Titre original : A noite das mulheres cantoras
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Ce soir-là, en cette « Nuit parfaite », des téléspectateurs assistent en direct aux retrouvailles, vingt ans après, du chorégraphe d’un groupe de chanteuses devenu légendaire, Jõao de Lucena, avec celle qui écrivait sous pseudonyme les paroles de la chanson Afortunada, Solange de Matos. Cette dernière se souvient… A l’époque, à la fin des années quatre-vingt, elle n’est âgée que de dix-neuf ans quand les soeurs soprano, Maria Luisa et Nani Alcides, la présentent à Gisela Batista, qui se fait fort de mener au succès le groupe formé par ces trois filles, Madalena Micaia dite l’African Lady, et elle-même, mais à quel prix…
L’écriture subtile et sensible de Lidia Jorge nous emmène au coeur des tensions qui agitent ces jeunes femmes, tiraillées entre leur vie sentimentale et leur volonté de réussir, qui exige tant de sacrifices. Ces pressions psychologiques, ce ne sont pas tant les hommes qui les managent qui les leur font subir, que leur consoeur charismatique, Gisela. Non contente de mettre en exergue la condition féminine à cette époque, Lidia Jorge fait aussi de cette histoire un roman d’apprentissage où la jeune narratrice fait l’expérience de la force poétique voire protectrice des mots, mais aussi des mensonges et des secrets d’un cercle mondain, qui n’hésite pas, pour assurer sa gloire, à cacher quelques cadavres dans un placard. Un très beau roman, à la puissance hypnotique, déroulant lentement les arcanes du succès pour les mettre en lumière, sans porter de jugement.
JORGE, Lidia. – La nuit des femmes qui chantent. – Métailié, 2012. – 309 p.. – EAN13 9782864248484 : 21 €.« Je suis revenue sur mes pas. Le vent froid de la nuit poussait le papier vers la grille des eaux pluviales, encore un instant et il disparaîtrait au fond. Je voulais me souvenir de la phrase que j’avais écrite et je ne me souvenais plus de rien, pas même du mot « Afortunada ». Chanceuse. J’avais pensé que ce qui était écrit n’était peut-être rien et pourtant, une fois perdu, ça me semblait être un trésor. Je me suis précipitée sur le bout de papier qui n’arrêtait pas de courir en cahotant tout droit vers la grille, mû par une force d’attraction, telle une balle de golf vers le trou. Ma chance s’en allait avec lui. Chanceuse. J’ai rattrapé le bout de papier au dernier instant, je l’ai déplié devant mes yeux et j’ai vu qu’il était intact : « Afortunada, afortunada, elle a de la chance et ne désire rien. » Mais il n’y avait pas que ces mots-là, non, quelqu’un avait écrit : « Elle a un amour et n’a pas d’amant / Elle a un logis et n’a pas de maison / Elle a de la chance et ne désire rien. » » (p. 150)
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