Martha ** de Claude Pujade-Renaud (1992)

04.09
2011

cop. Actes Sud

Martha ou le mensonge du mouvement

« Ils ont macéré dans leur terreur du péché, ils se sont acharnés à extirper les démons de leurs corps. Y compris par la danse : les Shakers pratiquaient ces transes tout en spasmes et tremblements destinées à secouer le mal hors d’eux et à l’éparpiller au lojn. Ces transes, je les ai reprises à ma façon mais pour mieux conserver, concentrer le démoniaque, le faire fermenter en dedans jusqu’à ce qu’il confère à mes créations cette tension paroxystique, ce halètement, ce hoquet de tout l’être. Tel parfois un aboiement rauque. » (p. 72)

Au seuil de sa mort, Martha Graham, danseuse et chorégraphe célèbre, ayant ouvert la voie à la modern dance avec Doris Humphrey, se souvient de ses débuts, de sa relation avec son corps, avec ses os, de sa technique reposant sur le principe du couple « contraction-release »,…

Après l’éblouissant Danse océane, Claude Pujade-Renaud consacre à son ancien professeur de danse, Martha Graham, dont elle suivit les cours de danse moderne en Californie, ce court roman intimiste, comme soufflé sur le ton de la confidence, et dont elle avoue qu’il est son préféré. Effectivement, ce roman est une sorte d’hommage rendu à Marta Graham décédée cinq mois auparavant, au printemps comme elle le prévoyait. Quelle est donc la part de fiction et de réel dans cette mise en mots des confidences de Martha Graham à son ancienne élève devenue écrivain ? Dans « Mentir » écrit en guise d’épilogue, elle se garde bien de nous livrer une réponse, comme voulant mêler intrinsèquement la fiction à la vérité, et brossant un remarquable portrait de cette danseuse pleine de talent.

On y apprend que parmi ses élèves se trouvaient quelques acteurs non moins célèbres : Lisa Minelli, Gregory Peck, …

On y lit son rejet des tenants du ballet traditionnel, et réciproquement :

« Ce que les tenants du ballet traditionnel ne pouvaient me pardonner : avoir commencé mon apprentissage à vingt-deux ans et être devenue néanmoins une prodigieuse danseuse. Impensable pour eux, formés à l’en-dehors dès l’âge de sept ou huit ans : hanches, genoux et pieds tournés au maximum vers l’extérieur de façon à s’inscrire dans une frontalité. Formés et, parfois, déformés, définitivement coincés là. » (p. 81)

Et surtout sa recherche constante d’une nouvelle forme de danse, son exploration des possibilités du corps en le sondant en-dedans :

« Je travaille en dedans. Jamais fini de les explorer les cavernes intérieures. Tout aussi long : dix ans, au moins, pour élaborer un corps dont aucune parcelle ne demeure inerte, même si l’on ne se déplace pas. Comme une vibration des cellules. La danse des molécules ? » (p. 81)

hélas jusqu’à sa lente dégradation, jusqu’à la mort :

« Peuvent-ils comprendre les écrivains, les sculpteurs et compositeurs cette merveille et ce cauchemar d’être danseur et d’avoir son corps pour matériau ? Il se dégarde, l’on perd tout à la fois l’existence et le support du processus créateur. » (p. 90)

Un texte d’une grande sensibilité, mêlant la force de conviction et de travail d’une novatrice, et la fragilité de l’artiste qui consacre toute son existence à son oeuvre.

 

A lire aussi du même auteur :

La Danse océane ** (1988), Vous êtes toute seule ?**(1991), Transhumance des tombes *(2008).

Martha ou Le mensonge du mouvement / Claude Pujade-Renaud. – Arles : Actes sud, 1996. – 112 p. : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Babel ; 235). - ISBN 2-7427-0913-4 : 33 F.

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2 Reponses to “Martha ** de Claude Pujade-Renaud (1992)”

  1. Lou dit :

    Il me semble que j’ai chez moi un livre de cet auteur mais n’en suis pas certaine… je songe en tout cas à la lire depuis un certain temps et ce livre me plairait bien pour commencer, du fait de son sujet.

    • carnets de SeL dit :

      J’ai beaucoup aimé La Danse océane aussi, un roman retraçant la biographie d’une danseuse et chorégraphe américaine célèbre.

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