Categorie ‘Littérature brésilienne

Le fils du printemps de Cristovao Tezza

04.09
2009

cop. Métailié

O filio eterno

« Ce serait bien si c’était aussi simple, soupire-t-il : une explication, n’importe laquelle. Cependant, c’est justement le contraire : il n’y aucune explication. Tu te trouves ici à la suite d’une somme erratique de hasards et de choix, Dieu n’est nullement une variable à prendre en considération, rien ne va nécessairement vers quelque chose, tu vis enfoncé dans le temps présent, et la présence du Temps – cette voracité absurde – est irrévocable, comme disait le poète. Débrouille-toi. C’est à ton tour de jouer. Il y a un grand silence autour de toi. » (p. 87)

 

A vingt-huit ans, le voilà père alors qu’il n’a toujours pensé qu’à lui-même, se projetant dans divers rôles valorisants, se voyant déjà écrivain célébré, sans jamais avoir songé à gagner sa vie, en en laissant le soin à son épouse. Mais le voilà père d’un petit garçon atteint du syndrome de Down, c’est-à-dire trisomique. Il va d’abord souhaiter la mort de ce fils, Felipe, puis, après lui avoir fait subir différents entrainements pour résorber ses faiblesses, il s’attache insensiblement à lui jusqu’à partager ses joies.

Sans aucune sensiblerie, sans se prêter à l’exercice facile d’une page par idée comme l’avait fait Jean-Louis Fournier dans Où on va papa ?, Cristovao écrit là une belle réflexion sur la paternité, pas toujours acquise mais justement tâtonnante et exigeant du temps pour construire cette complicité forte entre un père et son fils.

TEZZA, Cristovao. – Le fils du printemps / trad. du brésilien par Sébastien Roy. – Métailié, 2009. – 202 p.. – (Bibliothèque brésilienne). – ISBN 978-2-86424-691-6 : 17 €.

 

 

La petite morte de Cornelio Penna

31.05
2009

cop. Métailié

A Menima morta

Dans un Brésil impérial de la fin du 19e siècle, à la fazenda du Grotao, une petite fille est morte, Sinhazinha. Et autour de sa mort, dans cette plantation de café, les angoisses des serviteurs noirs comme de leurs maîtres se cristallisent…

 

Ce roman d’atmosphère, très descriptif, construit à partir d’une absence, reflète la tension de l’époque, où commençaient à sourdre les débats autour de l’abolition de l’esclavage.

 

PENNA, Cornelio. – La petite morte / trad. du portugais (Brésil) par Cécile Tricoire. – Métailié, 2009. – 425 p.. – (Suite brésilienne ; 149). – ISBN 978-2-86424-683-1 : 13 €.

Maria Moura de Rachel de Queiroz

27.05
2009

cop. Métailié

Memorial de Maria Moura

A la mort de sa mère, Maria Moura devrait se retrouver à la tête d’un grand domaine. Mais c’est sans compter sur le machiavélisme de son beau-père ni sur la cupidité de ses cousins. Elle n’hésite alors pas à utiliser les hommes à son service pour tuer les obstacles gênants et pour ensuite partir à leur tête, armée et déterminée…

Rachel de Queiroz brosse là le portrait d’une femme extraordinaire, ayant réellement existé, première femme cangaceiro, dont le destin s’apprente à un véritable roman d’aventures… qui m’a laissée de marbre, mais peut-être pas vous ?

 

QUEIROZ, Rachel de. – Maria Moura / trad. du portugais (Brésil) par Cécile Tricoire. – Métailié, 2009. – 522 p.. – (Suite brésilienne ; 148). – ISBN 978-2-86424-682-4 : 13 €.

