec des passages censurés) en russe en 1937. Elsa Triolet y fait le reportage d’un séjour en Espagne avec Aragon et d’autres écrivains afin d’y rencontrer des Républicains. En quelques flashes, elle nous fait entrevoir tantôt une Espagne l’arme au poing  tantôt le quotidien des petites gens ordinaires.

Un court texte suit, J’ai perdu mon cœur au Boulou : le style s’avère plus maîtrisé, plus lyrique, pour relater, deux ans après, l’immigration à la frontière française de réfugiés espagnols. Ces deux textes, certes très accessibles, sous-entendent néanmoins une connaissance de cette période historique et de l’engagement politique du couple Elsa-Aragon.

TRIOLET, Elsa.- 10 jours en Espagne. – Rambouillet : Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, 2005. – 103 p..- ISBN : 2-84109-586-x : 8 euros.

La Shoah ***

08.02
2006

Préfacé par Simone Veil, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, l’hebdomadaire Les Clés de l’Actualité pour les 14-18 ans publie ce numéro spécial entièrement consacré à l’histoire de la Shoah et signé pour la plupart des textes par des historiens. Pour ce faire, il présente une chronologie illustrée puis rappelle le paysage européen foncièrement antisémite de l’entre-deux-guerres sur lequel va s’appuyer la propagande nazie. Le tiers de l’ouvrage retrace ensuite, avec force dates, photographies et infographies, l’abominable histoire de la déportation puis de l’extermination systématique des Juifs, sans omettre de mentionner les nombreuses résistances organisées et les actes courageux des Justes. Au chapitre suivant, avec le récit de l’ouverture des camps vient l’heure de la découverte de l’innommable, du bilan et des jugements pour crimes contre l’humanité. Un dernier chapitre, enfin, aborde la question du devoir de mémoire.

Dans chaque chapitre de cet ouvrage richement documenté, chaque partie est relatée et expliquée sur une double page particulièrement bien construite, avec, sur la gauche, le rappel de sa localisation dans le sommaire chronologique, au centre un texte clair avec des encadrés, deux à trois illustrations, photographies ou infographies, et sur la droite un lexique et un renvoi à des romans, des documentaires ou des films. Un excellent documentaire.

CABANEL, Patrick, FIJALKOW, Jacques. - La Shoah. / préf. de Simone Veil.– Milan, 2006. – 98 p. : ill. en coul. et n.b.. – 26*18 cm.. – (Les Clés de l’Actualité hors-série). – ISSN : 1167-9883 : 5,50 €.
Voir le commentaire sur l’ancien blog