Trois nouvelles seulement composent ce recueil bilingue :
L’Immortel, parue pour la première fois en 1947 dans la revue Los Anales de Buenos Aires, retranscrit une histoire retrouvée dans un manuscrit à la fin des six volumes de l’Illiade : il s’agit du journal d’un tribun d’une légion romaine à qui un cavalier confie avant de mourir être à la recherche d’un fleuve situé à l’Extrême-Orient dont les eaux donneraient l’immortalité, et de la cité des Immortels sur son autre rive. Aussitôt celui-ci part à la recherche de ces eaux et de cette étrange cité…
Deutsches Requiem met en scène au cours de la seconde guerre mondiale le monologue d’un nazi fanatique, Otto Dietrich zur Linde, qui s’étonne de se sentir heureux, soulagé de savoir la défaite du troisième Reich proche.
Dans L’Aleph, le narrateur n’est autre que Borges, l’écrivain, qui « oublie » volontairement en 1929 de faire jouer son réseau pour un auteur dont il estime peu l’œuvre. Celui-ci lui confie peu après qu’il possède, pour l’inspirer, un trésor inestimable dans le sous-sol de la maison familiale dont on veut le congédier, un Aleph, qui permet de voir tous les lieux de l’univers sous tous les angles…
Borges prend soin d’ancrer ses récits dans la vraisemblance, en identifiant très précisément mais toujours de manière illusoire ses personnages, ses lieux, le contexte de transmission de l’histoire fantastique, en citant des références bibliographiques et littéraires, pour que le caractère fantastique du récit puisse en ressortir davantage.
La seconde nouvelle ne m’a pas marquée, la dernière un peu plus, abordant très brièvement la notion de réseautage, de jugement et de jalousie entre écrivains, de récompense, et la notion d’infini dans l’espace.
Des trois nouvelles c’est incontestablement la première qui m’a le plus plu : enchâssé
dans le récit de cette transmission du manuscrit d’un antiquaire à une princesse, ce journal fictif conte une aventure dans le désert en compagnie de mercenaires pour commencer, avant une rencontre avec une peuplade étrange, qui lui semble un peu attardée, et la visite d’une cité très inquiétante, avant qu’un de ces êtres ne lui révèle leur incroyable secret, qui remet en question les présupposés sur l’immortalité que le protagoniste et le lecteur pouvaient avoir en tête. Une nouvelle vraiment très intéressante sur la notion d’infini et de relativité, sur notre rapport au temps, ce qui rend un événement singulier, ou au contraire dénué d’intérêt car récurrent au point d’ôter tout sel à sa propre vie et à celle des autres. Elle évoque également le thème de la paternité d’une œuvre universelle comme l’Illiade et l’Odyssée, de l’immortalité de son auteur devenu personnage de légende.
Une écriture toujours très référencée et érudite, s’inspirant des trésors de l’Histoire et de la Littérature pour les réécrire sous la forme d’anecdotes fantastiques.
