J’ai eu le plaisir en décembre dernier de faire l’interview de Stanislas Gros, auteur des bandes dessinées Le Dernier jour d’un condamné, Le Portrait de Dorian Gray et La Nuit, autour d’un café dans son QG, la brasserie face à la cathédrale d’Orléans. Voici le compte-rendu de notre entretien en plusieurs parties. Ici la troisième :
Quelles sont tes habitudes de travail ? Dans quel lieu ?
Ici, dans cette brasserie face à la cathédrale d’Orléans. J’ai tendance à dessiner au café, en fait. Cela s’est imposé à moi petit à petit. La moitié de mon travail, c’est de créer une ambiance détendue pour pas que je sois trop stressé quand je dessine. La solution jusqu’ici c’est de dessiner au café.
Le Dernier jour d’un condamné, je l’ai dessiné au Pentel, un pinceau rechargeable, et au crayon papier. Le Portrait de Dorian Gray, je l’ai dessiné au stylo à bille comme sur mon blog, et un peu pour faire référence aux dessins au trait de Beardsley. Cela s’est révélé une technique assez fastidieuse au final, donc je ne recommencerai pas. Pour mon troisième album, La Nuit, je l’ai dessiné au Pentel, sans crayon cette fois. L’idée à chaque fois c’était de m’adapter au sujet. Pour Le Dernier jour d’un condamné, le gris c’était pour montrer la saleté des cachots. Si j’avais utilisé le pinceau tout seul j’aurais obtenu quelque chose de bien plus propre. La Nuit est vraiment venue de la technique que j’avais envie d’utiliser : j’ai décidé d’imaginer une histoire qui se déroulerait la nuit pour utiliser le mieux la technique qui me plaisait le plus. C’est l’outil qui est à l’origine de la BD.
Qu’est-ce que tu apprécies le plus dessiner : les personnages, les décors ?
Les personnages, les attitudes et les expressions. C’est ce qui correspond au jeu d’acteur en fait. Je dois être une sorte de comédien contrarié.
Comment qualifierais-tu ton style pour quelqu’un qui ne te connais pas ?
C’est souvent très épuré. Je travaille beaucoup l’expression des visages, la mise en scène et la mise en page. Je réfléchis à ce que j’ai à dire et je l’exprime de la manière la plus efficace possible. Le moins de traits possible pour exprimer un maximum de choses.
A l’aide de bulles et d’illustrations assez proches de l’horizon d’attente du lecteur, tu insères dans le récit du Portrait de Dorian Gray, avec beaucoup de goût et d’à propos, d’innombrables références intertextuelles : à Friedrich Nietzsche (Lord Henry), aux traits de Greta Garbo, au poème Les Bijoux de Charles Baudelaire, aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, à Huysmans (tortue incrustée de pierres précieuses), aux préraphaélites (Ophélie), à Audrey Beardsley, et aux photographies de Lewis Hine. Est-ce là tes sources d’inspiration de prédilection ? Quelles sont les autres ?
C’est le sujet qui amène les références. Le dandysme, c’est un sujet qui devait me tourner autour, sans que je m’y intéresse. Si j’ai choisi Le Portrait de Dorian Gray, c’est parce que je m’étais dit que visuellement cela devrait être intéressant. Ce qui est marrant, c’est que cela a pris beaucoup de place dans ma vie, d’abord avec cette identité sur le net. Du coup, mes amis et mes lecteurs se sont mis à me parler de dandysme.
Après Le Portrait de Dorian Gray, je m’étais dit que je ferai un truc sans documentation, ce qui a donné La Nuit. Bien entendu, je n’ai pas vraiment réussi car il y a des références, notamment au Chevalier, la mort et le Diable de Dürer et à la tapisserie de Bayeux.
Je préférerais l’éviter, mais il est difficile de travailler sans tenir compte de tout ce qui a déjà été fait sur le sujet. Souvent ça participe à la psychologie des personnages, ça renforce une idée, ça permet de donner un chemin.
Pour La Nuit, publié chez un autre éditeur, Gallimard, tu as également imaginé intégralement le scénario. Tu réussis à nous faire entrer dans un univers médiéval assez sombre et fantastique doté d’un humour un peu décalé, sans tomber dans les poncifs du genre. Comment as-tu eu l’idée de cet album ?
L’idée, c’était de partir de ce que dessine le mieux, la nuit. Ensuite j’ai pensé aux personnages qui pourraient être réveillés la nuit au lieu de dormir. J’avais fait cet hommage à Donjoni, où il y avait une histoire de chevalier aussi. Et puis, cette idée de village me vient d’Astérix, qui m’a beaucoup marqué enfant, en créant dans ce monde imaginaire la possibilité de dénoncer des sujets actuels – la société de consommation, la religion,… Je voulais faire Astérix dans un monde médiéval, je voulais déconner et au final, on me dit que je fais de la poésie, ce qui me fait plaisir. Cela m’arrive souvent de vouloir faire l’imbécile et que les gens me disent que c’est poétique ou philosophique.
Cette série de bande dessinées, créée par Lewis Trondheim et Joann Sfar (Delcourt, 1998), est une parodie de l’univers heroic fantasy du jeu de rôle Donjons et Dragons.
La suite samedi prochain.
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