Des roses rouge vif d’Adriana Lisboa

21.04
2009

cop. Métailié

Titre original : Sinfonia em branco

 

« Il restait encore un peu de temps avant qu’elle n’arrive. L’après-midi estival et étouffant se décollait de la route, sous forme de poussière, et s’étirait paresseusement dans l’air. Tout était tranquille, ou presque tranquille, mou et gonflé de sommeil. Un homme aux yeux grands ouverts (et transparents tellement ils étaient clairs, chose peu commune) feignait de surveiller la route avec ses pensées. » (incipit)

Cet homme aux yeux clairs, c’est Tomas, qui peint des tableaux sans connaître le moindre succès, et attend celle qu’il a aimé, qui fut une jeune fille vêtue de blanc qui évoquait un tableau de Whistler, mais qui lui a préféré un ami d’enfance. Quelqu’un d’autre attend Maria Inès, dans une fazenda isolée de l’Etat de Rio. Il s’agit de Clarice, sa soeur, qui a été séparée d’elle durant quinze ans avant de la revoir à la mort de leur mère puis de leur père. Peu à peu le passé refait surface, ce passé teinté du rouge vif des roses qui ornaient le foulard de leur soeur, ce passé qui seul détermina leur vie à toutes deux…
*
Adriana Lisboa tisse la trame de ce roman psychologique tout en arabesques et en détours, afin de garder pour le dénouement les raisons pour lesquelles les vies de ces deux soeurs semblent avoir échoué, tirées par le fond par un passé qu’elles ne peuvent oublier. Une bien belle plume pour un thème certes classique mais habilement exploité.
*
LISBOA, Adriana. – Des roses rouge vif / trad. du portugais (Brésil) par Béatrice de Chavagnac. – Métailié, 2009. – 222 p.. – (Bibliothèque brésilienne). – ISBN 978-2-86424-680-0 : 17 €.


Le jour où j’ai tué mon père de Mario Sabino

10.04
2009

cop. Métailié

Titre original : O dia em que matei meu pai

« Le jour où j’ai tué mon père était un jour clair, d’une clarté diffuse, sans ombre et sans relief. Ou peut-être était-il gris. De cette grisaille qui teinte jusqu’aux âmes les moins enclines à la mélancolie. » (incipit)

Il a tué son père… et puis appelé la police, et tout raconté au psychiatre : ses motifs, sa haine, son enfance, son histoire, son roman inachevé, son amour, son complexe d’Oedipe et d’infériorité en face de ce séducteur richissime.
« Je n’avais jamais vu mes parents s’embrasser. Ni même s’enlacer. A l’adolescence, j’ai appris qu’ils s’étaient un peu éloignés l’un de l’autre après ma naissance. Personne ne connaissait la raison de cet éloignement, mais dans la mythologie familiale il y avait plusieurs versions : ma mère était devenue frigide, mon père s’était trouvé une maîtresse, l’extrême dévouement de sa femme pour son enfant le rendait jaloux et il se sentait comme un intrus, il avait souffert d’une profonde dépression à la suite de sa paternité. Que croire ? Il est possible que chacune de ces versions soit un fragment de vérité. Il n’existe peut-être même pas une vérité intégrale, solide, correspondant à la réalité. Il se peut aussi que la vérité ne soit rien d’autre qu’un amoncellement désordonné de demi-vérités. » (p. 15)
Etrange premier roman que voici, où le narrateur joue avec son lecteur et lui dévoile ses pensées et secrets, son enfance troublée, au moyen de la fiction, de la littérature, de la psychologie, du freudisme, de la philosophie. Noir, il l’est, assurément, mais pas comme on l’entend d’ordinaire, pas comme genre. Noir comme l’âme humaine qui vacille entre le Bien et le Mal, intelligente, machiavélique. Un auteur à découvrir et à suivre !
« (…) tu ne comprends donc pas que le Moi est en grande partie une construction faite à partir de l’Autre. Que le Moi n’existe pas seulement en soi, mais qu’il se construit aussi en fonction du regard extérieur. Comme j’ai fait et je fais encore partie de ton existence, ton Moi est incrusté dans mon Moi, et tu ne te libéreras jamais de cela. On ne peut jamais annuler cela. C’est l’enfer de tout le monde. » (p. 79) 

