
Les pas s’arrêtent derrière la porte. Après une longue pause – quatre souffles de l’homme -, la porte s’ouvre. C’est la femme. Elle entre. Son regard ne se pose pas immédiatement sur lui, elle explore d’abord l’état de la pièce : les débris de vitres, la suie qui s’est déposée sur les oiseaux migrateurs des rideaux, sur les rayures éteintes du kilim, sur le Coran laissé ouvert, sur la poche de perfusion qui se vide de ses dernières gouttes sucrées-salées… Ensuite il balaye le drap couvrant les jambes cadavériques de l’homme, effleure sa barbe et finit par atteindre ses yeux. » (p. 47)
Fort, puissant, ciselé, épuré, ce court roman concentre en lui tous les non-dits d’une femme soumise à une religion, à un mari, à sa belle-famille, à sa famille, aux hommes. Hélas, aucune de ses confidences ne nous surprend vraiment : qu’il est dur d’être née femme quand l’endroit où l’on est né subit la loi et la religion d’hommes qui ont assis leur pouvoir sur les femmes musulmanes, sans daigner les respecter ni les écouter, où l’on subit l’intégrisme de plein fouet. Tour à tour sont ainsi dénoncés le mariage forcé, un islam liberticide et culpabilisant, le seul plaisir masculin, l’orgueil déplacé des hommes… Mais c’est la concision, la puissance de l’évocation de cette vie ramassée en ces 150 pages, la force de ces phrases syncopées, brèves, répétitives, égrenées comme son chapelet, comme la respiration de cet homme qui rythme désormais les journées de cette femme, comme le goutte à goutte qui coule entre ses lèvres, qui nous marquent plus profondément que n’importe quel autre roman ou documentaire sur le sujet, et ce par un homme, un Afghan, qui écrit pour la première fois en langue française … Un huis-clos que l’on pourrait facilement adapter au théâtre. C’est la prose dépouillée, mise à nu comme l’âme de cette femme, qui s’impose, belle et désespérée. Un excellent candidat au Goncourt, qui bouleversera ou perturbera sans aucun doute les lycéens qui auront à décerner leur propre lauréat.
Temps de lecture : 90 minutes environ
Dossier de presse :
- La République des livres, le blog de Pierre Assouline
- Télérama
- Evene
- La Croix
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Tags: Afghanistan, Atiq Rahimi, condition féminine, prix Goncourt, religion