Danseuse américaine rendue célèbre à la Belle Epoque pour ses chorégraphies jouant avec les reflets de la lumière sur ses voiles de soie immenses, Loïe Fuller (1862-1928) fut à l’avant-garde de la danse moderne et, dès son arrivée à Paris en 1892 aux Folies Bergères, l’une des égéries de l’Art nouveau.
Dans la préface de cette nouvelle édition, Giovanni Lista, historien et critique d’art italien, auteur de l’unique ouvrage d’art consacré à cette danseuse, évoque celle qu’on appelait la Fée Electricité (rendue aveugle à la fin de sa vie par la lumière électrique), comme ayant été une féministe avant l’heure, affichant son homosexualité, assumant pleinement son rôle d’artiste créatrice, et comptant parmi ses admirateurs – excusez du peu – Toulouse-Lautrec, Nadar, Méliès, Rodin, Mallarmé, les frères Lumières, Paul Adam, Valéry, Rodenbach et Jean Lorrain.
Pourtant, contrairement à la belle autobiographie que nous a offert Isadora Duncan avec Ma vie***, Loïe Fuller nous donne certes à lire les grandes lignes des plus belles années de sa carrière jusqu’en 1908, mais elle ne les émaille que de quelques rencontres qui l’ont marquée, composant autant de chapitres, telles celle avec Sarah Bernhardt, celle avec Alexandre Dumas fils ou celle en 1902 avec Rodin, mais sans avoir aucun souci d’exhaustivité. Difficile alors de ne pas se sentir frustrée de ne jamais entendre parler des artistes cités dans la préface de Giovanni Lista !
En outre, en consacrant un chapitre à sa rencontre avec la mère de Gab et sa future jeune compagne, avec qui elle vécut huit années, Loïe Fuller n’évoque qu’indirectement son homosexualité, pourtant notoire, que relate Isadora Duncan dans Ma vie… un tabou, surtout à l’époque, que visiblement elle ne souhaitait pas lever par écrit. D’ailleurs c’est l’une des raisons pour lesquelles Isadora Duncan est partie sans donnée de nouvelle, fuyant la cour de jeunes admiratrices lesbiennes qu’entretenait Loïe Fuller, et dont cette dernière ne parle jamais ici, si bien que Loïe Fuller qualifiera d’ingrate celle qui la surpassera bientôt en notoriété.
En revanche, Loïe Fuller ne passe jamais sous silence l’enthousiasme de ses admirateurs et de son public, qui souvent dépasse « toutes les bornes« , faisant du reste, de ce point de vue, assez peu preuve d’humilité.
A la suite de cette autobiographie originellement intitulée Quinze ans de ma vie (que vous pouvez lire ci-dessous), et préfacée par Anatole France, sont retranscrits quelques-uns de ses écrits sur la danse, dans lesquels Loïe Fuller évoque sa conception de la danse, non seulement fondée sur l’importance du mouvement, de la vue et de l’émotion, mais aussi sur les dernières découvertes des physiciens qu’elle côtoie.
« Doucement – presque religieusement – j’agitai la soie, et je vis que j’obtenais tout un monde d’ondulations que l’on ne connaissait pas encore. J’allais créer une danse ! Comment n’y avais-je encore jamais pensé ? Deux de mes amies, Mme Hoffman et sa fille, Mme Hossack, venaient, de temps en temps, voir où j’en étais de mes découvertes. Lorsque je trouvais un geste ou une attitude qui avaient l’air de quelque chose, elles disaient : « Gardez cela, répétez-le. » Finalement je pus me rendre compte que chaque mouvement du corps provoque un résultat de plis d’étoffe, de chatoiement des draperies mathématiquement et systématiquement prévisibles. » (p. 26)
Au final cette autobiographie nous laisse un arrière-goût de trop peu, ce qui est bon signe, et nous donne envie de découvrir l’ouvrage plus conséquent que Giovanni Lista a consacré à cette danseuse atypique qui imitait la Nature à l’aide des effets de lumière sur son costume breveté.
FULLER, Loïe. – Ma vie et la danse ; suivie de Écrits sur la danse / [trad. de l'anglais par le prince Bojidar Karageorgevitch] ; [avant-propos de Giovanni Lista] ; [préf. d'Anatole France]. – Paris : l’Oeil d’or, 2002. – 177 p. : ill. en noir et en coul., couv. ill. en coul. ; 21 cm. – (Mémoires & miroirs).Notice réd. d’après la couv.. – Contient : « La danse » ; « Danse ultra-violette » ; « Le langage de la danse » ; « Théorie de la danse » ; « L’oiseau noir »
ISBN 2-913661-04-01 : 15 €.