« Pour ceux qui avaient fait fortune, comme Pa, on parlait plus de « banni » ni d’avoir « porté la casaque ». Il était maintenant de ceux qu’on appelait les « vieux colons ». Restait encore du grand monde qui refusait de mettre les pieds sous la table d’un affranchi ou de l’inviter sous son toit. Impossible pour ces gens d’effacer la souillure du bagne. Vous portiez la souillure, vos enfants aussi et les enfants de vos enfants. Mais pour d’autres, l’argent lissait la rudesse du passé et l’habillait de mots nouveaux. » (p. 14)
Dolly, alias Sarah Thornhill, est la fille cadette d’un de ces anciens bagnards devenus propriétaires terriens le long du fleuve Hawkesbury. Elle se souvient peu de sa mère, décédée, que son père a remplacée par une femme psychorigide et pleine de préjugés. Sarah grandit heureuse, jusqu’au jour où son frère disparaît en mer et que Jack, un métisse, son fiancé de coeur depuis sa plus tendre enfance, ramène de Nouvelle-Zélande la fillette à demi maorie de ce dernier. Quand Jack et Sarah déclarent ouvertement leur intention de se marier, Jack apprend de la bouche de sa belle-mère un terrible secret, qui lui fait fuir aussitôt et Sarah et le pays pour reprendre le bateau à tout jamais…
Inspirée de l’histoire familiale de Kate Grenville, cette tragédie met en scène des personnages complexes, tiraillés par leurs désirs et leurs contradictions. On peut certes s’étonner du renoncement rapide de Sarah à l’amour, qu’on croyait plus entière, mais la suite semble lui donner raison. L’écriture, tantôt poétique, tantôt oralisée, épouse la pensée de cette jeune femme dont le désir vierge de tout préjugé se heurte violemment au passé sanglant de son père, bourré de remords. Un beau roman.
GRENVILLE, Kate. – Sarah Thornhill / trad. de l’anglais par Mireille Vignol. – Métailié, 2014. – 254 p. – EAN13 978-2-86424-944-3 : 22 €.