Syngué Sabour d’Atiq Rahimi

10.08
2008
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2008
SÉLECTION GONCOURT

syngué sabour n.f. (du perse syngue ‘pierre‘, et sabour ‘patience‘). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s’agit d’une pierre magique que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères… On lui confie tout ce que l’on n’ose pas révéler aux autres… Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Et ce jour-là, on est délivré. (4e de couverture)


Cette pierre, c’est un homme à qui une femme afghane confie ses secrets. Il s’agit de son mari depuis plus de dix ans, le père de ses deux petites filles, un héros constamment au front aux yeux des autres, un inconnu pour elle qui ne l’a vu pour la première fois qu’au bout de trois ans de mariage. Un légume qui survit depuis trois semaines avec une balle dans la nuque, gisant immobile sur son lit, les yeux ouverts dans lesquels elle verse du collyre, la bouche alimentée par un goutte à goutte d’eau sucrée salée ; et qu’elle continue de soigner en pleine guerre civile, veillant au maintien de son existence, ayant trouvé en sa présence muette un exutoire de tout ce qu’elle a vécu et subi.

« Le grincement hésitant d’une porte qui s’ouvre, le bruit des pas prudents qui s’avancent dans le couloir, ne brisent pas ce silence de mort ; ils le soulignent.
Les pas s’arrêtent derrière la porte. Après une longue pause – quatre souffles de l’homme -, la porte s’ouvre. C’est la femme. Elle entre. Son regard ne se pose pas immédiatement sur lui, elle explore d’abord l’état de la pièce : les débris de vitres, la suie qui s’est déposée sur les oiseaux migrateurs des rideaux, sur les rayures éteintes du kilim, sur le Coran laissé ouvert, sur la poche de perfusion qui se vide de ses dernières gouttes sucrées-salées… Ensuite il balaye le drap couvrant les jambes cadavériques de l’homme, effleure sa barbe et finit par atteindre ses yeux. » (p. 47)

Fort, puissant, ciselé, épuré, ce court roman concentre en lui tous les non-dits d’une femme soumise à une religion, à un mari, à sa belle-famille, à sa famille, aux hommes. Hélas, aucune de ses confidences ne nous surprend vraiment : qu’il est dur d’être née femme quand l’endroit où l’on est né subit la loi et la religion d’hommes qui ont assis leur pouvoir sur les femmes musulmanes, sans daigner les respecter ni les écouter, où l’on subit l’intégrisme de plein fouet. Tour à tour sont ainsi dénoncés le mariage forcé, un islam liberticide et culpabilisant, le seul plaisir masculin, l’orgueil déplacé des hommes… Mais c’est la concision, la puissance de l’évocation de cette vie ramassée en ces 150 pages, la force de ces phrases syncopées, brèves, répétitives, égrenées comme son chapelet, comme la respiration de cet homme qui rythme désormais les journées de cette femme, comme le goutte à goutte qui coule entre ses lèvres, qui nous marquent plus profondément que n’importe quel autre roman ou documentaire sur le sujet, et ce par un homme, un Afghan, qui écrit pour la première fois en langue française … Un huis-clos que l’on pourrait facilement adapter au théâtre. C’est la prose dépouillée, mise à nu comme l’âme de cette femme, qui s’impose, belle et désespérée. Un excellent candidat au Goncourt, qui bouleversera ou perturbera sans aucun doute les lycéens qui auront à décerner leur propre lauréat.

Temps de lecture : 90 minutes environ

RAHIMI, Atiq. – Syngué sabour : pierre de patience. – P.O.L., 2008. –  154 p.. – ISBN 978-2-84682-277-0 : 15 €.

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