« Combien de questions inutiles nous posons-nous tout au long de notre vie… Serait-ce la mesure de notre nullité ? Il faut peut-être s’agrafer les doigts de la main, comme Hemistiquio, pour au moins sentir de la douleur, dans l’espoir que l’attente de la fin de la douleur ne donne un sens, même éphémère, à un minuscule segment de l’existence. Le sens de la vie : que de plaisanteries ont été faites sur cette sottise. Est-ce vraiment une sottise… Il faut peut-être avoir un enfant (Bernadete en aurait bien un, non ?) pour ressusciter une émotion quelconque. » (p. 91)


SABINO, Mario. – Le jour où j’ai tué mon père / trad. du portugais (Brésil) par Béatrice de Chavagnac. – Métailié, 2009. – 157 p.. – (Bibliothèque brésilienne). – ISBN 978-2-86424-681-7 : 17 €.


 

 

Le vol de l’ibis rouge **/ Maria Valéria Rezende (2008)

24.05
2008

Titre original :  O vôo da guara vermelha (Brésil), 2005

« Les faims et les envies du corps, il y a beaucoup de façons d’en prendre soin car depuis toujours vivre, c’est ça, mais maintenant, de plus en plus, c’est une faim de l’âme qui tourmente Rosalio, au fond de lui, une faim de mots, de sentiments et de gens, une faim qui est comme une solitude entière, une obscurité dans le creux de la poitrine, une cécité aux yeux grands ouverts, voyant tout ce que l’on peut voir ici, pas un être vivant, pas une fourmi, une odeur de néant, les murs de planches sèches et grises, les monticules de gravier et de sable, gris, l’énorme ossature en béton armé, sans couleurs, les édifices interdisant tout horizon, un plafond lourd, gris et bas, touchant le haut des immeubles, chape de nuages de plomb immobiles, qui ne dessinent ni oiseaux, ni brebis, ni lézards, ni têtes de géant, n’apportent aucun message, et c’est tout ce qu’il y a à voir, sans distinguer ni levant, ni couchant, ni matin ni soir, tout réellement présent, si proche que le regard y bute et revient, limité, sans pouvoir s’étendre plus loin, ni vers l’extérieur ni vers l’intérieur, s’agitant comme un petit oiseau qu’on vient de mettre en cage, se noyant, cécité. » (Incipit, p. 13).

Cette première phrase, très longue, annonce la couleur, ou plutôt les couleurs déclinées en toutes lettres tout au long de ce roman dont les mots coulent, harmonieusement :
Irène n’est plus que l’ombre d’elle-même, son corps décharné trahissant le sida qui poursuit son oeuvre, prostituée vieillie trop vite par l’absence d’espoir. Un jour, elle fait monter avec elle un jeune manoeuvre aux yeux verts, Rosalio, qui s’avère ne pas avoir un sou en poche, mais des histoires plein la tête, emportant partout avec lui un coffre rempli de livres qu’il ne peut lire. Avec ses récits, il la transporte loin de cette vie. Elle, telle Shéhérazade, lui lit ces caractères indéchiffrables sur les pages et lui apprend à écrire. A eux deux, ils vont rendre leur vie plus supportable…

Dans un style musical qui nous emporte dès ses premières notes, comme une mélopée douce-amère, Maria Valéria Rezende nous transporte dans les favelas du Brésil, dans les pensées et le parcours hasardeux de deux laissés pour compte, entremêlés aux répertoires populaire ou culturel (Don QuichotteLes Mille et une nuits). Exceptée l’une des dernières histoires un peu simplette, c’est là un roman particulier, à la fois dur et tendre, entre réalité et fantaisie, dont on sort un peu comme d’un rêve éveillé.

REZENDE, Maria Valéria. – Le vol de l’ibis rouge / trad. du brésilien par Leonor Baldaque. – Métailié, 2008. – 183 p.. – ISBN 978-2-86424-646-6 : 18 €.

Service de presse